Fidèle à mon principe selon
lequel l’étude de la politique commence par l’étude des discours des hommes
politiques, je me suis infligé la purge consistant à lire la lettre de
candidature d’Emmanuel Macron aussi attentivement que me le permettait le
puissant ennui que dégage celle-ci.
Que nous dit donc cette
lettre ?
La première chose c’est
qu’Emmanuel Macron ne se fait manifestement pas beaucoup de soucis pour sa
réélection, pour ne pas dire qu’il la considère pratiquement comme acquise.
Cette « lettre », manifestement torchée en un quart d’heure sur un
coin de table par quelque communicant payé à prix d’or pour aligner les
clichés et les « éléments de langage » validés par le président-candidat,
est vraiment le minimum syndical de la candidature. On y trouve, précisément, en
abondance des clichés et des expressions toutes faites, qui, pour l’immense
majorité d’entre elles, pourraient convenir dans n’importe quelle situation, un
peu comme ces prévisions astrologiques suffisamment vagues pour n’être jamais
complètement fausses.
Dans Le Rouge et le Noir, Julien Sorel,
pour conquérir Mathilde, fait semblant de courtiser l’épouse snob et bigote
d’un vieux maréchal et, pour ce faire, lui envoie des lettres d’amour que lui
procure un ami russe, lettres dont ce Russe s’est servi autrefois pour faire la
cour à une dame anglaise. Julien envoie ces lettres quotidiennement en oubliant
parfois d’y changer Londres en Paris et, de manière générale, sans y faire
aucun des ajustements nécessaires pour les rendre appropriées à leur
destinataire. Mutatis mutandis, la lettre de candidature d’Emmanuel Macron
pourrait être une de ces lettres prétextes envoyées par Julien à une femme qui
lui est indifférente. Macron aime le pouvoir et voudrait continuer à l’exercer,
quel dommage et quel ennui que, pour cela, il faille obtenir l’assentiment des
Français !
La seconde chose que nous apprend
cette lettre, c’est qu’Emmanuel Macron considère qu’il gagnera sa réélection à
la fois sur sa gauche et grâce à l’électorat âgé. Dans sa lettre, il est
longuement question de « préserver et améliorer » le fameux
« modèle social français », il est question de combattre les
inégalités « à la racine », mais aussi de « permettre à chacun
de vivre le grand âge à domicile tant qu'il le peut » et de « faire
reculer les déserts médicaux ». Il est question d’écologie aussi, bien
sûr, et le président-candidat nous met en garde contre « le repli »,
« la nostalgie » et le fait de « ressasser » le passé. La
seule catégorie professionnelle à laquelle il s’adresse directement et
explicitement est celle des enseignants, à qui il promet que grâce à lui,
demain, ils seront « plus libres, plus respectés et mieux rémunérés. »
Il prononce aussi la formule magique qui les fait craquer à chaque fois :
« former non pas seulement des individus et des consommateurs, mais des
citoyens. »
Le régalien est abordé du bout
des lèvres et sous le seul angle des « moyens » - moyens qui, bien
évidemment, seront plus abondants une fois que Macron sera réélu car, demain et
grâce à lui, le lait et le miel couleront pour tous les Français et toutes les
catégories professionnelles. Le président-candidat nous affirme que pour lui
« le respect des lois n'est pas négociable » ce qui, sous une
apparence de fermeté, est proprement ne rien dire étant donné que la
caractéristique essentielle de la loi est précisément d’être obligatoire et de
prévoir des sanctions en cas de désobéissance.
Par ailleurs, dans cet inventaire
à la Prévert de toutes les choses qu’il considère comme importantes, un thème
est absent de manière très voyante : celui de l’immigration. Pas un mot,
pas même une allusion à ce sujet.
Bref, Emmanuel Macron se prépare
à un duel avec « l’extrême-droite », duel qu’il prévoit de remporter
largement grâce aux gros bataillons des profs, des boomers et des gagnants de
la mondialisation. A ces derniers il ne prend d’ailleurs même pas la peine de
s’adresser tant il les tient pour acquis. Sa lettre de candidature publiée dans
la presse quotidienne régionale fait l’impasse sur tous ceux qui ne lisent pas
cette presse, c’est-à-dire les habitants de métropoles. Eux, pourrait-on dire,
sont macronistes par nature et n’ont pas besoin qu’il les courtise.
Si nous nous demandons maintenant
quel est le fond du « projet » d’Emmanuel Macron, ce qu’il fera de
ses pouvoirs une fois que nous l’aurons reconduit pour cinq ans dans ses
fonctions, il apparait que son ambition fondamentale est d’adapter la France à
la marche du monde. « Le chemin qui doit être suivi », explique-t-il,
c’est celui de la « transformation ». S’il est candidat, c’est pour « inventer »,
pour inventer « une réponse française et européenne singulière » face
aux « défis du siècle ». Le changement, le changement sans finalité
définie autre que l’adaptation toujours recommencée à un monde toujours
changeant est le but ultime de l’action politique.
C’est à ce point qu’apparait une
difficulté. Une difficulté philosophique d’abord, car la transformation
présuppose une permanence plus fondamentale, qui permet de reconnaitre que la
chose transformée est bien la même que celle qui existait avant la
transformation. Lorsque, par exemple, nous disons de quelqu’un qu’il a bien
changé, nous impliquons qu’il est néanmoins toujours la même personne, et c’est
ce qui nous permet de constater le changement entre hier et aujourd’hui. Une
transformation dans laquelle l’identité du sujet n’est pas préservée n’est pas
un changement mais une destruction.
Ainsi, si le siècle a pour nous « des
défis », comme le dit Emmanuel Macron, c’est bien parce que certaines
situations menacent certains biens que nous voudrions conserver. Le flux des
événements n’est un défi pour nous que s’il nous empêche de persévérer dans
notre être.
Cette difficulté philosophique
débouche par conséquent sur une difficulté politique pour le
président-candidat. D’un côté, il faut « transformer »,
« inventer », et ne pas regarder le passé, car « L'enjeu est de
bâtir la France de nos enfants, pas de ressasser la France de notre enfance. »
Mais, d’un autre côté, il faut « préserver notre modèle social »
ainsi qu’un « art de vivre millénaire » et « enraciné dans
chaque région, chaque canton, chaque ville et chaque village. » Or qu’est-ce
donc que ce « modèle social » sacré et cet art de vivre millénaire
qu’il faut transmettre, si ce n’est la France de notre enfance qu’il nous est
interdit de ressasser ?
Le mouvement, le mouvement
permanent et sans finalité, est ce que souhaite Emmanuel Macron, car c’est dans
ce mouvement qu’il expérimente sa puissance d’agir en tant que gouvernant. Mais
la conservation de ce qui lui semble bon est ce que souhaite le citoyen
ordinaire, ou bien alors le changement de ce qui lui semble mauvais, mais le
changement en quelque chose de bon qu’il voudra ensuite précieusement
conserver. Bref, ce que veut Emmanuel Macron est essentiellement différent de
ce que veulent les Français dont il doit pourtant solliciter les suffrages.
Emmanuel Macron, pourrait-on dire, est dans la situation de ces rares personnes
qui aiment la guerre pour la guerre, alors que les soldats dont ils ont besoin
pour bâtir leur armée ne consentent en général à la guerre que parce que
celle-ci est la condition d’une paix juste et honorable.
Cette difficulté se donne
particulièrement à voir dans le « projet européen » d’Emmanuel
Macron. D’un côté, sa déclaration de candidature insiste sur l’indépendance de
la France : le mot est prononcé plusieurs fois. S’il est candidat c’est « pour
nous permettre aujourd'hui comme demain de décider pour nous-mêmes. » Mais,
d’un autre côté, il se félicite en ouverture de sa lettre de ce que
l’excellence des « réformes » entreprises depuis cinq ans nous ait
« permis d'être crédibles et de convaincre nos principaux voisins de
commencer à bâtir une Europe-puissance, capable de se défendre et de peser sur
le cours de l'Histoire. »
L’habileté rhétorique peut sans
doute dissimuler mais elle ne peut pas faire disparaitre le fait que vouloir
décider pour soi-même et vouloir être « crédible » aux yeux d’autrui
sont deux objectifs strictement contradictoires. De la même manière, l’indépendance
de la France est incompatible avec cette « Europe puissance » si chère
au cœur d’Emmanuel Macron, car la capacité d’action du tout dépend de la
parfaite coordination des parties qui le composent. L’Europe puissance suppose
que chaque pays membre de l’Union européenne cède sa puissance d’agir aux
institutions communes. Et, bien sûr, si Emmanuel Macron veut une « Europe
puissance » capable de « se défendre et de peser sur le cours de
l’histoire », c’est bien parce qu’il a jugé que la France n’est plus
capable de l’un et de l’autre.
La France selon Emmanuel Macron
est une pauvre chose impuissante ballottée par les flots de l’histoire, un fétu
de paille emporté par le vent du changement, dont le destin est de disparaitre
dans l’extase européenne ou de disparaitre tout court. L’Europe puissance est
désirable car elle donnera à des gens comme notre président la capacité de « peser
sur le cours de l’histoire », comme il le dit, et tant pis si cela
signifie la disparition de cette nation qui l’a porté à sa tête pour la
préserver et dont il sollicite à nouveau les suffrages.
Dans sa déclaration de candidature,
Emmanuel Macron fait encore une fois et outrageusement du « en même
temps ». Les Français ont pourtant eu cinq ans pour comprendre que
« en même temps » était un autre nom pour le mensonge. Le fait qu’il
persiste à leur mentir sans vergogne est la preuve de la piètre estime dans
laquelle il les tient. Nous saurons bientôt si cette appréciation est
justifiée.
Eh bien, nous voilà rassuré sur votre santé mentale, après avoir descendu Pécresse, Macron en prend aussi pour son grade, et à raison !
RépondreSupprimerNous attendons la suite...
Pour vos lecteurs qui aurait un peu de temps à perdre, ou plutôt à gagner, je conseille l'art d'avoir toujours raison de Schopenhauer, que l'on trouve à prix très modique.
@dsl: Hum, si vous conseillez ce livre de Schopenhauer, c'est que vous n'avez pas compris le précédent article sur le discours de Pécresse. ;-)
SupprimerAmike
"le lait et le miel couleront pour tous les Français et toutes les catégories professionnelles" Merde.. où est le vin ?
RépondreSupprimer"Le Coran décrit comme suit le paradis : « Il y aura des fleuves dont l’eau est incorruptible, des fleuves de lait au goût inaltérable, des fleuves de vin, délices pour ceux qui en boivent, des fleuves de miel purifié. »
Un grand merci pour vous être infligé ce véritable pensum.
RépondreSupprimerL'avantage de l'utilisation de clichés dans ce genre de lettre, c'est de la rendre éventuellement compréhensible même pour les "Français qui ne sont rien", ainsi que pour les "salariées illettrées", qui bénéficient - pour combien de temps encore - du droit de vote.
Nommer Macron, c'est augmenter le désordre du cosmos.
RépondreSupprimerCommenter du pseudo-Macron, c'est pire qu'une erreur, c'est une faute.
Excellente analyse qui m'a réjouie: j'avais refusé de m'infliger ce pensum.
RépondreSupprimerOrage