En examinant les recensements et
les classements établis par Charles Murray, une évidence saute aux yeux du
lecteur même le moins attentif : dans tous les domaines où les
comparaisons sont possibles, le poids de l’Occident, et plus spécifiquement de
l’Europe occidentale, est absolument écrasant : presque toutes les
personnalités importantes dans les domaines scientifiques sont des occidentaux.
Et presque toutes sont des hommes.
Mais, dira-t-on peut-être,
l’Europe domine sans doute les sciences, mais qu’en est-il des arts ? Le
reste du monde n’a-t-il pas produit autant ou plus de grands artistes que
l’Occident ?
Pour répondre à cette question,
il est possible de fondre en un seul inventaire les inventaires séparés par
aires géographiques que Murray avait établi pour les arts, et de simplement
compter le nombre de personnalités importantes selon leur origine. Le résultat
est sans ambiguïté : en termes de nombre de personnalités importantes,
l’Occident domine outrageusement. Et presque toutes sont des hommes.
Encore convient-il de noter que
cette procédure sous-estime
certainement le poids de l’Occident dans le domaine des arts. En effet, en
établissant au départ des inventaires séparés pour la Chine, l’Inde, le Japon,
etc. et un inventaire unique pour tout l’Occident, Charles Murray a été amené à
sélectionner les personnalités artistiques importantes de l’Occident parmi un
vivier beaucoup plus étendu que pour les autres aires géographiques. Par exemple,
pour figurer parmi les écrivains importants du Japon, chaque écrivain japonais
n’était en compétition qu’avec les écrivains de son pays, alors que pour
figurer parmi les écrivains importants de l’Occident, chaque écrivain
occidental était en compétition avec tous les écrivains occidentaux.
Les graphiques ci-dessous permettent
de visualiser cette domination de l’Occident.
Pourtant, pourtant, dira-t-on,
les librairies ne sont-elles pas pleines aujourd’hui d’ouvrages qui prétendent
démontrer que les civilisations non-occidentales ont été injustement négligées,
et qu’elles ont produit des réalisations aussi remarquables que l’Europe et ses
rejetons ?
Oui, sans doute, mais en la
matière la présentation est souvent trompeuse. Dans le domaine des sciences,
qui est celui qui se prête le mieux aux comparaisons, les ouvrages qui
prétendent corriger nos préjugés ethnocentriques, lorsqu’ils sont sérieux, se
contentent presque toujours de mettre au premier plan certaines personnalités
ou certaines découvertes non occidentales - des personnalités et des
découvertes certes remarquables, mais qui ne changent rien au fait que quantitativement, en termes de nombre de
personnalités et de découvertes, l’Occident est très, très loin devant tout le
reste du monde.
La question, en effet, n’est pas
de savoir si l’homme de la rue est ignorant des grandes réalisations scientifiques
des civilisations non-occidentales. La réponse est probablement positive. La
question est de savoir si les spécialistes, qui ont écrit des encyclopédies et
des histoires de la science depuis un demi-siècle, sont ignorants de ces
grandes réalisations. Et la réponse est : non. Non seulement les
spécialistes connaissent très bien ce qu’ont fait les autres civilisations,
mais en plus ce sont, la plupart du temps, des spécialistes occidentaux qui ont
attiré l’attention du monde sur les réalisations des non-occidentaux. Les
Européens et les Américains ont, dans l’ensemble, consacré beaucoup plus
d’énergie et de zèle à faire connaitre au monde la science chinoise que les
Chinois, ou les mathématiques arabes que les Arabes eux-mêmes.
Une autre manière d’aborder le
problème d’un éventuel « eurocentrisme » qui conduirait à surestimer
la contribution de l’Occident à la science, est de chercher s’il est possible
de discerner des traces de partialité dans les sources que Charles Murray a
utilisé pour établir ses inventaires. Pour cela, il faudrait être capable de
comparer une source dont l’autorité est incontestable avec toutes les autres et
voir si nous obtenons des inventaires substantiellement différents avec l’une
et avec les autres.
Fort heureusement, une telle
source existe. Il s’agit du Dictionary of
Scientific Biography (DoSB) qui comprenait en 2003 (date de la publication
de Human Accomplishment) 17 volumes,
plus un volume séparé pour l’index. Ce dictionnaire a été conçu pour être la
référence mondiale en matière de sciences naturelles et de mathématiques. Ses
articles ont été rédigés par des spécialistes issus d’universités du monde
entier et des critères uniformes sont appliqués à tous les domaines et à toutes
les régions du monde pour décider quel scientifique mérite d’être inclus dans
le dictionnaire. Si jamais une source mérite d’être considérée comme exhaustive
et impartiale, c’est bien le Dictionary
of Scientific Biography.
En utilisant le DoSB comme étalon
de mesure, Charles Murray a donc établi deux listes de scientifiques. La
première comprenait tous ceux mentionné dans le DoSB. La seconde comprenait
tous ceux qui auraient figuré dans les inventaires de Human Accomplishment si le DoSB n’avait pas fait partie des sources
utilisées (ces listes n’incluent pas la médecine et la technologie puisque le
DoSB ne traite pas ces domaines).
Le graphique ci-dessous montre la
répartition géographique des deux listes. Dans la liste établie en se servant
du DoSB, 94% des scientifiques sont occidentaux (Europe+Etats-Unis et Canada),
dans la liste établie en se servant des autres sources, 91%.
La conclusion semble
s’imposer : il n’existe pas de réserves significatives de réalisations
scientifiques non-occidentales qui permettraient de remettre en cause l’absolue
domination de l’Occident en ces domaines.
A ceux qui refuseraient une telle
conclusion, Charles Murray présente un défi. Human Accomplishment parvient un chiffre de 97% d’Occidentaux en ce
qui concerne les grandes personnalités et les grandes réalisations dans le
domaine de la science. Si ce chiffre vous parait exagéré, montrez-nous comment
vous augmenteriez la liste des scientifiques et des réalisations scientifiques
non-occidentales de manière à le modifier de manière significative. Passer de
97 à 96,5% ne serait évidemment pas significatif.
Deux conditions devront être
observées pour y parvenir. La première est que les réalisations scientifiques
qui seront ajoutées à la liste devront être de véritables inventions, de
véritables découvertes, de véritables « premières ». Il n’est pas
permis d’ajouter à la liste le premier pont suspendu japonais si la technique
du pont suspendu était déjà en usage ailleurs dans le monde.
La seconde est que les règles
utilisées pour inclure une personnalité ou une réalisation devront être
appliquées de manière uniforme. S’il est permis d’inclure tel obscur médecin
arabe, il devra être permis d’inclure également tous les médecins occidentaux
ayant un même degré d’obscurité. Il ne s’agit pas d’employer un microscope pour
traquer la moindre réalisation non occidentale et de s’en tenir à l’œil nu en
ce qui concerne l’Occident.
Si ces deux règles sont
appliquées, on constatera en fait que tout assouplissement des critères visant
à permettre de gonfler le réservoir des scientifiques non-occidentaux aboutira
à gonfler dans des proportions au moins identiques le réservoir des
scientifiques occidentaux.
Loin d’être trop élevé, le chiffre
de 97% est sans doute encore trop faible.
En ce qui concerne les arts, la
logique est la même. Toute modification des règles visant à inclure davantage
d’artistes non-occidentaux dans les inventaires provoquera l’inclusion
simultanée d’une foule de nouveaux artistes occidentaux.
A ceux qui pensent que les
résultats auxquels parvient Charles Murray sont indûment
« eurocentriques » d’essayer de réfuter cette proposition.
Ah, ça manque de femmes tout ça...mais on ne peut même pas se plaindre quand on fait partie des nauséabondes et qu'on a donc décidé d'accepter de regarder la réalité en face, en plus.
RépondreSupprimerLe cas des femmes sera réglé la semaine prochaine. Inutile de bousculer, il y en aura pour tout le monde.
SupprimerFinalement, la relative faiblesse que je vois à cette étude, c'est de ne prendre en compte que les réalisations de personnages identifiés et de laisser de côté les découvertes, les procédés, les oeuvres ou les pratiques qui nous viennent d'anonymes.
RépondreSupprimerJe ne pense pas que ça remettrait fondamentalement en cause les conclusions obtenues, mais c'est tout de même dommage, pour juger de la valeur d'une civilisation, d'écarter des traits comme l'architecture, le jardinage, l'artisanat ou même la cuisine, tous domaines qui participent de l'agrément de la vie au sein d'un pays. Et même si l'Occident n'y perdrait probablement rien, peut-être verrait-on les Asiatiques gagner des points en incorporant ces éléments.
Mais la tâche de Muray, déjà titanesque, serait devenue insurmontable.
C'est vrai. Plus généralement, la limite de l'exercice tient à ce qu'il est restreint à ce qui est mesurable. Mais comment faire autrement?
SupprimerMais, comme bien vous pensez, Murray a anticipé l'objection concernant les oeuvres anonymes.
Sa conclusion est la suivante : il y a au moins autant d'oeuvres anonymes, et d'aussi grande qualité, en Occident que dans les autres parties du monde. Par conséquent si les oeuvres anonymes étaient incluses dans les inventaires cela ne changerait rien. Peut-être même la supériorité de l'Occident s'en trouverait-elle encore accrue.
Même remarque pour ce qui concerne une définition plus large de ce qui est "artistique" : l'Occident a dans tous les domaines autant, si ce n'est plus, à faire valoir que les autres parties du monde.
Je recopie juste sa conclusion à ce sujet : "Whatever mechanism one uses to try to augment the non-European contribution in both the arts and sciences will backfire if the same selection rules are applied to Europe."
Cette attitude des européens à vouloir démontrer que les autres civilisations ont fait aussi bien ; se retrouve dans l'histoire comme : " Qui a découvert les Amériques" et là, les hypothèses fleurissent; les africains, les égyptiens,les chinois et pour étayer leurs points de vue.
RépondreSupprimerPour les égyptiens, l' Odyssée du RÂ II de Thor Heyerdahl le 5 mai de l’année 1970.
Pour les africains de l' Ouest, les traits négroïdes des têtes colossales des Olmèques .
Pour les chinois, l' amiral Zheng He selon la thèse iconoclaste d'un militaire Britannique Gavin Menzies, certes rejetée par d'autres historien mais elle existe.
Nous n'avons pas fini avec les élucubrations de certains biens-pensants afin de déconsidérer l' Occident.