Le rôle de l’environnement
familial dans le développement des comportements criminels est sans doute un
plus grand mystère pour la science sociale que pour le sens commun.
Spontanément la plupart des gens diraient sans doute, si on leur posait la
question, que certains individus deviennent des criminels à cause de
l’interaction entre leurs dispositions innées et la manière dont ils ont été
élevés. Cette position semble raisonnable, et confirmée par la sagesse
accumulée des siècles et des peuples.
Mais la science sociale a du mal
à être si affirmative et prétend parfois rester dans le doute au sujet de
questions qui pourraient sembler être résolues depuis longtemps sans
contestation possible. Cela est bien évidemment dû à la méthode qui est la
sienne, et qui la contraint à n’accepter qu’un certain type de preuves ;
ce qui fait son utilité et, d’une certaine manière, sa grandeur, mais ce qui
peut aussi l’amener à poursuivre toutes sortes de recherches stériles ou de
sottises compliquées.
Dans le cas de l’influence du
milieu familial sur les comportements criminels, un autre facteur est également
à l’œuvre pour expliquer une certaine répugnance à conclure. La science
sociale, en dépit de sa dévotion officielle à l’objectivité, n’a pu empêcher
que beaucoup de ses adeptes ne soient contaminés par certaines préoccupations
politiques. Pour le dire nettement et rapidement, la science sociale penche du
côté du progressisme - en termes politiques plus courants : à gauche. Par
conséquent, l’idée que la famille dite traditionnelle (papa, maman, les
enfants) cherchant à transmettre des valeurs dites traditionnelles (discipline,
travail, honnête ambition, éventuellement foi religieuse, etc.) puisse être
supérieure - du point de vue de l’éducation des enfants - aux « nouveaux
modèles familiaux », est une idée à laquelle une partie de la science
sociale résiste bien au-delà de ce que lui permettraient les exigences de sa
méthode.
Fort heureusement tous les social scientists ne cèdent pas à ce
travers et il existe donc aujourd’hui quelques études solides qui viennent
confirmer ce que, d’une certaine manière, tous les gens sérieux et réfléchis
ont toujours su.
Nous examinerons particulièrement
trois points fréquemment évoqués : le rôle des méthodes d’éducation, la
structure familiale, la maltraitance.
Le type d’éducation dispensée par
les parents est en général le premier élément incriminé lorsqu’un enfant
commence à montrer un comportement asocial, comportement qui préfigure souvent
un passage à la délinquance quelques années plus tard. Que l’éducation joue un
rôle dans le développement, ou au contraire l’inhibition, de dispositions
innées à la délinquance n’est pas sérieusement contestable. Mais estimer la
part jouée par l’éducation est un peu compliqué par le fait que l’éducation
reçue dépend en partie des dispositions manifestées par les enfants, et de
celles des parents. Un enfant difficile, hyperactif, capricieux, agressif,
demandera beaucoup plus d’efforts et de patience de la part de ses parents, et
est donc plus susceptible de recevoir une éducation erratique ou de subir des
mauvais traitements. Par ailleurs un enfant difficile a toutes chances d’avoir
au moins l’un de ses parents ayant les même dispositions de caractère que lui,
ce qui rend encore plus probable le fait qu’il reçoive une telle éducation. En
bref, il n’est pas facile de tracer la frontière entre ce qui relève de
l’éducation et ce qui relève de prédispositions innées - et par ailleurs il
n’est sans doute pas plus facile de modifier les mauvaises pratiques éducatives
une fois celles-ci bien identifiées, puisqu’elles découlent en partie du
tempérament des uns et des autres.
Toutefois il parait possible
d’établir une typologie générale des pratiques éducatives, en fonction de
quelques critères simples, et d’en évaluer les mérites du point de vue qui nous
occupe.
Les résultats des études
longitudinales consacrées à cette question convergent vers la conclusion
suivante - qui n’est pas exactement surprenante : le comportement parental
le plus susceptible de pousser les enfants vers la délinquance est celui
combinant la froideur avec la permissivité, tandis que le comportement le plus
susceptible d’inculquer l’honnêteté aux enfants est celui qui allie l’affection
avec la rigueur.
Un parent « rigoureux »
est un parent qui établit des règles claires de comportement et qui punit les
manquements à ces règles de manière constante et cohérente. Un parent « permissif »
fait l’inverse, il n’énonce pas clairement à son enfant ce qu’il attend de lui
et le punit de manière erratique. Ainsi la permissivité n’est pas synonyme
d’absence de punition, mais plutôt de punition dispensée sans cohérence et sans
efficacité. Un parent « affectueux » n’hésite pas à approuver et à
complimenter l’enfant lorsqu’il se comporte bien et à expliquer - en termes
compréhensibles par l’enfant[1] - le
pourquoi des règles édictées. Un parent « froid » agit à l’opposé, en
montrant fréquemment de l’agressivité, de la passivité ou de l’indifférence à
ce que fait son enfant.
Bien entendu de telles catégories
sont passablement grossières et ne permettent pas de rendre justice à toute la
diversité des comportements parentaux, elles doivent donc être utilisées avec
précaution. Néanmoins elles permettent de saisir une réalité importante :
les parents d’enfants à problèmes se distinguent des autres surtout par l’incohérence de leurs actions
éducatives : alternance de négligence et de surprotection, de sévérité et
de laisser-faire, punitions distribuées en fonction de l’humeur des parents et
non en fonction du comportement de l’enfant, etc. Certains de ces parents
peuvent, en toute bonne foi, avoir l’impression d’être sévères avec leurs
enfants parce qu’ils leur crient fréquemment dessus, mais les enfants
apprennent vite à ne pas tenir compte de telles sautes d’humeur qui ne sont pas
suivies d’effets ou n’ont pas de rapport évident avec leur comportement.
Après le type d’éducation
dispensée aux enfants vient la question de la structure familiale. De la même
manière que les parents négligents ou laxistes sont fréquemment accusés de
produire de futurs délinquants - non sans raisons, comme nous l’avons vu - les
foyers désunis sont fortement soupçonnés de favoriser les comportements
asociaux de la part des enfants.
Dans l’ensemble la science
sociale confirme ces soupçons. En général, les enfants qui vivent séparés de
l’un de leurs parents biologiques sont plus susceptibles de commettre des actes
de délinquance au cours de leur vie[2]. Une
fois ceci posé il convient évidemment de distinguer les différents types de
foyers désunis. Il semble probable que la disparition d’un parent[3]
n’aura pas le même effet sur ses enfants si elle est le résultat d’un accident
(la mort) ou bien si elle est le résultat d’un conflit (divorce) et, en cas de
conflit, si celui-ci est violent et prolongé ou bien s’il se résout
relativement paisiblement et rapidement.
Les résultats sont les suivants :
la mort d’un parent semble moins préjudiciable aux enfants que le divorce, et
un divorce survenant lorsque l’enfant est encore très jeune est plus
préjudiciable que lorsqu’il survient vers l’adolescence. Par ailleurs le fait
que l’enfant change fréquemment de foyer
- qu’il passe de la garde de la mère à celle du père ou d’autres membres de la
famille par exemple - semble également avoir un effet négatif sur son
comportement futur.
Le remariage (ou la remise en
couple) du parent resté seul avec le ou les enfants est aussi associé avec un
risque accru de comportement délinquant chez ces derniers ; ce qui n’est
guère surprenant si nous voulons bien nous souvenir que la famille recomposée
est, dans la réalité, souvent passablement différente de celles que nous
pouvons voir à la télévision ou au cinéma. Il convient ainsi de rappeler que le
taux d’infanticide augmente d’environ 6000% (vous avez bien lu) lorsque la mère
se remarie et que les abus sexuels sont huit fois plus nombreux dans les
familles recomposées que dans les familles dites traditionnelles.
Ce qui nous amène au dernier
élément du contexte familial censé être corrélé avec la délinquance[4] : la
maltraitance.
Les professionnels de l’enfance
en difficulté ont depuis longtemps remarqué que les enfants qui ont été
victimes de brutalités ou d’abus sexuels de la part de leurs parents tendent à
devenir délinquants en grandissant.
Les raisons plausibles permettant
d’expliquer ce fait ne manquent pas : l’enfant apprendrait à imiter le
comportement brutal de ses parents, les abus dont il est victime susciteraient
en lui des sentiments négatifs, comme la colère, la frustration, le désir de
vengeance, qui génèreraient ensuite des comportements agressifs ou déviants,
etc.
Le problème est que, pour
plausibles que soient ces hypothèses, il n’est pas si évident que cela que les
mauvais traitements[5] en eux-mêmes soient la cause des risques accrus de délinquance. En
effet, la maltraitance des enfants est presque toujours un élément parmi
beaucoup d’autres d’un contexte familial très « chargé ». Non
seulement les parents qui maltraitent leurs enfants se montrent, à l’évidence,
rarement affectueux et attentifs en dehors des épisodes de brutalité, mais en
plus ils cumulent souvent toutes sortes de handicaps. En effet, s’il est exact
qu’il existe des enfants maltraités dans tous les milieux sociaux, il n’en
reste pas moins que la maltraitance est très concentrée dans les familles
situées tout en bas de l’échelle sociale. Les parents qui brutalisent leur
progéniture sont donc, le plus souvent, non seulement pauvres mais aussi peu
intelligents, impulsifs et violents en général, et pas seulement avec leurs
enfants, ils sont les plus susceptibles d’avoir ce comportement froid et
permissif qui donne les plus mauvais résultats éducatifs, etc.
Il est également tout à fait
possible que le comportement violent et asocial développé à l’âge adulte par
nombre d’enfants ayant été maltraités soit dû moins à ces mauvais traitement
qu’à leur hérédité ; de la même manière que le fait que les enfants
maltraités tendent à devenir des parents maltraitants s’explique peut-être
moins par la reproduction des comportements observés dans l’enfance que par le
tempérament qu’ils ont hérité de leurs parents.
En bref, s’il semble à peu près
évident qu’avoir été victime de mauvais traitements ou d’abus sexuels doit
avoir un effet négatif sur le comportement ultérieur de l’enfant, il est très
difficile d’évaluer précisément cet effet et de le distinguer des autres
influences négatives que l’enfant a subi au sein de sa famille ou d’une
hérédité chargée.
Au total, il existe de très
sérieuses raisons de penser que les effets combinés de l’hérédité et de
l’environnement familial expliquent en très grande partie les comportements
délinquants à l’âge adulte. En fait, une fois ces deux facteurs pris en compte,
il semble rester peu de place pour d’autres éléments explicatifs. Il existe
certes des délinquants tardifs, qui commettent des méfaits à l’âge adulte sans
avoir derrière eux un passé de délinquant juvénile, mais ils ne sont qu’une
petite minorité, et surtout ces délinquants tardifs comprennent dans leurs
rangs très peu de ces multirécidivistes violents qui sont responsables d’un
nombre tout à fait disproportionné de crimes et délits,. Les criminels
multirécidivistes commencent presque tous leur carrière dans l’adolescence, et
avant même cela ils se signalent, en général, dès l’enfance par leur caractère
atypique et leur comportement déviant.
Cela signifie que certains des
suspects habituels lorsqu’il s’agit d’expliquer la délinquance, comme l’école
ou le marché du travail, ont toute chance d’être largement innocents des
méfaits qu’on leur impute.
[1] Ce qui n’est donc pas tout
à fait la même chose que de raisonner avec un enfant. La nuance est
d’importance.
[2] Outre Crime
and human nature et Crime and public
policy, voir Taking sex differences
seriously.
[3] La plupart des travaux
consacrés à cette question étudient la disparition du père plutôt que de la
mère, tout simplement car cette situation est de loin la plus fréquente.
[4] Il convient de noter qu’il
existe d’autres éléments du contexte familial qui ont pu être corrélés avec la
délinquance, notamment le nombre d’enfants présents dans la famille (les
risques de délinquance croissent avec la taille de la famille) et l’âge de la
mère : avoir une mère adolescente est un facteur de risque certain.
[5] Les mauvais traitements
dont il est question ici sont les mauvais traitements physiques : coups, privation de nourriture, de sommeil, etc.
et non pas simplement la négligence ou l’absence d’affection. Cette seconde
catégorie est en effet déjà prise en compte dans le type d’éducation.
Toujours le problème de l'inné et de l'acquis. Problème insoluble en l'état de nos connaissances. Comme vous le dites, il y a de plus interaction...
RépondreSupprimerComment évaluer l'influence (bénéfique ou non) de l'acquis sur l'inné ?
Cette série soulève une foule de questions. Finira-t-elle par leur trouver des réponses ?
Des réponses, oui. Pas à toutes les questions bien évidemment, mais du moins des réponses à la question : que faire?
RépondreSupprimerLe vieux léniniste pointe toujours l'oreille chez vous !
SupprimerJe vois que nous avons les mêmes saines références.
SupprimerL' honneur est sauf,j'ai eu des parents aimants et qui m'ont donné une éducation vertueuse mais dans ce cas d'où me vient ce besoin irrésistible de vouloir tordre le cou à certains mécréants.
RépondreSupprimerSinon, excellent billet!
Je pense,avoir vécu mon enfance dans une commune dirigée par les camarades de l'ami Lénine depuis 1917.Je me demande si le petit père des peuples n'est pas né dans ce bled.
Il faut lire, "je pense avoir trouvé la raison celle d' avoir vécu,etc..."
RépondreSupprimerTant que ce n'est qu'une envie irrésistible et que vous ne cédez pas à la tentation...et puis après tout certains mériteraient vraiment qu'on leur torde le cou.
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