La familia grande, le
livre de Camille Kouchner qui a défrayé la chronique au début de cette année,
est un témoignage pénible à lire et néanmoins intéressant. Pénible à lire car,
à mon sens, très mal écrit, avec ses phrases extrêmement courtes qui semblent
vite artificielles et ses jeux de mots vaguement lacaniens, mais surtout à
cause de son contenu, car patauger dans les égouts n’a rien de spécialement
plaisant, à moins de nourrir une dilection perverse pour l’ordure. Cette
plongée dans la corruption morale et intellectuelle vaut cependant la peine que
l’on surmonte son dégoût, dans la mesure où cette corruption n’est pas
seulement celle de quelques individus singuliers, mais celle d’un certain
milieu « intellectuel » qui a exercé, et exerce encore dans une certaine
mesure, une influence durable et puissante sur la destinée de la France.
On peut d’ailleurs se demander si
les abus sexuels commis par Olivier Duhamel sur le frère de Camille Kouchner,
dont la révélation figure littéralement au centre du livre, n’ont pas joué pour
beaucoup de commentateurs – et peut-être pour Camille Kouchner elle-même – une
fonction de « révélation-écran », un peu comme les psychanalystes parlent de «
souvenir-écran » : un secret dévoilé dont le caractère évidemment scandaleux
sert à masquer d’autres faits plus scandaleux encore.
Car en vérité, le méchant du
livre est bien moins Olivier Duhamel qu’Evelyne Pisier, la mère de Camille. Le
premier est un prédateur sexuel somme toute banal dans ses appétits déréglés et
dans ses méthodes, et qui par ailleurs a sans doute véritablement aimé et aidé
Camille, cette enfant abandonnée. Tandis que la seconde apparait comme une mère
dénaturée, qui a maltraité ses enfants bien avant que Duhamel ne commette ses
forfaits et qui, jusqu’au bout, prendra parti pour lui et contre eux, allant
jusqu’à prétendre que la vraie victime, c’est elle, puisque ses enfants ont
essayé de lui « voler son mec. »
Et si Evelyne Pisier a été une
mère particulièrement nocive et maltraitante, la cause en est moins dans son
tempérament que dans ses idées. Telle que la décrit sa fille, Evelyne Pisier
était en effet une intellectuelle glaciale, une idéologue féroce et dont le
comportement révoltant révèle la vérité effective de la cause qui était la
sienne, et qui a pour nom féminisme.
Evelyne Pisier était féministe
jusqu’au bout des ongles, et en lisant La familia grande, on est
irrésistiblement tenté de transposer ce que Michel Houellebecq écrit à propos
de la psychanalyse dans Extension du domaine de la lutte :
Les féministes, grossièrement
agressives, prétentieuses et stupides, anéantissent définitivement chez leurs
soi-disant « sœurs » toute aptitude à l’amour, aussi bien mental que physique ;
elles se comportent en fait en véritables ennemis de l’humanité. Impitoyable
école d’égoïsme, le féminisme contemporain s’attaque avec le plus grand cynisme
à de braves filles un peu paumées pour les transformer en d’ignobles pétasses
d’un égocentrisme délirant, qui ne peuvent plus susciter qu’un légitime dégoût.
Il ne faut accorder aucune confiance, en aucun cas, à une femme passée entre
les mains des féministes. Mesquinerie, égoïsme, sottise, arrogance, absence
complète de sens moral, incapacité chronique d’aimer : voilà le portrait
exhaustif d’une femme féministe.
Car ce qui frappe avant tout dans
le comportement de la mère de Camille Kouchner, c’est son égoïsme absolu,
théorisé et revendiqué sous le nom de « liberté ». Evelyne Pisier n’a que le
mot de liberté à la bouche, et ce que recouvre ce mot est clair dès les
premières pages : le refus catégorique de se laisser entraver par quelque
responsabilité que ce soit vis-à-vis d’autrui, à commencer par ceux qui sont
les plus dépendants de vous et qui pourraient le plus vous imposer des
obligations : vos propres enfants. « La liberté, explique-t-elle un jour sur un
ton de reproche à sa fille qui semble vouloir s’occuper de son propre fils,
c’est de pouvoir choisir de ne pas s’en occuper. »
Et assurément Evelyne Pisier a
bien mis en application ses propres principes. A ses enfants elle n’accorde que
le minimum de temps et jamais ne s’abaisse à considérer ce dont ils pourraient
avoir réellement besoin, à la différence de ce qui lui plait à elle. Ainsi les
abreuve-t-elle dès le plus jeune âge de débats intellectuels et de
considérations politiques tout en les nourrissant de surgelés. « Tâches
domestiques, tâches sans délices », clame-t-elle pour se justifier. Dans la
mesure où, dans une famille, les tâches domestique se confondent très largement
avec le soin des enfants, cela revient à dire à ceux-ci qu’ils ne l’intéressent
pas, ou qu’ils ne l’intéressent qu’autant qu’ils sont capables de se comporter
comme des adultes miniatures. Et puis, bien entendu, ses enfants ont
l’interdiction absolu de l’encombrer avec leurs chagrins, surtout lorsque ces
chagrins sont la conséquence de ses décisions.
« Tu n’as pas le droit de pleurer
», ordonne-t-elle par exemple à sa fille, au moment où elle lui annonce qu’elle
quitte son père, « je suis beaucoup plus heureuse comme ça. Tu n’as pas le
droit de pleurer. »
La douleur d’une enfant pourrait
vous faire culpabiliser et vous faire reconsidérer votre décision, elle donc
est une entrave intolérable, une remise en cause implicite de la liberté sacrée
de sa mère. Sa liberté, c’est de ne pas avoir à tenir compte de l’effet de ses
choix sur les autres. Sa liberté est celle du tyran.
Ce comportement d’Evelyne Pisier
n’est nullement idiosyncratique : la « libération de la femme » voulue par les
féministes post-Beauvoir a toujours consisté, avant tout autre chose, à libérer
les femmes de leurs obligations familiales, c’est-à-dire à les libérer de leurs
enfants et du père de ceux-ci. D’où la promotion de l’avortement, du divorce,
la dépréciation de la maternité et des tâches ménagères. Evelyne Pisier était
juste une féministe accomplie.
De même, le féminisme
contemporain a toujours marché main dans la main avec l’idéologie de la «
libération sexuelle », car il était établi dans les saintes écritures de Simone
que l’aliénation des femmes prenait sa source principale dans leur déplorable
incapacité à séparer le sexe et les sentiments et que les femmes ne seraient
libres que le jour où elles auraient enfin une sexualité « virilement
indépendante ». C’est ce qui explique qu’Evelyne Pisier ait été parfaitement à
l’aise dans l’atmosphère de lupanar qui régnait à Sanary, le fief de Duhamel,
même si ses motivations étaient vraisemblablement différentes de celles du
maitre des lieux.
Duhamel était un queutard, qui
affichait des photos des seins de sa belle-fille, plongeait nu dans la piscine
et « chauffait » les femmes de ses copains sans la moindre vergogne. Alertée un
jour par sa fille sur ces comportements de bonobo, Evelyne Pisier lui répond
tranquillement : « Ce n’est pas grave. Je suis au courant. La baise, c’est notre
liberté ». Notre liberté, pas « notre plaisir ». Chez Pisier, le dévergondage
n’est pas une pulsion mais un principe, il fait partie d’un programme politique
et n’a sans doute pas grand-chose à voir avec le plaisir.
Voilà pourquoi, bien qu’il soit
revendiqué au nom de la liberté, le dévergondage est en fait une obligation et
ceux qui ont des restes de pudeur ou des réticences à coucher comme on boit un
verre d’eau sont moqués ou ostracisés. Camille Kouchner raconte ainsi comment
une jeune femme d’à peine vingt ans s’était enfuie de Sanary, après qu’un homme
inconnu ait tenté de s’introduire dans son lit pendant son sommeil, et avait
déposé une main courante à la gendarmerie. « La jeune femme, écrit-elle, a été
répudiée, vilipendée par mon beau-père et ma mère, effarés par tant de
vulgarité. Quant à moi on m’a expliqué ce qu’il fallait en comprendre : la
fille avait exagéré. »
Voilà également pourquoi le
dévergondage n’épargne surtout pas les enfants. Ceux-ci sont sexualisés le plus
tôt possible et soumis à une pression constante pour « voir le loup » dès
l’approche de la puberté. Car si le sexe n’a rien à voir avec la moralité et
n’est rien d’autre qu’une plaisante gymnastique, si, selon la formule
sacramentelle, « le sexe est un jeu, pas un enjeu », pourquoi donc en priver
les enfants ; et pourquoi priver les adultes des enfants qui excitent leurs
désirs ? Et c’est ainsi que Duhamel peut « rouler une pelle » à une enfant de
douze ans sans que personne ne trouve à y redire et que, plus tard, il
s’introduira dans la chambre de Victor, le frère jumeau de Camille, pour abuser
de lui.
Evelyne Pisier a-t-elle su que «
son mec » avait jeté son dévolu sur son fils avant que Camille l’en informe,
vingt ans plus tard ? Il est impossible de l’affirmer catégoriquement, mais il
est certain que, à Sanary, rien n’était vraiment caché, que tout était visible
pour qui voulait voir, et que ceux, très nombreux, qui disent n’avoir rien vu
n’ont rien voulu voir, parce qu’ils ont préféré leurs idées à la réalité.
Victor avait pourtant prévenu Camille : « Tu verras. Ils me croiront, mais ils
s’en foutront complètement. »
Comme toute bonne féministe,
enfin, Evelyne Pisier semble n’avoir été attirée que par les hommes
dominateurs, sans scrupules, profondément égocentriques, comme elle. Bref, par
ceux que les féministes ont l’habitude de conspuer sous le nom de « macho ».
Fidel Castro tout d’abord,
l’impitoyable tyran cubain, l’homme aux 35 000 femmes selon la légende, dont
Evelyne - qui fut l’une des unités de cet immense harem - continuait à parler
avec des étoiles dans les yeux des décennies après. Bernard Kouchner ensuite,
qu’elle connut à Cuba jeune étudiant communiste, séducteur et autoritaire, et
qui deviendra plus tard le personnage public que l’on sait. Kouchner, le père
de Camille, égocentrique parfait et parfaite illustration de la mise en garde
de Rousseau : « Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher loin dans
leurs livres des devoirs qu'ils dédaignent de remplir autour d'eux. Tel
philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d'aimer ses voisins. »
Kouchner, trop occupé à « sauver » les enfants de l’autre bout du monde – de
préférence devant les caméras – pour pouvoir s’occuper des siens et qui leur
donnait des somnifères pour en être débarrassés plus tôt, les rares fois où il
était obligé de les garder. Olivier Duhamel enfin qui, dans cette galerie de
monstres d’égoïsme, apparait presque comme le moins antipathique, en dépit de
ses turpitudes, car lui du moins semble avoir eu un peu de sensibilité et
d’attention aux autres.
Le procès d’Olivier Duhamel
n’aura pas lieu, les faits étant prescrits, et ses victimes devront sans doute
se contenter de sa bien tardive ostracisation de la « bonne société », celle
dans laquelle il a si longtemps été oracle et faiseur de rois. Le procès du
féminisme, et plus largement des « idéaux de gauche » qui ont fait de l’enfance
de Camille Kouchner, et de celle de tant d’autres anonymes, un long calvaire
n’aura pas lieu, car les coupables tiennent toujours le haut du pavé. Et c’est
peut-être ce qu’il y a de plus révoltant dans La familia grande : le
livre déborde à plein bords et presque à chaque page de la souffrance d’une
fille abandonnée par son père, de son désir éperdu de connaitre ses racines, de
pouvoir s’inscrire dans une lignée qui est celle du sang, selon l’expression
autrefois usitée, et des dégâts, peut-être irréversibles, causés chez les
enfants à qui l’on refuse la possibilité de satisfaire ce besoin fondamental.
Bref, La familia grande est, en creux, un plaidoyer irrésistible en
faveur de la famille dite « traditionnelle », et qui est simplement la vraie
famille, par opposition à la « grande » famille artificielle et toxique qui
habitait les murs de Sanary. Pourtant, la destruction de ce qui reste de la
famille biologique est plus que jamais à l’ordre du jour des puissants et des
influents. Pourtant, les mêmes qui ont crié haro sur Duhamel au nom de la
chasse aux « porcs » n’ont rien de plus pressé que d’ouvrir la procréation
médicalement assistée aux lesbiennes, avant, d’ici quelques temps, d’autoriser
la gestation pour autrui au nom de l’égalité et de l’égale dignité de toutes
les « familles ».
Et l’on entend aussi la petite
musique de l’excuse, qui explique que tout cela n’est finalement qu’une affaire
de « génération », que tout le monde faisait un peu pareil à l’époque et que
personne ne pensait à mal, que les temps sont différents aujourd’hui et que par
conséquent ces abus et ces excès appartiennent au passé. Dormez tranquilles,
braves gens.
A ceux-là, Camille Kouchner a
déjà répondu, lorsqu’elle écrit à sa mère, à la fin du livre : « Certains
diront que tu fais partie de cette « génération »-là. Moi, je crois surtout que
tu fais partie de ces « gens »-là. » Et ces gens-là, avec leurs idées funestes,
sont plus que jamais parmi nous.
Excellent billet.
RépondreSupprimerJe vous félicité pour deux raisons :
d'abord, vous vous êtes infligé la lecture de ce livre désagréable et déprimant.
ensuite, votre analyse est claire et pénétrante.
Par contre, la conclusion donne les miquettes : ils sont parmi nous, et surtout au sommet.
Comme le commentateur précédent : merci pour ce commentaire éclairant.
RépondreSupprimerJe vais oser me déclarer féministe malgré tout, et pour cette raison me déclarer contre la PMA, qui médicalise le corps des femmes et donne le pouvoir aux médecins. Et puis, il y a une certaine tristesse dans l'idée d'un droit à l'enfant, non pas des parents pour un enfant mais un enfant pour des parents.
J'essaie de me rassurer (car l'évolution est irréversible, la science en a trop envie, l'Eglise, seul rempart, s'est trop décrédibilisé durant les années sida) en me disant qu'au moins, dans la PMA, GPA, etc, il s'agira d'enfants intensément désirés -- soit le contraire du destin de Camille et Victor Kouchner.
Malheureusement le désir est chose fluctuante, surtout face aux inévitables difficultés, et la famille fondée sur le seul désir a toutes chances d'être éphémère.
SupprimerVous êtes à ma connaissance le seul commentateur qui se soit focalisé sur la figure de la mère et son comportement indigne et révoltant.
RépondreSupprimerMerci pour cette analyse.
Isabelle Mazan
Excellente analyse. Bravo !
RépondreSupprimerJe ne puis qu'ajouter mes compliments à ceux de mes prédécesseurs…
RépondreSupprimerJe fais un tir groupé : merci à tous pour vos compliments.
RépondreSupprimerPourritures gauchistes . Méritent tous de crever .
RépondreSupprimerJe crois que je viens ici pour la première fois, mais dorénavant je ne manquerai pas de passer par chez vous !
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