La conversation civique en France me
semble devenue pareille à une assemblée d’aveugles au fond d’une cave sans
lumière qui échangeraient des insultes et des horions à propos des nuances des
couleurs. Ce naufrage de la raison, cette désertion de tout bon sens me navre
et m’inquiète au plus haut point, bien davantage en tout cas que la pandémie
qui en est la cause apparente. Peut-être suis-je l’un de ces aveugles qui
s’agite stupidement, mais je ressens le besoin impérieux de m’expliquer, au
moins à moi-même, pourquoi je suis navré et inquiet. Peut-être, en clarifiant
mes pensées, serais-je utile à d’autres et peut-être, si d’autres voient ce que
je vois, cela signifie-t-il qu’il existe finalement un peu de lumière au fond
de la cave. Je l’ignore.
Aucune plainte sur la longueur de ce
qui va suivre – et qui est en vérité extrêmement abrégé par rapport à ce qui
serait nécessaire - ne sera acceptée. La pensée humaine est discursive, je n’y
peux rien. Réfléchir demande du temps, et, si l’on écrit, de l’espace. Si vous
n’êtes pas disposé à prendre du temps pour réfléchir avec moi, c’est que vous
n’êtes pas fait pour me lire.
La vie politique, disait à peu près
Aristote, consiste à mettre en commun les raisons et les actions, c’est-à-dire,
d’abord et avant tout, à raisonner au sujet des actions concernant la
collectivité. Que voulons-nous faire ? Que cherchons-nous à
accomplir ? Voilà la question qui se pose, ou qui devrait se poser
constamment à nous. Bien sûr, comme il existe nécessairement des gouvernants et
des gouvernés, la forme pratique de la question est le plus souvent :
qu’est-ce que les gouvernants, qui de fait décident pour le tout, cherchent à
accomplir ? Quels critères guident leurs choix ?
Je ne crois pas pouvoir être contredit
en affirmant que, au début de la pandémie, le critère qui a été choisi était
celui de la saturation des services de réanimation. C’est-à-dire que le but à
atteindre était que personne ne meure sans avoir pu au moins au préalable être
admis en réanimation. On ne pouvait pas empêcher qu’il y ait des morts, certes,
mais au moins fallait-il que les gens puissent mourir à l’hôpital.
Il suffit d’expliciter ce critère,
comme je viens de le faire, pour constater son absurdité assez patente. Toute
la vie de la nation devait désormais tourner autour des services de réanimation
de ses hôpitaux, -comme un éléphant sommé de se tenir en équilibre sur un
étroit tabouret - en fermant par ailleurs les yeux sur le fait que les
confinements risquaient fort, à terme, de coûter plus d’années de vie qu’ils
n’en préservaient. En somme, il fallait que la France se jette à l’eau pour
éviter d’être mouillée par la pluie. La seule véritable rationalité de ce
critère de décision était à chercher du côté des gouvernants : leur éviter
d’être trainés devant les tribunaux si quelqu’un devait mourir aux portes de
service de réanimation saturés.
Je ne leur jette pas entièrement la
pierre, car il faut gouverner avec le peuple qu’on a et non avec celui qu’on
aimerait avoir, or il n’est pas douteux que beaucoup trop de gens prennent
aujourd’hui au pied de la lettre l’expression « droit à la santé » et
entretiennent, plus ou moins consciemment, l’idée que les pouvoirs publics leur
devraient une thérapie pour chaque maladie qui pourrait se présenter.
C’est en tout cas au nom de cet
objectif que les Français ont été assignés à résidence presque toute l’année
dernière et soumis à toutes sortes de contraintes vexatoires et aussi absurdes
que le critère de décision lui-même.
Du moins ce critère crétin avait-il
une vertu : celui d’être aisément quantifiable et vérifiable. Celui aussi
d’offrir une porte de sortie dont le coût moral et politique restait
acceptable : vacciner les personnes les plus à risque d’une part,
augmenter les capacités en réanimation d’autre part. Et puis aussi, bien sûr,
améliorer la manière dont les formes graves pouvaient être traitées.
Mais aujourd’hui, nous sommes passés à
autre chose. Le critère de la saturation des lits de réanimation a peu à peu
laissé place, dans les discours des autorités, à un but plus grandiose :
« en finir avec l’épidémie ». Comme toutes les montagnes
gigantesques, celle-ci est entourée d’épais nuages qui empêchent d’apercevoir
le sommet. Quand donc une épidémie est-elle « terminée » ?
Lorsque plus personne n’en meurt ? Lorsque plus personne n’est
infecté ? Lorsque le virus responsable a été éradiqué ? Cela n’est
pas clair, mais pourquoi prendre la peine de le préciser, puisque l’objectif
est sublime et donc incontestable ? On entend aussi des choses
comme : « Le passe sanitaire disparaitra lorsque le virus ne
circulera plus », ce qui est à peu près aussi précis et rassurant que
« à la Saint Glin-glin ». Il est aussi évoqué parfois le Graal de
« l’immunité collective », ce qui fait plus sérieux, puisque
« scientifique ».
Qu’est-ce donc que l’immunité
collective ? Selon l’Institut Pasteur « l'immunité collective
correspond au pourcentage d’une population donnée qui est immunisée/protégée
contre une infection à partir duquel un sujet infecté introduit dans cette
population va transmettre le pathogène à moins d’une personne en moyenne,
amenant de fait l’épidémie à l’extinction, car le pathogène rencontre trop de
sujets protégés. »
On peut donc (ou en tout cas les
spécialistes assurent qu’ils peuvent) calculer quel pourcentage d’une
population devrait être vacciné pour que nous puissions victorieusement planter
notre petit drapeau en haut du mont « immunité collective ». Dans le
cas du Covid, ce serait 80%. Tout cela est quantifiable, donc rassurant :
il nous semble apercevoir la lumière au bout du tunnel.
Sauf que… on découvre presque chaque
mois de nouveaux variants, toujours plus contagieux nous dit-on, et que, par
ailleurs, les vaccins sauveurs ne protègent pas complètement, et pas forcément
très longtemps.
Par conséquent, la vérité effective de
l’immunité collective face au Covid ressemble chaque jour davantage à une
vaccination obligatoire de l’intégralité de la population avec de fréquents
rappels tout aussi obligatoires, et le virus toujours en avance d’une mutation
sur nos efforts pour le faire disparaitre. Par conséquent aussi, puisque les
mesures de surveillance ne seront levées que lorsque l’immunité collective aura
été atteinte, ces mesures semblent devoir se prolonger indéfiniment.
Cette perspective devrait au moins
nous amener à interrompre notre course folle cinq minutes et à poser cette
question : mais pourquoi diable devrions-nous poursuivre cette immunité
collective qui semble aussi inaccessible que l’horizon ? J’ai beau tourner
et retourner le problème, je ne vois aucune bonne raison. Le Covid est un
méchant petit virus, mais sa létalité est objectivement faible et très
circonscrite. L’humanité a toujours vécu avec ce genre de pathogène, et devra
toujours vivre avec ce genre de pathogène. Pourquoi se donner tant de mal et
détruire tant de biens, à la fois matériels et politiques, patiemment
accumulés, pour essayer de l’éradiquer ? Je ne vois à vrai dire qu’une
seule raison, et très mauvaise : nous vivons dans l’illusion que la bulle
sanitaire du dernier siècle pourrait être éternelle. Nous avons vécu un court
moment, unique dans l’histoire de l’humanité et forcément transitoire, où les
grandes pandémies à la mortalité perceptible par l’ensemble de la population
semblaient avoir disparu en Occident. Le Covid annonce le retour à l’état
normal, celui où des épidémies viennent de manière épisodique prélever leur
tribut parmi nous avant de s’éteindre, temporairement ou définitivement.
Bien sûr, chaque épidémie nouvelle
peut et doit être combattu. Mais chacune devrait aussi être accueillie avec une
certaine dose de stoïcisme : mourir de maladie infectieuse n’est ni un
scandale, ni une injustice, surtout lorsque l’on est un vieillard ou une
personne de santé fragile. La sagesse, pour l’être humain, consiste aussi
parfois à accepter certains maux pour ne pas engendrer des maux plus grands.
Il y a plusieurs manières, pour un
peuple, d’entrer en tyrannie. L’une d’entre elles est de s’assigner pour
objectif un bien qui ne peut jamais être atteint, et de subordonner toutes les
autres considérations à la poursuite de ce bien. Derrière notre course folle à
l’immunité collective contre le Covid, il y a au fond le vieux rêve de l’immortalité
terrestre. Un rêve dont tous les gens sages ont toujours su qu’il était en
réalité un cauchemar et dont les gens moins sages comprenaient du moins,
jusqu’à maintenant, qu’il était inaccessible. Mais, du fait des progrès de la
science et de la technologie, ce caractère inaccessible est devenu moins
évident ; sans bien nous l’avouer nous nous sommes mis en marche vers ce
chimérique eldorado et, comme de juste, nous sommes en train de transformer
notre réalité en cauchemar.
Qu’est donc en train d’adopter le
Parlement ? L’Assemblée Nationale vient d’approuver les dispositions
suivantes : il faudra non seulement un passe sanitaire pour entrer dans un
café ou un restaurant, mais celui qui ne s’enregistrera pas auprès de
l’établissement, de manière digitale ou par écrit, sera passible d’un an de
prison et de 15000 euros d’amende. L’absence de passe sanitaire d’un salarié
justifiera la suspension du salaire pour deux mois, puis le licenciement. Mieux
encore : l’accès à l’hôpital, sauf
cas d’urgence, sera interdit sans passe sanitaire. Demain, on interdira à une
personne sans passe sanitaire de visiter un parent malade ou mourant à
l’hôpital. Et dites-vous bien que ce n’est qu’un hors-d’œuvre. Grâce aux
merveilles des technologies de l’information bien d’autres tours de vis sont
possibles. En voici quelques-uns, complaisamment suggérés par un récent rapport
du Sénat, qui a pas mal circulé sur la toile :
« - le contrôle des déplacements
: bracelet électronique pour contrôler le respect de la quarantaine, désactivation
du passe pour les transports en commun, détection automatique de la plaque
d'immatriculation par les radars, portiques de contrôle dans les magasins,
caméras thermiques dans les restaurants, etc. ;
- le contrôle de l'état de santé, via
des objets connectés dont l'utilisation serait cette fois-ci obligatoire, et
dont les données seraient exploitées à des fins de contrôle ;
- le contrôle des fréquentations, par
exemple aller voir un membre vulnérable de sa famille alors que l'on est
contagieux ;
- le contrôle des transactions,
permettant par exemple d'imposer une amende automatique, de détecter un achat à
caractère médical (pouvant suggérer soit une contamination, soit un acte de
contrebande en période de pénurie), ou encore la poursuite illégale d'une
activité professionnelle (commerce, etc.) en dépit des restrictions. »
Si, à la lecture de cela, vous haussez
les épaules et dites dédaigneusement « tout ce qui est excessif est
insignifiant, nous n’en arriverons jamais là », soyez assez aimable pour m’expliquer
ce qui vous donne la certitude que nous n’en arriverons jamais là.
Tous les arguments qui ont été avancés
pour justifier le passe sanitaire peuvent être utilisés avec autant de
plausibilité pour justifier les restrictions énumérées ci-dessus, que cela soit
pour cette pandémie ou pour la suivante ; ainsi que toutes les mesures
supplémentaires que pourra inventer le génie illimité des hommes lorsqu’il
s’agit de tourmenter ses semblables.
Et si vous m’opposez l’argument de
l’absence de proportionnalité entre ces contraintes tyranniques et l’épidémie
de Covid je vous répondrais qu’il y a bien longtemps que nous avons abandonné
toute capacité de discerner une juste proportionnalité entre la fin et les
moyens en ce qui concerne le Covid, sinon nous n’aurions pas eu trois
confinements successifs et aujourd’hui ce monstrueux passe sanitaire qui se
profile.
Nos gouvernants se sont fixés sur des
critères de décision absurdes et, entrainés par leur élan et le besoin de
justifier leurs mauvais choix initiaux, la machinerie administrative qu’ils ont
mise en route est en train de s’emballer et menace de tout écraser sur son
passage. Comme je l’ai déjà dit, je ne leur jette pas entièrement la
pierre : même s’il y a légitimement beaucoup à leur reprocher, nous ne sommes
pas non plus innocents dans cette situation : leur irrationalité est en
partie un reflet de la nôtre et la pandémie a fait ressortir chez trop de nos
concitoyens des choses bien laides et bien méprisables.
Pour tout dire, je ne suis pas sûr que
nous soyons capables, dans l’état actuel de notre déliquescence morale et
intellectuelle, d’autre chose que du choix lamentable qui nous est
proposé : le confinement ou le passe sanitaire. Je le dis en me défiant de
moi-même, et en souhaitant ardemment avoir tort, mais je le dis tout de même,
car cela me semble être la très triste vérité.
Alors, si vraiment il faut choisir
entre le confinement et le passe sanitaire, je choisis pour ma part le
confinement, et sans hésiter. Je le choisis précisément parce qu’il est
insupportable : ses effets destructeurs étant parfaitement visibles par
tout le monde et étant ressentis par tout le monde, ou presque, le confinement
ne peut être que temporaire. En revanche, la nocivité du passe sanitaire est
beaucoup plus pernicieuse, il ne touche dans un premier temps qu’une partie de
la population et, comme toutes les mesures d’essence despotique, il trouvera
toujours d’ardents soutiens parmi ceux – hélas nombreux – qui, pour pouvoir
parfois imposer leur volonté à leur semblables, acceptent d’obéir toute leur
vie. Le passe sanitaire peut donc devenir à la fois permanent et totalement
tyrannique, et il y a tout à craindre qu’il le devienne en effet.
Il n’y a pas besoin, pour cela, de
supposer un complot ourdi par Big Pharma pour augmenter ses bénéfices ; il
n’y a pas besoin de supposer que nos gouvernants soient particulièrement mal
intentionnés : il suffit de constater que les critères de décisions qu’ils
mettent en avant peuvent, sans y changer une virgule, justifier le despotisme
le plus complet.
Je contresigne des deux mains (si vous le permettez…) !
RépondreSupprimerDans mon immense magnanimité, je vous y autorise :-)
Supprimeret dire que nous rigolions encore il y a quelques années du crédit social chinois, nous y allons tout droit, ça en prend clairement le chemin...je dis souvent que l'administration française est comme le logiciel Skynet de Terminator, devenu complètement fou et cherchant à écraser ceux qu'il était censé protéger...de plus pour filer la métaphore, disons que nos ingénieurs en bureaucratie, en gros toute la classe politique, ont totalement perdu le contrôle du logiciel...et que pourtant ils continuent à ajouter des couches de complexité et de complexité sur le bidule...c'est ingérable.
RépondreSupprimerJ'ajouterai également que tous les gouvernements ont fait pareil que les Chinois, confiner une population, cet esprit grégaire des gouvernants est pour beaucoup dans la catastrophe que nous avons touché...
Enfin voyant le manque de sang-froid et comment cela fut géré, il faut espérer que la France n'ait pas à mener de guerre un peu sérieuse à ses frontières dans les prochaines années.
"Il n’y a pas besoin, pour cela, de supposer un complot..."
RépondreSupprimerVous êtes irrémédiablement niais ou très mal informé.
Sans pouvoir identifier ni le but ni les comploteurs il est flagrant que des réactions aussi grotesques et inappropriées et qui se produisent à l'échelle mondiale ne sont pas le simple effet de l'incompétence et de la corruption des gouvernants.
La plus grande ruse de Satan est de vous persuader qu’il n’existe pas.
RépondreSupprimerMais Satan existe réellement, et le Grand Conducateur, mari de Maman Brizitte est une de ses créatures.
"On ne pouvait pas empêcher qu’il y ait des morts, certes, mais au moins fallait-il que les gens puissent mourir à l’hôpital.".
RépondreSupprimerAu XXI° siècle, en Occident, mourir à l'hôpital est devenu un droit de l'homme.
Tout le reste en découle.
Magnifique !
RépondreSupprimerLe vaccin à ARN messager, technique totalement nouvelle, doit passer le crible des deux critères de tout traitement :
RépondreSupprimer1/ le remède est-il efficace ?
2/ le remède est-il nuisible à l'organisme ?
La réponse à la première question est : NON
La réponse à la seconde question est : on ne sait pas, car la technique de l'ARN messager est nouvelle, inconnue et non testée sur des animaux. Mais des effets à long terme sont possibles, comme des maladies auto-immunes. Le risque n'est pas quantifié, ni mesuré, et à plus forte raison maitrisé.
Je suis très impressionnée par cet article magistral !
RépondreSupprimerCependant lorsqu'au 4ème paragraphe vous écrivez : "Je ne crois pas pouvoir être contredit...", je ne me permettrais pas de vous contredire, mais simplement de vous faire remarquer que les "gens" dont vous parlez, pour qu'ils "puissent mourir à l'hôpital", il a fallu abandonner des malades atteints d'autres maladies que le Covid, à leur sort ?
C'est ce qui est arrivé à ma fille âgée de 50 ans que son médecin n'a pas réussi à faire hospitaliser à temps et qui est morte en moins de trois mois sans diagnostic et donc sans soins !
Mais bien évidemment. Les moyens étant nécessairement limités et les besoins illimités, il y a TOUJOURS des choix à faire en matière d'allocation de ressources et TOUJOURS des gens dont on peut dire qu'ils sont décédés "faute de moyens". C'est bien ce qui rendait le critère initial si absurde.
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