Le féminisme est l’une des
grandes forces politiques qui structurent nos démocraties sénescentes. Il trace
les limites de ce qui peut se dire sans danger dans la conversation civique au
sujet des rapports entre les hommes et les femmes. Il change peu à peu les
mœurs et les opinions dans quantité de domaines cruciaux, la famille,
l’éducation, la sexualité, la manière dont nous nous concevons et nous
comportons en tant qu’être sexués. Il modifie les lois, et jusqu’à la
Constitution, pour mettre celles-ci en conformité avec ses principes de base.
Très peu de gens peuvent se vanter d’être insensibles à ses arguments, à sa
rhétorique, à sa puissance d’intimidation.
Ou, plus exactement, très peu
d’Occidentaux. Nous reviendrons sur ce point.
Peu osent s’élever contre cette
force très puissante, qui peut faire et défaire les réputations, qui peut
briser ou au contraire accélérer les carrières. Les hommes, tout
particulièrement, craignent de prendre publiquement fait et cause contre le
féminisme. C’est que les risques sont objectivement très grands pour ceux qui
ambitionnent de faire une carrière politique ou bien de percer dans la
république des lettres, c’est-à-dire pour ceux qui, peu ou prou, alimentent la
conversation civique. C’est aussi qu’il est difficile d’articuler publiquement
une position qui semble motivée uniquement par des motifs personnels. Un homme
qui attaque le féminisme ne le fait-il pas parce qu’il regrette le bon temps du
patriarcat, ou, pire encore, par pure et simple misogynie ? Avant même
qu’il ait pu avancer ses arguments il aura dû se défendre contre l’accusation
véhémente de vouloir confiner les femmes dans leur cuisine et rétablir le droit
de cuissage, ou contre l’insinuation infâmante qu’il est trop peu sûr de sa
propre virilité pour supporter de vivre avec des femmes qui soient ses égales.
Encore heureux s’il peut dépasser ce stade du tir de barrage sans être anéanti
ou discrédité. Et puis c’est aussi que les hommes craignent de perdre l’estime
des femmes en dénonçant le féminisme, même si peu oseraient l’avouer ou se
l’avouer.
Les hommes se répartissent donc
schématiquement en trois catégories. Ceux qui préfèrent essayer de s’accommoder
tant bien que mal de la domination du féminisme, en baissant la tête lorsqu’il
le faut et en maugréant intérieurement de devoir baisser la tête. Ceux qui font
publiquement assaut de féminisme pour essayer de se gagner les bonnes grâces
des femmes et pour avancer leur carrière. Et ceux qui, par réaction, se
réfugient dans une virilité outrancière qui, moralement et intellectuellement,
ne vaut pas mieux que le féminisme qu’ils prétendent combattre.
Par conséquent, la résistance au
féminisme doit venir d’abord des femmes. Il faut que certaines d’entre elles
osent se dresser publiquement contre les féministes qui prétendent parler au
nom des femmes avant que, éventuellement, des hommes puissent joindre leurs
voix et leurs arguments aux leurs.
Fort heureusement pour les deux
sexes, il existe des femmes qui ont à la fois la clairvoyance et le courage de
défier haut et fort le clergé féministe et de dénoncer la nocivité de son
dogme.
Une partie de celles qui prennent
la parole contre le féminisme le font au nom de ce que l’on appelle souvent
« les valeurs traditionnelles », c’est-à-dire, pour simplifier
légèrement, au nom de la famille et du catholicisme. Ou, plus exactement, au
nom d’une conception de la famille fortement teintée de catholicisme. Ces
femmes-là, il faut hélas le reconnaitre, sont assez peu audibles. Les médias,
qui sont presque unanimement progressistes, éprouvent pour elles une hostilité
instinctive et il leur est très facile de les caricaturer et de déformer leurs
arguments. Les obstacles qu’elles doivent franchir pour se faire entendre dans
la conversation civique sont, pour le moment, presque aussi insurmontables que
ceux des hommes.
Mais d’autres femmes défient le
féminisme au nom de la joie de la complémentarité des sexes. Elles prennent la
défense des hommes ou, plus exactement, de la virilité, face aux assauts du
féminisme en affirmant que « la polarité est essentielle à la civilisation
et à la joie de vivre ». Ces femmes défendent par exemple la figure
aujourd’hui honnie du dragueur ou de « l’homme à femmes » et récusent
avec force l’idée que les femmes seraient de pauvres créatures innocentes soumises
bien malgré elles à la concupiscence masculine. Elles parlent avant tout le
langage de l’amour, de la galanterie, du désir, et de la littérature, pour qui
ces thèmes sont bien évidemment centraux, au moins depuis le 18ème
siècle.
Bérénice Levet appartient à cette
seconde catégorie, bien plus redoutable pour les féministes que la première. Le
titre de son dernier ouvrage, « Libérons-nous du féminisme ! »,
sonne comme un appel au combat et son sous-titre dit tout de la teneur de son
argument : « Nation française, galante et libertine, ne te renie
pas ! ».
Bérénice Levet attaque en effet
frontalement le féminisme au nom d’un certain art de vivre à la française,
l’art de la mixité et de « l’érotisation des relations », qui consiste,
dit-elle, dans le fait « d’exalter la polarité, d’adopter des manières qui
agréent, au sens fort, aux deux sexes et qui font que chacun recherche la
présence de l’autre, et ce en dehors de toute visée amoureuse, conquérante,
simplement pour la saveur d’une telle atmosphère, pour la beauté du geste, si
l’on peut dire. »
Pour le dire autrement, Bérénice
Levet veut réhabiliter le goût de la différence des sexes face à un féminisme
qui emploie toute son énergie à faire des hommes des femmes comme les autres,
et elle veut réhabiliter les mœurs françaises contre un féminisme qui est tout
autant en guerre contre la nation qu’il est en guerre contre la virilité.
Elle le fait avec intrépidité,
avec intelligence, avec pertinence, avec fermeté et, faut-il le dire ?
d’une manière à la fois éminemment féminine et éminemment française.
Son livre a pour épigraphe une
citation de Nietzsche : « J’ai toujours mis dans mes écrits toute ma
vie et ma personne. J’ignore ce que peuvent être des problèmes purement
intellectuels. », et l’on sent effectivement presque à chaque page, que
Bérénice Levet vit profondément son argument, qu’elle est à la fois habitée par
le goût de la compagnie des hommes et par l’amour de la France.
« Que signifie notre réputation
de nation libertine ? », écrit-elle, « Une nation que le désir
n’effarouche pas. Complaisance envers les hommes, ainsi que les féministes
américaines nous en accusent volontiers ? Nullement ! Délectation partagée ! Ce
n’est pas une concession que les femmes font aux hommes que de vivre, de
travailler, de converser, de faire l’amour avec eux. Les femmes, françaises en
tout cas, ne souhaitent nullement et n’ont jamais souhaité vivre entre elles,
loin des hommes, séparées d’eux. Il nous faut le marteler. »
« Messieurs, ne nous laissez
pas seules avec les femmes ! » supplie-t-elle dans l’un de ses
chapitres. « La saveur de l’existence tient à la polarité, aux
chatoiements des deux sexes, la France l’a toujours su. »
Il faut du courage pour oser dire
aujourd’hui publiquement, en ces temps de « #balancetonporc », que
« pour la femme, l’enfer, ce n’est pas les autres, c’est l’indifférence ou
la neutralité du regard masculin » ou pour « confesser » que
« les hommes qui sont encore capables d’être distraits de leur travail par
une collègue ou, dans la rue, détournés de leurs Smartphones par une femme qui
passe me rassurent. Ils sont capables d’un écart, d’un pas de côté, ils sont du
côté de la beauté, du plaisir, de la volupté. »
Bérénice Levet n’a que mépris
pour « ce féminisme victimaire, pleurnichard, répressif, régressif et
belliqueux, auquel l’affaire Weinstein a apporté l’ultime consécration »,
ce féminisme qui est aujourd’hui le véritable ennemi des femmes et dont il est
urgent de nous émanciper, hommes et femmes, ensemble.
Dont il est urgent aussi de nous
émanciper en tant que Français, car le féminisme attaque à la racine l’un des
traits essentiels de la nation française, l’équilibre que celle-ci avait su
construire patiemment au cours des siècles entre le commun et le privé, entre
le domaine où la différence des sexes est censée être secondaire et le domaine
où cette différence est exaltée. Cet équilibre est en effet un chef-d’œuvre de
civilisation, qui faisait largement droit à la fois au désir légitime de chaque
individu d’être jugé sur ses qualités et ses talents, et non sur son sexe, et à
la complémentarité naturelle des hommes et des femmes, qui implique que chaque
sexe a ses domaines d’action privilégiés. Bérénice Levet comprend parfaitement
que bouleverser cet équilibre au nom d’une chimérique
« émancipation » est porteur de graves conséquences politiques, et
elle voit notamment très bien que le féminisme fait aujourd’hui le lit de
l’islamisme, que le féminisme, sans bien s’en rendre compte peut-être,
travaille en réalité à l’extension des mœurs musulmanes sur la terre de France.
« Etre féministe »,
écrit Bérénice Levet, « c’est ainsi être désespérément absent des seuls
lieux et des seules causes où être féministe garderait un sens et une urgence.
Les féministes accusent la France de demeurer une société patriarcale, mais si
patriarcat il y a encore dans notre pays, c’est seulement là où elles refusent
de le voir, dans les territoires dont les clefs ont été remises aux islamistes
et placés sous leur juridiction. Il s’agit d’un patriarcat
d’importation. »
Bérénice Levet taille en pièces
un certain nombre de « fake news » du féminisme et révèle, ou
rappelle, pour ceux qui ont déjà étudié la question, la profonde malhonnêteté
intellectuelle de ce mouvement idéologique.
Parmi de nombreux mérites, le
livre de Bérénice Levet a ainsi celui de faire justice une bonne fois pour
toute du mythe des deux féminismes. Selon ce mythe, il y aurait un bon
féminisme, universaliste et raisonnable, celui des années 60 et 70, et un
mauvais « néoféminisme », importé d’outre-Atlantique, qui serait
communautariste et agressif. Il faudrait donc ne pas jeter le bébé avec l’eau
du bain, c’est-à-dire ne pas confondre le féminisme avec les excès d’une
« féministe » de carrière comme Caroline de Haas, qui n’hésite pas à
déclarer avec un aplomb pyramidal : « un homme sur deux ou trois est
un agresseur sexuel. » Mais la réalité est que « le ver était dans le
fruit », affirme sans ambages Bérénice Levet, « le ver de la haine
des hommes, de la guerre des sexes, de la criminalisation du désir et de la
sexualité masculine, des batailles linguistiques et sémantiques, et même de
l’épuration culturelle. Le néoféminisme ne trahit pas le féminisme, il le
parachève, il en prolonge l’inspiration et les élans initiaux. Entre le
néoféminisme et le féminisme, il y a bien filiation et non traitrise ou
rupture. »
Et c’est bien pour cela qu’il
faut nous libérer du féminisme tout court, et non simplement du néoféminisme.
Ce qui a pu nous donner
l’illusion qu’il existait deux féminismes est le fait que, durant quelques
décennies, mettons jusqu’au début des années 1990, le féminisme qui sévissait
en France comme dans toutes les démocraties occidentales a été tempéré par les
mœurs françaises, par le goût français pour la mixité, la galanterie, le
libertinage. Mais ces mœurs ont fini par céder du terrain, sous les coups de
boutoir de la propagande féministe, des changements législatifs qu’elle
induisait, et de l’importation massive de populations venues de pays aux mœurs pour
le coup réellement patriarcales. Le féminisme « à la française » n’a
jamais existé. Ce qui a existé un temps, c’est un féminisme qui devait composer
avec le tempérament français. Aujourd’hui que ce tempérament a été discrédité,
a disparu peut-être, le féminisme fait rage dans toute sa hideuse vérité. Ecole
du ressentiment, école de la laideur, école de la bêtise, école du malheur.
Comme l’écrit justement Bérénice
Levet, « être, se dire « féministe », ce n’est pas simplement
dénoncer les inégalités entre les deux sexes et travailler à les abolir, c’est expliquer ces inégalités par la volonté
masculine de dominer les femmes, de se les soumettre, et ce depuis l’aube de
l’humanité et partout dans le monde. »
Bref, le féminisme est une
idéologie qui conduit fatalement à la haine des hommes, et si certaines
féministes en sont exemptes c’est en contradiction avec leurs propres
principes.
Cela peut se démontrer simplement
(et on aurait aimé que Bérénice Levet insiste peut-être davantage sur cette
logique des idées féministes). L’axiome de base du féminisme est l’absence de
différences naturelles entre les hommes et les femmes. Psychologiquement,
moralement, si ce n’est physiquement, hommes et femmes sont identiques. Cet
axiome tient tout entier dans le célèbre aphorisme de Simone de Beauvoir :
« On ne nait pas femme, on le devient ». La féminité est « une
construction sociale », tout comme la virilité. Par conséquent, si l’on
constate des inégalités entre les deux sexes dans la distribution des places et
des honneurs, cela sera aussi interprété comme une « construction
sociale », comme le produit de la volonté de certains, et non comme le
résultat spontané des goûts et des talents propres à chaque sexe. Etant donné
que, selon les féministes, la part traditionnellement dévolue aux hommes est la
part désirable (autrement dit, l’homme est le modèle implicite), ces inégalités
seront comprises comme défavorisant les femmes. Puisque nul n’est
volontairement injuste envers lui-même, ces inégalités ont donc été imposées
aux femmes par les hommes (profitant peut-être d’une différence naturelle, leur
plus grande aptitude à la violence). Et si ces inégalités persistent
aujourd’hui encore, c’est nécessairement la faute des hommes. Les hommes sont
donc des oppresseurs, et à supposer même que nous arrivions un jour à édifier
une société sexuellement neutre, il n’en resterait pas moins vrai que les
hommes ont « contracté à l’égard des femmes une dette à jamais insolvable
qui autorise de la part des femmes toutes les humiliations », comme le dit
Bérénice Levet.
A cette logique de base sont bien
sûr venus se rajouter d’autres éléments au fil du temps. D’une part, dénoncer
l’oppression prétendument exercée par les mâles blancs est un bon moyen de
prendre leur place. Les quotas de femmes, explicites ou implicites (et les
quotas implicites sont de loin les plus importants, la plupart des professions
et des organisations ayant depuis longtemps devancé la loi) sont une aubaine
pour la partie carriériste de l’humanité féminine. Et d’autre part, fort
logiquement, le mouvement féministe a été largement investi au fil des années
par des femmes qui, pour des raisons personnelles diverses et avant même d’être
féministes, détestaient la gent masculine.
Fort logiquement aussi, le
domaine de la sexualité est celui qui, depuis le début, a concentré l’attention
et l’ire des féministes. Il est effet celui, peut-être, ou les différences
naturelles entre les deux sexes, tant physiques que morales, se donnent le plus
nettement à voir. La sexualité, et tout ce qui l’accompagne, est aussi ce qui a
toujours motivé une abondante fraternisation avec l’ennemi. Non seulement les
femmes ont (continuent à avoir) une approche de la sexualité bien différente de
celle des hommes, mais en plus elles continuent à être attirées par la
virilité, y compris contre leurs propres principes, comme plus d’une féministe
l’a appris à ses dépens. Il y a là un double scandale qui excite
particulièrement la rage des féministes et qui suscite inépuisablement en elles
l’envie du pénal, selon le jeu de mots profond de Philippe Muray.
On comprend donc parfaitement que
Bérénice Levet soit particulièrement inquiète de l’emprise croissante de ce
qu’elle appelle « les nouvelles inquisitions » qui forment le sujet
de la seconde partie de son livre. « Surveiller et punir les hommes,
édicter des normes, codifier le jeu du désir, armer juridiquement les femmes
contre cette espèce terrifiante que serait le sexe opposé. La loi s’immisce
ainsi dans les relations entre les hommes et les femmes, réglées jusqu’alors
par les seules mœurs », écrit-elle. « Quel que soit l’endroit où
elles se trouvent, les femmes doivent savoir qu’elles ont à leur disposition un
instrument juridique les protégeant contre l’éventuel mais tellement probable
prédateur qu’elles seront amenées à croiser au cours de leur journée. Et on
n’en reste pas là. On investit le domaine de la culture : on rouvre les
livres, on réécoute les opéras, on scrute les tableaux exposés dans nos musées,
on visionne les chefs-d’œuvre du cinéma. Tous sont revus et jugés à une aune exclusive :
le traitement réservé aux femmes. Le verdict tombe : baiser volé,
consentement incertain, rapt, second rôle, sexisme. »
On comprend aussi que son livre
soit, en conséquence, et pour une bonne part, un éloge, une défense et une
illustration de cet art très français « d’exalter la polarité des sexes ».
Toutefois, cet angle d’attaque,
pour légitime qu’il soit, marque aussi les limites de son approche.
Bérénice Levet voit dans le
féminisme un puritanisme d’un nouveau genre. « Par
« puritanisme » j’entends une hantise de la chair, des sens, du
désir, du jeu – point capital, car nos néoféministes ne rigolent pas ! –
qui s’instaure entre les deux sexes, une répulsion pour la sexualité »,
écrit-elle.
Et il est vrai que les récents
développement comme « #balancetonporc » ou la loi
Schiappa contre le « harcèlement de rue » vont incontestablement en
ce sens. Mais se focaliser sur le caractère profondément anti-érotique du
féminisme risque de nous faire perdre de vue les liens très étroits que cette
idéologie entretient avec ce que l’on a appelé la « libération
sexuelle ».
Les deux idéologies se rejoignent
à leur racine commune : la négation de la nature. Le féminisme nie qu’il
existe des différences naturelles d’ordre psychologique entre les hommes et les
femmes (et aujourd’hui en vient même à nier qu’il existe des différences
physiques), le mouvement de la libération sexuelle nie qu’il existe des limites
naturelles d’ordre psychologique à la sexualité humaine. Le féminisme voit dans
le féminin et le masculin des « constructions sociales », les tenants
de la libération sexuelle voient dans la pudeur, la honte, l’ambivalence des
sentiments, et plus généralement dans toute limite morale posée à l’usage de
nos organes génitaux, des « constructions sociales » fondamentalement
arbitraires. Pour les féministes, partout où il y a un homme il pourrait (il
devrait) y avoir une femme, pour les tenants de la libération sexuelle il
n’existe aucune raison que la sexualité ne puisse pas devenir une activité
purement récréative pour l’être humain.
Pendant un temps les deux
mouvements ont fait cause commune. A ses débuts, le féminisme voyait dans la
sexualité l’une des causes essentielles de l’assujetissement des femmes aux
hommes. En matière de sexualité, disaient les féministes, les femmes ont
toujours été confinées dans un rôle passif. L’homme est censé prendre
l’initiative en tout : l’initiative de manifester son intérêt pour telle
ou telle femme (de « draguer »), l’initiative d’initier le rapport
sexuel, durant ce rapport il pénètre et elle reçoit, etc. Pire, sans doute, les
femmes avaient tendance à manifester une dépendance sentimentale déplorable
vis-à-vis des hommes avec lesquelles elles avaient des rapports sexuels. Elles
ne pouvaient pas s’empêcher d’espérer être rappelées le lendemain d’une nuit
torride, et s’indignaient si elles ne l’étaient pas. Et puis, bien entendu,
elles portaient les enfants, ce qui les rendait encore plus dépendantes des
hommes à tous points de vue.
Ceci devait changer, proclamèrent les féministes,
et les femmes elles aussi devaient à l’avenir manifester une
« indépendance virile » en matière de sexualité. Les femmes devaient
multiplier les partenaires sexuels sans honte et sans remords, et elles
devaient être délivrées des conséquences de la sexualité par un accès illimité
à la contraception et à l’avortement, avortement qui devait lui aussi être
pratiqué sans honte et sans remords. C’est à ce prix que les femmes seraient
enfin émancipées des hommes et qu’elles se guériraient du mythe « romantique »
de l’amour hétérosexuel.
Les féministes soutinrent donc le
mouvement de libération sexuelle à ses débuts. Il s’est avéré depuis, comme
cela était parfaitement prévisible, que ce mouvement a surtout joué en faveur
de certains hommes, car, comme le savaient nos grands-parents, les hommes sont
par nature mieux équipés que les femmes pour être des cavaleurs (ce qui ne veut
pas dire que cavaler soit une bonne chose pour eux, mais c’est une autre
question). Beaucoup de femmes ont fini par se rendre compte que la
« libération sexuelle » n’est peut-être pas une si bonne affaire que
cela. Néanmoins les dogmes fondamentaux restent intacts. Pudeur, chasteté,
tempérance, sont des inventions masculines destinées à asservir les femmes. Une
femme peut multiplier les partenaires sexuels et s’en porter très bien. La
liberté totale d’avorter quand la femme le souhaite est un bien indiscutable,
et ainsi de suite. Si la libération sexuelle n’a pas apporté tous les bienfaits
que l’on en espérait, c’est simplement parce que les hommes n’ont pas
suffisamment tenu compte de la volonté
de leurs partenaires (mais pouvait-on attendre autre chose de la part de ces
oppresseurs patentés ?). Désormais, il faudra les forcer à se soucier du consentement de la femme à chaque étape
de la « relation », voilà tout.
Mais l’accent mis sur le
consentement comme critère exclusif du bien et du mal en matière de sexualité montre
bien que la perspective fondamentale reste la même : la nature humaine ne
pose pas d’obstacles à la souveraineté sexuelle de l’individu.
Par conséquent, le féminisme
n’est pas seulement un puritanisme, il est aussi un libertinage, mais un
libertinage triste, totalement in-érotique, un libertinage pour le principe. Plus précisément, le féminisme, d’une part,
encourage les femmes à « explorer leur sexualité », à multiplier les
« expériences », à tenir pour de vieilles lunes répressives les
adages de nos grands-mères (pourvu qu’elles aient été encore suffisamment
obscurantistes), du genre « ne lui donne pas trop vite ce qu’il veut, ou
bien il ne se souciera plus de toi », mais, d’un autre côté, il encourage
une répression tous azimuts de toutes les expressions du désir proprement
masculin, que cela soit dans la pénalisation des clients des prostitués, dans
la traque du « harcèlement de rue », ou même dans les œuvres d’art
(produites par des hommes, cela va de soi) qui encourageraient la
« culture du viol ». Les hommes doivent cesser de se comporter comme
des hommes, ou bien sinon…
Nous avons donc d’un côté une exaltation
de la sexualité telle que les féministes la voudrait, c’est-à-dire totalement
libérée de la nature (plus d’enfants, plus d’amour, plus d’ambiguïtés, plus
d’inégalités), et de l’autre côté une répression de la sexualité réelle, celle
qui implique des hommes et des femmes de chair et de sang, avec leurs
imperfections et leurs différences naturelles.
Bérénice Levet voit très bien le
second aspect, et porte le fer de ce côté-là, mais, si elle admet bien
volontiers que la libération sexuelle est une chimère – « car le sexe
n’est pas sans ombre » - elle ne parait pas voir que les deux aspects sont
liés. Il n’est pas tout à fait exact, comme elle l’affirme, que nous en sommes
venus à regarder « avec suspicion, hantise, dégoût tout ce qui touche de
près ou de loin à la sexualité ». Nous vivons aussi dans une société où
les mœurs sont particulièrement relâchées, ou la pudeur semble parfois avoir
disparu, ou des océans de pornographie sont en accès libre en quelques clics
sur internet, ou les enfants sont soumis pratiquement dès leur plus jeune âge à
un processus intensif de « sexualisation », par l’intermédiaire des
jouets, de la télévision, de l’école, etc. Les deux phénomènes ont la même
racine, et tendent à se renforcer l’un l’autre.
Encourager les hommes et les
femmes à croire qu’ils sont fondamentalement identiques et que le consentement
est la seule boussole valide en matière de sexualité ne peut que provoquer bien
des déconvenues, bien de l’insatisfaction, bien du ressentiment, bien de la
méfiance, d’un côté comme de l’autre. Ces déconvenues engendrent la répression
à laquelle nous assistons actuellement, afin d’essayer de faire en sorte que la
réalité se conforme aux chimères de l’idéologie, et plus les déconvenues
s’approfondissent plus la répression est féroce et la propagande stridente,
comme à l’habitude en pareil cas.
Pour un nombre semble-t-il
croissant d’hommes, la pornographie constitue une échappatoire à cette réalité
déplaisante. Le sexe sans relations, la sexualité auto-centrée qui dispense de
la rencontre risquée, et même de plus en plus risquée, avec l’autre sexe. Les
femmes, en revanche, semblent bien moins séduites par ce substitut qui, tout
comme la drogue, vous apporte un soulagement temporaire à vos problèmes tout en
les aggravant. Seule une féministe professionnelle pourra être surprise par une
telle situation.
Nous avons donc besoin de nous
libérer du féminisme, en effet, mais nous avons aussi besoin de nous libérer du
mythe de la « libération sexuelle », et l’un n’ira pas sans l’autre.
Par conséquent, réhabiliter la galanterie, le marivaudage, le goût des jeux de
l’amour et du hasard, comme s’y emploie Bérénice Levet, n’est pas suffisant et
pourrait même, si nous n’y prenons pas garde, se révéler contre-productif.
Pour le dire de manière peut-être
un peu injuste, mais pas entièrement injuste, l’argument de Bérénice Levet a un
petit côté « salon littéraire » qui restreint quelque peu sa portée
et qui risque surtout de nous faire passer à côté d’un point capital.
Il est entièrement vrai que,
comme le dit l’auteur de « Libérons nous du féminisme ! », en
dépit de la propagande féministe, l’immense majorité des femmes « ne
souhaitent nullement et n’ont jamais souhaité vivre entre elles, loin des
hommes, séparées d’eux. » Mais si elles souhaitent vivre en compagnie des
hommes, ce n’est pas seulement pour « travailler, converser, faire l’amour
avec eux », pour profiter des joies de la polarité, c’est aussi très
souvent et plus banalement pour fonder une famille.
Or c’est ce désir, tout autant et
même plus que les joies du marivaudage, qui est puissamment contrarié par le
féminisme, car celui-ci n’est pas seulement une guerre contre les hommes et
contre la sexualité masculine, il est aussi et pour les mêmes raisons une
guerre contre la famille. « L’émancipation » des femmes est une
émancipation par rapport aux hommes et aux enfants. La
« déconstruction » de la féminité est aussi, nécessairement, une
« déconstruction » de la maternité, de sorte que si, dans les siècles
passés, les femmes étaient retenues
sur le chemin des carrières qu’elles auraient pu avoir, elles sont maintenant poussées plus loin qu’elles désireraient
peut-être aller. Ou, pour le dire autrement, les aspirations domestiques que la
plupart d’entre elles continuent malgré tout à avoir sont constamment
contrariées et dévalorisées, et peinent de plus en plus à se réaliser. Ce point
est très important, y compris du point de vue de la progression de l’islam qui,
à juste titre, inquiète fort Bérénice Levet. Comme le note avec pertinence
Alain Besançon :
« Un argument fort est d’habitude
opposé à ces hypothèses de conversion : jamais les femmes ne consentiront au
statut prévu pour elles dans la loi de l’islam. Peut-être, mais il faut
considérer le sort peu enviable des femmes dans la société démocratique
contemporaine. Pour mille raisons, qu’il n’y a pas lieu de détailler ici, elles
sont exposées à un risque très fort de célibat, de stérilité, de solitude.
L’islam leur offre une condition qu’aujourd’hui elles trouvent peu plaisante,
mais qui comprend tout de même, et presque automatiquement, l’accomplissement
d’un désir que l’on n’ose plus qualifier de naturel, mais présent chez tout de
même chez beaucoup, bien qu’il leur arrive de le nier : le mariage et les
enfants. »
Parmi les « milles raisons »
dont parle Alain Besançon, le féminisme et la « libération sexuelle »
pèsent assurément très lourd.
Nous n’avons donc pas seulement
besoin d’une défense de la galanterie et des grandes œuvres des siècles passés,
mais aussi besoin d’une certaine réhabilitation des vertus domestiques. Comme
l’écrit avec justesse, et non sans une légère malice, Harvey Mansfield :
« Pour la grande majorité
des êtres humains, le bonheur se trouve au sein d’un foyer heureux. Diriger un
foyer est l’ambition modérée et accessible de la plupart des femmes ; c’est à
cet endroit qu’elles trouvent l’honneur et la joie. C’est à cet endroit
qu’elles trouvent le plus aisément la « reconnaissance », si nous devons
employer ce mot. Le mari doit apporter sa contribution au foyer et il y a des
tâches qui, par nature et par convention, sont les siennes ; nous pouvons
ajouter ou retrancher à ces tâches, dans chaque cas après négociation entre les
parties intéressées. Le résultat est que chaque foyer sera unique. Cependant la
femme devrait vouloir diriger et être responsable du foyer, car donner à son
mari une égale responsabilité signifierait perdre sa souveraineté sur
l’ensemble. Une femme avisée voudra-t-elle laisser son mari décider quand la
maison est propre ? »
Pour le dire en termes plus
politiques, les femmes qui, comme Bérénice Levet, combattent le féminisme au
nom des bienfaits de la mixité doivent, pour triompher, faire cause commune
avec celles qui le combattent au nom de la famille, et doivent parvenir à
élaborer un discours qui fasse droit à ces deux aspects de la nature
humaine : l’érotisme et la famille.
Ces deux aspects ne se confondent
pas, et ils peuvent parfois être en tension, mais ils ne sont pas
contradictoires, bien au contraire. Le trait d’union entre les deux est la
chasteté. La chasteté, qui n’est ni la continence, ni l’indifférence, ni la
froideur, mais simplement la conscience du fait que la sexualité humaine a
nécessairement une dimension morale très importante et qu’elle ne saurait se
réduire à une activité récréative visant au seul plaisir des participants. La
chasteté, qui est une forme de tempérance et qui vise à accorder aux joies de
la chair leur juste place dans le tout de la vie humaine. Il revenait
traditionnellement aux femmes, et pour d’excellentes raisons, d’être les
gardiennes de cette vertu et de l’enseigner aux hommes ; cette vertu qui
est indispensable non seulement à la famille mais aussi à l’érotisme au sens
vrai du terme et qu’il est urgent de réhabiliter, ce que seules les femmes
peuvent accomplir, même si les hommes peuvent les y aider. Il n’est rien de
plus ennuyeux et de plus fade, en définitive, qu’une sexualité
« libérée », rien de plus opposé à ce goût du jeu, de la séduction,
de la légèreté, que Bérénice Levet défend avec brio dans son livre.
Excellent, comme d'habitude. La citation d'Alain Besançon fait froid dans le dos : on est mal barrés...
RépondreSupprimerElle est également étonnante (cette citation), dans la mesure où on pourrait croire lire un paragraphe de Houellebecq.
SupprimerDe fait. Les grands esprits, et toutes ces sortes de choses...
SupprimerLa phrase part d'un postulat qui n'est pas idéologique (contrairement au féminisme) mais intrinsèque à l'être. Elle est chirurgicale. Houellebecq aussi, une fois passé le désenchantement contenu dans ses réflexions, se frotte à la réalité.
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