Si l’on en croit les
commentateurs unanimes, le grand perdant du scrutin de dimanche dernier aurait
été « le système ». Et de fait, tous les candidats ont bien senti que
le créneau porteur était désormais de taper à bras raccourcis sur le dit
« système », et tous, pendant la campagne, ont en conséquence
prétendu être « hors système » ou « anti système ».
Nous avons donc assisté au
spectacle improbable et ridicule d’une classe politique unanime pour s’attaquer
à un adversaire supposé tout-puissant et qui n’avait pourtant personne pour
oser le défendre.
Et d’abord, qu’est-ce que le
« système » en question que tous disent vouloir terrasser ? Nul
ne semble capable d’en donner une définition un tant soit peu rigoureuse.
Toutefois, nous aurions tort de
nous contenter de ricaner de ces modernes Don Quichotte chargeant les moulins à
vent du « système ». Lorsque tout le monde se sent tenu d’employer
certains mots, il est peu probable que ces mots soient totalement dépourvus de
sens, qu’ils ne désignent aucune réalité, même subjective.
Si nos hommes politiques se
présentent à nous comme adversaires du « système », c’est évidemment
parce qu’ils ont bien compris que les Français en avaient globalement plus qu’assez
du fameux « système ». Mais qu’est-ce donc que nous ne supportons
plus ? A cette question, nous répondons presque toujours par des
exemples : les médias seraient une partie du « système », ou
bien les multinationales, ou bien les marchés financiers, ou bien la classe
politique elle-même, ou bien les institutions européennes, ou bien telle autre
chose encore.
Mais des exemples ne forment pas
une définition. Essayons donc de pousser davantage la réflexion.
Le terme même de système implique
que nous serions face à un ensemble de pratiques préméditées et coordonnées
pour produire un même résultat, que ces éléments disparates que nous citons
comme appartenant au « système » seraient liés d’une manière ou d’un
autre. Par ailleurs cette notion de système sous-entend une forme d’aliénation.
Nous nous sentons comme pris dans les rouages d’une gigantesque machine,
obligés de nous soumettre à des règles et à des pratiques que nous percevons
comme étrangères, extérieures à nous. En bref, se plaindre du
« système », c’est de plaindre de ne plus être libre, et de ne plus
être libres parce que nous aurions été systématiquement, délibérément privés de
notre liberté.
Mais n’est-il pas absurde de nous
plaindre de ne plus être libres alors que nous n’avons jamais eu autant de
droits subjectifs, énumérés dans d’épais traités, comme par exemple la
Convention Européenne des Droits de l’Homme ou la Charte Européenne des Droits
fondamentaux, et gardés par de sourcilleuses cours de justice ? N’est-il
pas ridicule et ingrat de pleurer sur notre liberté soi-disant perdue alors que
jamais les sociétés dans lesquelles nous vivons n’ont été plus ouvertes et plus
tolérantes vis-à-vis des particularités individuelles ?
C’est qu’en vérité, lorsqu’une
certaine liberté vous manque toutes les autres prennent une signification
différente, et ne sont plus d’authentiques libertés mais des privilèges qui
vous sont octroyés, et qui pourraient vous être retirés de manière imprévisible
et sans que vous y puissiez rien.
Cette liberté dont nous percevons
obscurément qu’elle nous échappe, et qui nous amène à nous sentir prisonniers
du « système », c’est tout simplement la liberté de consentir
réellement à la loi qui vous gouverne. Le « système », c’est ce qui
nous prive de cette liberté, sans laquelle nous sentons confusément que notre
destin n’est plus entre nos mains.
Pourtant, formellement, les
institutions représentatives fonctionnent toujours. Cette élection en est la
preuve. Oui, mais chacun sent bien, et depuis longtemps, que ces institutions
que nous élisons ne nous représentent plus vraiment. Nous ne nous sentons plus
représentés parce que nous savons, ou nous sentons intuitivement, que nos
représentants ont peu à peu abandonnés la plupart des pouvoirs que nous leur
avions confié à d’autres institutions, sur lesquelles nous n’avons pas
prise : institutions européennes, cours de justice et organisations
internationales, marchés globalisés, etc. Nous ne nous sentons plus représentés
aussi parce que nous avons de plus en plus de mal à nous sentir dans le tout,
parce que le corps politique auquel nous appartenons se fragmente, se dissout
peu à peu en une poussière d’individus et de « communautés ». Et
faute d’un corps politique auquel nous nous sentirions intimement liés, nous
avons de plus en plus de mal à reconnaitre comme commune la loi commune.
Celle-ci, lorsqu’elle ne répond pas à nos aspirations, nous semble désormais
imposée arbitrairement par des étrangers.
Si nos représentants ont donné à
d’autres les pouvoirs qu’ils tenaient de nous, si le corps politique tend vers
la dissolution, c’est parce que, depuis bientôt un demi-siècle nous avons
progressivement renoncé à mener une vie politique proprement nationale. Nous
avons renoncé à l’effort nécessaire pour maintenir l’indépendance spirituelle
et politique de la France. Nous nous sommes laissés persuader que la France
n’était plus capable d’exister par elle-même, qu’elle devait accepter de se
fondre peu à peu dans une autre association humaine, de forme et de statut
indéterminé, que l’on appelle aujourd’hui l’Union Européenne. Nous nous sommes
laissés persuader que la nation, l’appartenance nationale, était en définitive
une injure à l’égalité fondamentale de tous les hommes, et la source de crimes
aussi innombrables qu’abominables.
Mais en renonçant à mener une vie
politique nationale, nous avons aussi renoncé, sans bien le comprendre, à la
liberté politique fondamentale, celle qui est la clef de voute de toutes les
autres : la liberté de consentir à la loi qui vous gouverne.
Désormais il est manifeste que
nombre de Français regrettent ce renoncement, quel que soit par ailleurs leurs
affinités politiques. Celui qui s’en prend à l’immigration incontrôlée comme
celui qui tonne contre la dictature des marchés financiers visent, par-delà
leurs différences très réelles, une seule et même cause : la dissolution
lente du corps politique national qui seul permet la liberté politique.
Bien sûr tous ne sont pas
cohérents, loin de là. Très peu d’hommes le sont. Tel voudrait contrôler les
flux commerciaux et financiers tout en laissant les frontières ouvertes aux
flux humains, comme si la liberté politique pouvait subsister sans identité
nationale ; tel autre voudrait préserver cette identité nationale tout en
demandant à l’Etat de lui tenir la main du berceau à la tombe, comme s’il était
possible de combiner la liberté politique et le renoncement à se diriger
soi-même au quotidien. Mais par-delà leurs différences et leurs incohérences,
ces Français qui se plaignent amèrement du « système » demandent en
réalité plus de nation.
Certains, assez nombreux il est
vrai, vivent encore bien ce renoncement à mener une vie politique nationale. Ne
plus consentir à la loi qui les gouverne, se faire donner la règle par des
organismes internationaux ne les gêne nullement, car leurs ressources
intellectuelles et financières leur donne l’illusion qu’ils pourraient vivre à
peu près n’importe où sur la planète, qu’ils sont réellement « citoyens du
monde ». Ils sentent aussi, obscurément, que le consentement à la loi, que
la liberté politique a un prix : elle suppose l’appartenance à une
communauté humaine bien définie, bien liée. Une loi commune suppose au minimum
une communauté de mœurs, d’histoire, de langue, elle suppose d’avoir des
compatriotes, au plein sens du terme. Bref, la liberté politique est
indissociable de l’identité nationale, une identité qui n’est pas simplement
choisie et qui vous oblige, qui vient contraindre votre individualité. De cette
contrainte ils ne veulent pas, et par conséquent se soucient peu de la liberté politique.
Ceux-là sont, selon les termes
désormais convenus, les « gagnants de la mondialisation ». Pour le
moment le « système » leur convient.
Ce sont aussi, pour l’essentiel,
les électeurs d’Emmanuel Macron. Et cela se comprend. Macron a en effet donné
tous les signes qu’il était bien le candidat du « système » ainsi
entendu. De son adhésion enthousiaste à ce qu’il est convenu d’appeler
« la construction européenne » aux gages très peu subliminaux donnés
aux partisans du multiculturalisme, Macron a prouvé au-delà de tout doute
raisonnable qu’il se voulait un candidat, et demain un président,
post-national.
A l’inverse, Marine Le Pen a
effectivement raison de se présenter comme une contemptrice du
« système ». Car, quelles que soient ses limites personnelles et les
défauts de son programme, personne ne pourra sérieusement contester qu’elle est
une patriote, au plein sens de ce terme, qu’elle se sent, qu’elle se pense,
qu’elle se veut avant tout française.
Aussi, il parait juste de dire
que le scrutin de dans deux semaines opposera ceux pour qui le mot France a
encore un sens substantiel et ceux pour qui il n’en a plus. Ceux qui veulent
vivre dans un corps politique bien défini, avec ce que cela implique
nécessairement de frontières bien gardées et de légitime préférence pour ce qui
est nôtre, par opposition à ce qui vient de l’étranger, et ceux qui croient
pouvoir vivre dans une sorte d’open-space, sans allégeance autre que volontaire
et précaire. Entre ceux qui sentent encore confusément que l’homme est par
nature un animal politique et ceux qui croient en la souveraineté absolue de
l’individu. Tous les électeurs de Marine Le Pen et tous ceux d’Emmanuel Macron
ne répondent évidemment pas à cette description générale, mais tel sera l’enjeu
fondamental de cette confrontation.
Je suis sceptique. C'est une invitation à voter Lepen ? Sachant qu'elle a toutes les chances d'être immédiatement bloquée par les législatives ? Qu'elle n'a aucune chance de gagner son référendum sur l'UE car les souverainistes de gauche ne soutiendront pas la sortie sachant que ça serait donner encore plus de pouvoir à Lepen, et que donc elle ne peut compter que sur son camp largement minoritaire ? Sachant en plus qu'elle a un programme accentuant le pouvoir de l'Etat-nounou français ?
RépondreSupprimerCe scrutin sera sans doute très intéressant au niveau de l'analyse électoral, mais ça s'arrête là.
Mais peut-être vous ai-je mal compris...
C’est pourtant simple : sauf événement imprévu extraordinaire, l’un des deux va être élu. Il y a donc le choix entre une candidate certes très imparfaite et probablement minoritaire dans sa future représentation parlementaire potentielle, et un candidat assurément nuisible et possiblement (quoiqu’incertainement) majoritaire à l’Assemblée.
SupprimerLa démocratie est un piège de toute façon, mais c’est plus le symbole qui compte : plus le résultat d’Emmanuel Macron sera élevé, et plus les bobos triompheront.
Éviter un écrasement sonnera comme un avertissement et pourrait limiter la dynamique boboïde dès les législatives.
Il s'agit simplement d'une tentative de réfléchir à notre conversation civique actuelle. Pour le reste je pense mes lecteurs assez grands pour se décider par eux-mêmes.
SupprimerEntre Marine et le couteau, je choisis Marine...
RépondreSupprimerKurt Mébonn