Il parait qu’en ce moment les
esprits s’échauffent au Parlement au sujet du projet de loi « Asile et
immigration ».
On se demande bien pourquoi.
Tous ces braves gens pensent-ils
réellement que le texte qu’ils vont voter va changer quoi que ce soit d’important
à la situation actuelle ? Pensent-ils vraiment que cette loi va modifier
substantiellement, dans un sens ou dans l’autre, les flots migratoires qui se
déversent sur la France ? Ou bien s’agitent-ils seulement pour la galerie,
pour justifier aux yeux du bon peuple leur fonction et leurs émoluments ?
Dans le second cas ils seraient
simplement hypocrites. On a l’habitude. Dans le premier cas ils sont soit
sérieusement ignorants (et coupables d’être ignorants, car leur fonction
comporte le devoir de s’informer sérieusement sur les sujets qu’ils traitent),
soit idiots.
Sur ce dernier point vous pensez que
cette hypothèse est fantaisiste ? Que celui qui n’a jamais entendu parler
Christophe Castaner me jette la première pierre.
Voilà déjà un bout de temps que
la France a perdu la maitrise de sa politique migratoire. En fait, elle l’a
perdu le 3 mai 1974, le jour où elle a
ratifié la Convention Européenne des Droits de l’Homme, même si les effets de
cette ratification ont mis un certain temps à se faire sentir.
Depuis ce jour fatal où nos
gouvernants ont jugé bon de passer la tête sous le joug de la CEDH, le
législateur français est, dans un grand nombre de domaines, devenu à peu près
semblable à un caniche que l’on promène au bout d’une laisse, et qui fait là où
on l’autorise à faire.
Sur la plupart des questions
régaliennes, nos gouvernants ne se meuvent plus désormais qu’à l’intérieur d’un
cercle devenu très étroit, au fur et à mesure que la Cour de Strasbourg raccourcissait
la laisse et assujettissait la muselière.
Je vous la fais courte, et le
moins technique possible.
L’article 3 de la CEDH prohibe
les « traitements inhumains et dégradants ». Fort bien, me
direz-vous. Sauf que lesdits « traitements inhumains et dégradants »
sont ce qu’il plaira à la Cour d’appeler comme tel, et qu’il lui a plu de
considérer de plus en plus de mesures comme « inhumaines et
dégradantes ». En fait, toute mesure de coercition est éminemment suspecte
aux yeux des juges de la CEDH, et il serait à peine exagéré de dire que, chaque
fois que les pouvoirs publics emploient la force physique pour contraindre un
individu, il y a, pour la Cour, présomption de traitement inhumain et
dégradant.
Songez que, par exemple, la Cour
a jugé contraire à l’article 3 le seul fait de placer un prisonnier en fauteuil
roulant dans une cellule à la porte trop étroite pour laisser passer le
fauteuil. Dans cet arrêt la Cour a pourtant reconnu les efforts considérables
déployés par l’administration pénitentiaire pour s’adapter aux besoins
particuliers de ce prisonnier. Elle reconnait aussi que celle-ci n’avait à
aucun moment l’intention d’humilier ledit prisonnier, et cependant elle estime
que le simple fait d’être détenu dans une cellule qu’il ne pouvait quitter sans
l’aide des surveillants a violé l’un de ses droits fondamentaux…
Autant dire que, pour un
gouvernement, contraindre des étrangers qui se trouvent sur son territoire à le
quitter devient très compliqué dans ces conditions. Toute action coercitive
risque d’entrainer à posteriori une censure de la CEDH, que ne se font pas
faute de saisir à tour de bras les associations immigrationnistes (et financées
largement par nos impôts) type GISTI ou Cimade.
Au nom de l’article 3, la CEDH va
également interdire l’expulsion de nombre d’étrangers, au motif qu’ils
risqueraient des « traitements inhumains et dégradants » dans leur
pays. Vous voulez expulser vers l’Algérie un terroriste notoire ou bien un imam
salafiste qui prêche ouvertement la destruction des mécréants ? Oubliez
ça. L’exquise sensibilité des juges de Strasbourg ne saurait souffrir une telle
perspective.
L’article 8 de la CEDH dispose
que "toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de
son domicile et de sa correspondance". Fort bien, me direz-vous. Mais au nom
de cet article, la CEDH a rendu progressivement inexpulsables des catégories de
plus en plus larges d’étrangers, au motif que les renvoyer dans leur pays
d’origine porterait une atteinte « disproportionnée » à leur
« droit à une vie familiale ». Désormais la Cour considère que
l’article 8 englobe même les étrangers célibataires et sans enfants lorsqu’ils
n'ont plus d'attaches avec leur Etat d'origine… Comme Humpty Dumpty dans Alice
au pays des merveilles, les juges de la CEDH pourraient affirmer :
« lorsque nous utilisons un mot – comme par exemple le mot « vie
familiale » ou « traitement inhumain et dégradant » - il
signifie exactement ce que nous voulons lui faire dire, ni plus ni
moins. »
La Cour de Strasbourg ne se cache
d’ailleurs nullement d’avoir une « interprétation évolutive » de la Convention
qu’elle est censée faire appliquer. Les arrêts de la Cour reposent ainsi sur
l’idée que la Convention Européenne des Droits de l’Homme n’a pas de
signification fixe mais doit être interprétée à la lumière des « évolutions
sociales ». Cela signifie en pratique que les juges ne sont plus tenus par le
texte de la Convention, mais qu’ils se donnent toute latitude pour créer les «
droits » qu’ils estiment requis par « l’évolution de la société », et pour
invalider les lois nationales qui ne leur paraissent pas conformes à ces «
évolutions ». Loin d’être des « gardiens fidèles » de la Convention, comme
l’auraient voulu les Etats qui ont rédigé et ratifié la Convention, les juges
de la CEDH deviennent ses créateurs.
Le protocole n°4 de la CEDH
prohibe les expulsions collectives (auxquelles peuvent être assimilées les
interceptions de migrants en haute mer, telles que les pratique par exemple
l’Australie), ce qui signifie que les pouvoirs publics ne peuvent,
théoriquement, affréter d’avion ou de train spécialement pour renvoyer chez eux
des immigrés n’ayant plus le droit de séjourner en France, et qu’ils doivent
donc leur trouver des places sur les vols réguliers. Or les compagnies
aériennes sont évidemment très réticentes à accueillir sur leurs lignes
régulières des gens que l’on renvoie chez eux par la force, de peur que le
spectacle rebute les autres passagers, ou ne déclenche des mouvements de
solidarités, ou de quelque manière affecte le vol.
Pendant longtemps, et fort
logiquement, le séjour irrégulier en France a été un délit (passible de 3750
euros d’amende, d’un an de prison, et de trois ans d’ITF). Mais par deux arrêts
rendus en 2010 et 2011, la CEDH a affirmé que le seul séjour irrégulier ne
pouvait pas constituer un délit. La Cour de Cassation a repris à son compte
cette jurisprudence, dans un arrêt du 6 juin 2012.
A la suite de cela, la loi Valls
du 31 décembre 2012 a supprimé du code pénal le délit de séjour irrégulier sur
le territoire français. Un étranger séjournant illégalement en France n’encourt
donc désormais plus aucune sanction pénale pour ce fait (et il ne peut donc
plus non plus être placé en garde à vue du seul fait de son absence de titre de
séjour).
La loi continue à prévoir que «
toute personne qui aura par aide directe ou indirecte facilité ou tenté de
faciliter l’entrée, la circulation et le séjour irrégulier d’un étranger en
France », peut être punie de 30 000 euros d’amende et cinq ans de prison. Mais
la même loi du 31 décembre 2012 a supprimé « les actions humanitaires et
désintéressées » du délit d’aide au séjour irrégulier. Aujourd’hui il n’est
donc pas illégal de nourrir, d’héberger et d’aider un migrant, à partir du
moment où aucune contrepartie, quelle qu’elle soit, ne lui est demandée.
Arrêtons-nous là. Vouloir
maitriser les flux migratoires tout en restant dans la CEDH - et en ayant des
cours nationales qui appliquent sa jurisprudence – revient à peu près à vouloir
battre Mike Tyson en ayant les deux mains attachées dans le dos.
Voilà la triste réalité
qu’ignorent, ou que feignent d’ignorer, nos législateurs. Les débats actuels au
Parlement portent donc, pour l’essentiel, sur des queues de cerise. Beaucoup de
bruit pour rien.
Comme le dit fort bien Renaud
Camus : « l’immigration, achetée jadis en tant que lézard décoratif,
est devenue entre-temps crocodile. Il occupe la moitié du salon, l’œil mi-clos.
De temps en temps, quand l’humeur taquine lui en prend, il dévore un bras ou
une jambe, pour passer le temps. Toutefois la convention est de faire comme
s’il n’était pas là, et de poursuivre la conversation par-dessus lui autour
d’une tasse de thé, en parlant des horaires des trains, tandis qu’il se
pourlèche les babines en sang. »
Le projet de loi « Asile et
immigration » n’est qu’une manière de continuer à prendre le thé en
faisant comme si le crocodile était encore lézard.
Si nous nous élevons au niveau
des principes qui guident les divers arrêts de la Cour, nous pouvons discerner
que le vice fondamental de sa jurisprudence est de traiter l’immigration comme
un droit naturel. Cela est plus net lorsqu’il est question de « droit
d’asile », mais est vrai pour l’immigration de manière générale.
Autrement dit, les juges de
Strasbourg paraissent considérer qu’un individu a un droit naturel – un droit
qui n’est pas donné par un gouvernement, mais qui appartient à tout homme en
tant qu’homme – à être admis dans le pays de son choix, et qu’il n’est possible
de le priver de l’exercice de ce droit que pour des motifs très graves et au
terme d’un procès équitable. De la même manière que, par exemple, un
gouvernement respectueux des droits de l’homme ne pourra, théoriquement, porter
atteinte à nos droits naturels à la vie, à la liberté et à la propriété que
pour protéger ces droits chez autrui ou pour préserver l’ordre social lui-même,
et seulement après nous avoir mis en état de nous défendre effectivement, au
terme donc d’une procédure judiciaire complexe comprenant certains éléments
invariables, tels que la présomption d’innocence, la publicité du procès, la
possibilité de recourir à un avocat, l’accès aux preuves et aux témoins, etc.
C’est ainsi que, de plus en plus,
pour refuser d’accorder à un immigré qui se présente à nos frontières un titre
de séjour ou le droit d’asile, nos pouvoirs publics sont obligés de passer par
des procédures qui s’apparentent à un procès fait au migrant : procédures
très lourdes, très complexes, et qui laissent aux avocats dudit migrant
quantité d’occasions de gripper la machine et d’obliger l’administration à lui
accorder finalement le titre de séjour convoité.
Une telle manière de procéder
pourrait éventuellement être tolérée si les candidats à l’entrée se comptaient
chaque année sur les doigts de quelques mains. Mais appliquée aux flux actuels
elle revient à laisser la porte grande ouverte. Ce que nous pouvons constater
de nos yeux presque tous les jours. Le lézard est devenu crocodile gigantesque.
Et il grossit toujours.
Il faut le dire et le redire
(puisque nous vivons au sein d’un régime politique où celui qui prétend à être
écouté dans la conversation civique doit parler le langage des droits de
l’Homme), cette conception de l’immigration n’est pas seulement désastreuse en
pratique, elle est aussi profondément fausse en théorie. Traiter la possibilité
d’immigrer comme un droit naturel est profondément contraire aux authentiques
droits de l’Homme, aux vrais droits naturels de l’être humain (à la différence
des « droits » inventés par des conventions ou des cours de justice).
L’une des conséquences du fait
que « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits »
est que, une fois qu’un peuple s’est constitué pour se donner un gouvernement,
nul n’a le droit de s’y joindre sans le consentement de ceux qu’il veut
rejoindre. Un étranger n’a pas plus le droit d’exiger d’être intégré à un
peuple déjà existant qu’il n’a le droit d’imposer sa présence dans une maison
où il n’a pas été invité. Toute communauté politique est libre d’accepter qui
elle le veut, quand elle le veut et selon les critères de son choix.
Mais pourtant, dira-t-on, les
étrangers qui veulent s’installer dans notre pays ne sont-ils pas des hommes
comme nous, pourvus des mêmes droits naturels ? Dès lors, un gouvernement qui
se donne pour tâche de protéger les droits naturels des individus ne doit-il
pas accepter tous ceux qui viennent se placer sous sa protection ? Les
étrangers qui se présentent chez nous n’exercent-ils pas simplement leur «
droit à la poursuite du bonheur », tout comme nous ?
Certes, nul ne peut leur
reprocher de se présenter là où ils estiment que leur vie sera meilleure, mais
il n’en reste pas moins que les migrants ne peuvent se prévaloir d’aucun droit
à être acceptés. Le gouvernement de la communauté particulière aux frontières
de laquelle ils se présentent est chargé de protéger la vie, la liberté et la
propriété des individus qui la composent. Il n’est en aucune façon chargé de
protéger la vie, la liberté et la propriété de ceux qui n’appartiennent pas à
cette communauté.
Dire que les migrants ont un
droit à être accueillis là où ils le désirent reviendrait à dire que le
gouvernement d’un pays a l’obligation de garantir les droits de n’importe
quelle personne dans le monde qui en ferait la demande. Une telle obligation
serait par nature à la fois impossible à remplir et injuste. Elle serait une
violation des termes du contrat initial selon lesquels nul ne peut être contraint
de s’associer avec ceux qu’il n’a pas choisi.
Comme le déclare le préambule de
la Constitution des Etats-Unis : « Nous, Peuple des États-Unis », établissons
une Constitution afin « d'assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à
notre postérité ». Pour les rédacteurs de cette Constitution, il allait de soi
que le peuple américain n’avait pas plus l’obligation « d’assurer les bienfaits
de la liberté » aux Mexicains ou aux Haïtiens que les Mexicains ou les Haïtiens
n’avaient l’obligation d’assurer ces bienfaits aux Américains. Il appartient à
chaque peuple de protéger par lui-même les droits naturels de ceux qui le
composent, et, si nous pouvons compatir avec les malheurs des peuples qui
échouent dans cette entreprise difficile, cela ne nous donne pas pour autant
l’obligation d’en accueillir tout ou partie sur notre sol.
Bien entendu cela ne nous exonère
pas de tous devoirs vis-à-vis des étrangers. Nous devons respecter leurs droits
naturels, c’est-à-dire ne pas nous en prendre à leur vie, leurs biens ou leur
liberté. Mais nous n’avons pas l’obligation de garantir l’exercice de ces
droits, et lorsque nous refusons d’accueillir un migrant nous ne violons pas
ses droits, nous ne commettons aucune injustice : nous le laissons simplement
dans l’état où il se trouvait avant.
En bref, l’égale liberté
naturelle de tous les hommes signifie à la fois que n’importe quel individu est
libre de quitter le pays dans lequel il habite, en emportant ses biens, car il
ne saurait être gouverné sans son consentement, mais également que nul ne peut
se prévaloir du droit d’être accueilli où que ce soit.
En oubliant, en négligeant, ou en
ignorant ce point fondamental, nos gouvernants – qu’ils soient en costume
cravate ou bien en robe d’hermine – détruisent peu à peu les communautés
politiques gouvernées par consentement qui sont pourtant censées être
indispensables pour garantir l’exercice de nos droits naturels.
En traitant l’immigration comme le
droit naturel qu’elle n’est pas, ils attaquent frontalement nos droits
naturels, ceux qui sont énumérés par exemple dans la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen de 1789.
Il est désormais à peu près
certain que nous ne pourrons éviter, collectivement, d’être dévorés par le
crocodile qu’à deux conditions. Sortir de la CEDH d’une part, et d’autre part
sortir de cette conception viciée de l’immigration qui domine actuellement,
conception qui n’est pas seulement celle de la Cour de Strasbourg, hélas, mais
aussi celle d’une bonne partie de nos élites politiques, judiciaires,
administratives et médiatiques.
Il n’est certes pas besoin
d’espérer pour entreprendre. Mais, tout en continuant à faire, à notre niveau,
ce qui doit être fait ici et maintenant pour notre pays, il n’est pas interdit
non plus de prendre ses dispositions pour essayer d’éviter, individuellement,
de finir dans les mâchoires du crocodile.
Merci beaucoup ce texte très éclairant.
RépondreSupprimerVous allez trouver que j'exagère (étant donné le travail que doit impliquer chacun de vos billets), mais je serais intéressé d'avoir votre point de vue sur la notion de "démocratie illibérale" qui est très récurrente dans les media actuellement.
C'est une idée, au cas où...
Merci, en tout cas.
Merci. Je vous avoue que je ne sais pas ce que désigne exactement ce terme de "démocratie illibérale". Je suppose que ça veut dire quelque chose comme "pas suffisamment social-démocrate" :-) Mais il y aurait sans doute quelque chose à creuser, effectivement.
SupprimerSi nous ne "le laissons dans l'état où il se trouvait avant" NOUs nous retrouveront dans l'état où il était avant.
RépondreSupprimerDésespérant.
Let's kill all the lawiers
Bien vu.
Supprimer