Fractures françaises, de Christophe Guilluy, est un livre intéressant, et à certains égards important, qui n’est pourtant pas à proprement parler un bon livre.
Son sujet est, selon son auteur, « la recomposition sociale et géographique des territoires » face aux effets de « la mondialisation et du multiculturalisme ». Mais un lecteur même modérément attentif comprend vite que ce sujet peut être formulé de manière plus simple et plus directe : ce que Christophe Guilluy cherche à mettre en évidence est la manière dont l’immigration de masse a bouleversé, et dégradé, la vie des Français les plus modestes.
Le sujet est intéressant, et important, car rarement abordé publiquement et car ses implications politiques sont potentiellement explosives.
Pour autant Fractures françaises souffre de certains défauts qu’il importe de mentionner dès l’abord. Il est possible de distinguer deux niveaux dans Fractures françaises, un niveau descriptif et un niveau interprétatif. L’auteur cherche d’une part à décrire les transformations sociales et géographiques induites par l’immigration de peuplement que connait la France depuis une quarantaine d’années. Mais il pense aussi percevoir derrière ces transformations une sorte de complot perpétré par « les classes dominantes » contre les classes populaires afin « d’évacuer la question sociale ». Disons le franchement, cet aspect du livre n’est pas le plus convaincant, pour ne pas dire qu’il risque de rebuter tous ceux qui ne se situent pas à l’extrême gauche de l’échiquier politique. Les redites, les contradictions et les affirmations non étayées abondent, le vocabulaire est lourdement marqué par le néomarxisme de la « sociologie critique », et certaines questions sont étrangement passées sous silence. Ainsi, dans un livre qui prétend mettre au jour les effets de l’immigration afro-maghrébine sur la « cohésion nationale », il faut attendre la page 157 (sur 195, notes comprises) pour voir apparaitre le mot « islam », et à aucun moment la question religieuse n’est sérieusement abordée.
En fait, en lisant Fractures françaises, il est difficile de se défaire de l’impression que l’auteur regrette le bon temps où le Parti Communiste Français attirait à lui un quart des électeurs et où la démocratie libérale avait encore un concurrent à l’Est. On pourra juger que cet idéal n’est pas forcément le meilleur pour évaluer les transformations de la société française.
Fort heureusement il est possible d’ignorer cet aspect interprétatif du livre pour se concentrer sur son aspect descriptif, bien plus pertinent.
Cet aspect descriptif est double. Christophe Guilluy cherche à montrer, d’une part, que l’opposition entre des banlieues qui regrouperaient les « minorités visibles » et « défavorisées » et le reste du territoire qui regrouperait la « classe moyenne » (blanche) ne correspond pas à la réalité. Il cherche, d’autre part, à mettre en évidence les transformations sociales et géographiques provoquées par l’immigration, c’est à dire essentiellement le reflux hors des grandes métropoles des Français appartenant aux catégories modestes de la population.

A écouter la plupart des journalistes et des hommes politiques français, la France serait aujourd’hui divisée en deux : d’un côté les banlieues « populaires », de l’autre la France pavillonnaire des « petit-bourgeois ». D’un côté le « ghetto » dans lequel seraient relégués les « minorités visibles », de l’autre la majorité aisée (et blanche) de la population qui refuserait d’accueillir en son sein la belle jeunesse, si pleine d’énergie, issue de ces « quartiers sensibles » - par préjugé, par ignorance, par peur et, pour tout dire, par xénophobie.
Une telle description de la société française illustre magnifiquement la remarque de Locke selon laquelle, pour la plupart des gens, la répétition tient lieu d’argument. La fréquence avec laquelle elle est présentée est en effet en proportion pratiquement inverse avec sa véracité.
Contrairement à une légende tenace, les banlieues des grandes métropoles, dans lesquelles se concentrent les immigrés afro-maghrébins et leurs descendants, ne sont pas, en effet, des « territoires de relégation » dans lesquels leurs populations se retrouveraient enfermées contre leur gré et condamnées à la pauvreté.
D’une part ces territoires ne rassemblent pas les populations les plus pauvres de l’hexagone. Le chômage, la précarité et la pauvreté frappent davantage les zones rurales et périurbaines que les « banlieues sensibles ». 85% des ménages pauvres ne vivent d’ailleurs pas dans ces banlieues et les taux de pauvreté les plus élevés sont enregistrés dans les départements les plus ruraux (et dans lesquels se trouvent très peu de « minorités visibles »), comme par exemple le Cantal (21,6%), l’Aude (21,4%) ou la Creuse (19,6%). A titre de comparaison, à la même date (2009), le taux de pauvreté en Seine-Saint-Denis était de 18%.
D’autre part ces territoires n’ont pas du tout été « abandonnés » par les pouvoirs publics, sauf il est vrai sur un point capital : celui de la sécurité. Mais, pour tout ce qui ne concerne pas la lutte contre la criminalité, l’effort financier consenti par la collectivité en direction des « quartiers sensibles » est considérable et la densité des équipements publics y est souvent bien supérieure à celle des territoires ruraux et périurbains. Christophe Guilluy cite ainsi une étude consacrée à deux quartiers à la sociologie identique (populations aux revenus modestes, chômage élevé, etc.), mais l’un classé comme quartier sensible - les Hautes Noues, à Villiers-sur-Marne - et l’autre n’ayant jamais fait parler de lui - un quartier de la périphérie de Verdun. Or non seulement le revenu moyen par habitant du quartier « sensible » se révèle 20% supérieur à celui du quartier sans histoires, mais les investissements publics y sont mille fois plus élevés !
Autrement dit, ces quartiers censés être des territoires délaissés par la République bénéficient en fait à plein d’une discrimination positive qui ne dit pas son nom. A quoi doit être ajouté le fait que ces « quartiers sensibles », qui se situent pour la plupart à proximité immédiate des grandes métropoles, bénéficient de ce fait de l’offre scolaire la plus riche et des marchés de l’emploi les plus dynamiques, ce qui n’est pas du tout le cas des territoires ruraux et périurbains.
Ainsi, loin d’être des « ghettos », les quartiers « sensibles » sont en réalité les quartiers les plus mobiles de France : dans aucune autre partie du territoire la population ne se renouvelle aussi vite que dans les ZUS et ce renouvellement est pour une bonne part le résultat de l’ascension sociale des populations qui s’y trouvent.
Mais pourtant, dira-t-on, comment concilier ce mouvement de population avec le fait que ces quartiers paraissent immuablement figés dans leurs difficultés et qu’aucune action des pouvoirs publics ne parvienne à réduire celles-ci ?
La réponse est très simple : les difficultés persistent précisément parce que la population des ZUS se renouvelle rapidement. Au fur et à mesure qu’une partie de la population immigrée qui y vit devient suffisamment aisée pour aller habiter ailleurs, de nouveaux immigrés viennent les remplacer. C’est que, contrairement aux idées reçues, les « quartiers sensibles » sont extrêmement attractifs pour les nouveaux arrivants et les bailleurs sociaux y sont submergés de demandes, qu’ils ne parviennent pas à satisfaire. En fait, comme le dit Christophe Guilluy, ces territoires sont en partie devenu des sas entre le Nord et le Sud. Au fil des années, les ZUS ont de facto acquis la fonction d’accueillir une immigration essentiellement familiale, et pour partie clandestine. Or, en dépit de certains discours officiels, ces flux migratoires sont tout à fait substantiels puisque depuis dix ans la France a accueilli chaque année sur son sol un peu moins de 200 000 immigrants légaux et entre 70 000 et 150 000 clandestins.

Avant d’accueillir par millions les immigrés venus du Sud de la méditerranée, les cités qui n’étaient pas encore « sensibles » étaient habités par les couches populaires de la population française : les ouvriers, les employés, bref les personnes aux revenus et au statut social modestes. Ces ménages modestes n’habitent plus guère désormais les quartiers censés être « populaires », depuis que le terme « populaire » est devenu synonyme de « afro-maghrébin ». Et c’est bien ce dont se plaignent en réalité les maires de ces communes lorsqu’ils déplorent l’absence de « mixité sociale » sur leur territoire, puisque le terme de « mixité sociale » a lui aussi changé de sens pour signifier désormais « mixité ethnique ».
Ne trouvant plus le peuple français là où ils avaient pris l’habitude de le trouver, bon nombre d’hommes politiques et de journalistes ont finit par conclure que ce peuple n’existait plus, que les catégories populaires s’étaient embourgeoisées et que désormais tous les « Blancs », les « White », les « Blancos », appartenaient à la fameuse classe moyenne.
Pourtant ces ménages modestes n’ont nullement disparu. Ils constituent toujours la part la plus importante de la population française, mais ils ont subi un double mouvement d’éviction qui les a relégué bien loin des territoires sur lesquels se concentrent l’attention des médias et de la classe politique. Les ménages aux revenus modestes ont, d’une part, été peu à peu évincés des grandes métropoles par l’augmentation des prix de l’immobilier et par la transformation du marché du travail, les grandes villes perdant leurs emplois industriels pour attirer les emplois très qualifiés et les professions intellectuelles. Dans les centre-ville, les quartiers populaires se sont peu à peu embourgeoisés et les bobos y ont remplacé les ouvriers et les employés. Pour se maintenir à proximité des grandes villes, les ménages modestes auraient dû recourir au parc social, géré par les pouvoirs publics. Mais au fur et à mesure que ces logements sociaux se remplissaient d’immigrés afro-maghrébins, les ménages français montraient une répugnance de plus en plus grande à venir s’y installer. Peu à peu les catégories populaires se sont auto-exclues du parc HLM, auquel la faiblesse de leurs revenus leur aurait pourtant donné accès, pour rechercher des logements dans le privé. Mais compte tenu précisément de la faiblesse de leurs revenus, cela signifiait qu’elles devaient accepter de se loger sans cesse plus loin des grandes métropoles.
Evincés des grandes villes à la fois par le haut et par le bas, une majorité de Français vivent désormais sur des territoires périurbains et ruraux, dans des petites ou moyennes communes, à l’écart des métropoles les plus actives. Ainsi, depuis 1990, les espaces périurbains ont enregistrés un taux de croissance de leur population en moyenne trois fois plus élevé que celui des centres urbains. Non seulement un nombre croissant de ménages s’installent sur ces territoires, mais en général leur taux d’accroissement naturel (par les naissances) est très positif. La Mayenne, par exemple, un des départements les plus pauvres et les moins « divers » de l’hexagone enregistre le deuxième taux de fécondité le plus élevé de France, derrière l’inévitable Seine-Saint-Denis. Alors que la part des jeunes d’origine française n’a cessé de régresser depuis une vingtaine d’années sur l’ensemble du territoire, elle augmente dans nombre de communes rurales et périurbaines.
Cette installation des catégories populaires dans des espaces périurbains et ruraux n’est guère rationnelle d’un point de vue économique. En quittant la proximité des centres villes, les ménages modestes s’éloignent du marché de l’emploi le plus actif, des équipements publics et des établissements scolaires les plus prestigieux. Par ailleurs les coûts de transport (automobile) grèvent souvent lourdement le budget de ces ménages à petits moyens. L’accès au pavillon en zone rurale ou périurbaine, loin d’être la marque d’une ascension sociale, se traduit souvent au contraire par une baisse des revenus disponibles pour les ménages concernés. Pourtant rien ne semble pouvoir freiner ce mouvement d’éloignement des métropoles.

Ce que fuient ainsi un nombre sans cesse croissant de Français n’est pas mystérieux. Ils fuient les effets de l’immigration. C’est à dire d’abord l’insécurité, petite et grande, de la criminalité organisée à l’incivilité quotidienne. Avec beaucoup d’aveuglement ou beaucoup d’hypocrisie les pouvoirs publics déplorent ce refus de la « mixité sociale » (sur le sens de ce terme, voir plus haut) et essayent d’inciter par tous les moyens les Français ordinaires à sacrifier aux mânes du « vivre-ensemble », mais bien évidemment sans succès. Comme le remarque Christophe Guilluy : « Les « gens » ne souhaitent pas vivre à côté « d’autres gens » qui utilisent parfois des kalachnikovs pour régler leurs différends. C’est naturel. Ces mêmes « gens » ne souhaitent pas non plus scolariser leurs enfants dans des collèges susceptibles d’accueillir des adolescents violents. »
Ils fuient aussi quelque chose qui est beaucoup moins dicible mais qui n’est pas moins compréhensible : le fait de se retrouver minoritaire dans son propre pays. Christophe Guilluy explique les choses ainsi : « L’immigration d’hier était d’abord une histoire individuelle dont le destin était de se fondre dans les milieux populaires du pays d’accueil, souvent par le mariage. Dans ce contexte l’autochtone était une figure « référente » à laquelle l’immigré pouvait s’identifier. Ce « statut-référent » permettait à l’autochtone d’accepter l’immigration comme un processus naturel et sans danger pour la culture dominante (...) Dans le même temps, et tandis qu’on assistait sur certains territoires à un basculement démographique, les minorités devenant majorité, l’autochtone devait faire face non seulement à une modification de son cadre de vie, mais aussi à une modification de son statut : il n’était plus désormais celui à qui on devait s’apparenter, mais souvent celui à qui on ne devait pas ressembler. Dans ce contexte l’immigration s’apparente à un lent processus de déclassement social mais aussi à une forme de déstructuration culturelle. »
On pourra juger qu’il s’agit là d’une manière inutilement compliquée de dire que les êtres humains sont ainsi fait qu’ils préfèrent, la plupart du temps, vivre au milieu de ceux qui leur ressemblent, par la couleur de peau, par le vêtement, par les mœurs, par la religion, par les opinions sur les sujets les plus importants, et qu’il en est très peu qui acceptent de gaité de cœur de s’annihiler - culturellement parlant - pour faire place à de nouveaux venus. Mais sur le fond le diagnostic ne parait pas contestable.
Il l’est d’autant moins que, en haut de l’échelle sociale, les catégories de la population qui prescrivent le vivre ensemble pour les autres se gardent bien de pratiquer ce qu’elles prêchent. Une étude fine des stratégies résidentielles dans les grandes villes montre ainsi que, sous une apparente « mixité sociale » (voir ci-dessus), « le grégarisme résidentiel des bobos, avec digicode et interphone, n’a en réalité pas grand-chose à envier en matière de délimitation d’une sphère privée au petit lotissement . » Ce refus d’une diversité tant vantée n’est nulle part plus apparent que dans les pratiques d’évitement scolaire mises en place par les catégories supérieures de la population. Ainsi, « les analyses réalisées dans les quartiers parisiens montrent (...) une « désolidarisation » des collèges avec leur environnement sociologique. Si les écoles élémentaires bénéficient de l’embourgeoisement des quartiers, il apparait que cette évolution touche peu les collèges. Les bobos jouent le jeu de la mixité scolaire à l’école élémentaire, mais semblent réticents à scolariser leur progéniture dans les collèges multiethniques des grandes villes. »
Bizarre, vous avez dit bizarre ?
Les Français, si l’on en croit les sondages, jugent très positivement le fait de vivre dans une société ou règne une grande diversité des origines et des cultures. Mais ces réponses recueillies par les sondeurs jurent fâcheusement avec les pratiques de ces mêmes Français. La réalité que dévoile l’analyse sociologique et géographique mise en œuvre par Christophe Guilluy est en effet celle d’un séparatisme qui tend à se généraliser à toutes les catégories de la population. Tandis que le peuple, au sens sociologique du terme, s’éloigne toujours plus des grandes métropoles et de toutes les zones gagnées par la « diversité », les élites économiques et intellectuelles parviennent habilement à tenir à distance ladite diversité tout en vivant dans sa proximité immédiate.
Une seule statistique peut suffire à illustrer ce fait : entre 1968 et 1999, le voisinage des jeunes Français dont les deux parents sont nés en France est resté composé à plus de 80% d’enfants de la même origine, et ce alors que durant la même période la part des jeunes Français d’origine étrangère est passée de 11,7% à 16,9%. Autrement dit la mixité a reculé au fur et à mesure que la composition ethnique de la population se modifiait, et ce en dépit de l’action énergique des pouvoirs publics pour imposer cette mixité.
Les conséquences à long terme de cette recomposition sont difficiles à évaluer, même s’il est évident qu’elles ne sauraient être positives. Mais d’ores et déjà quelques conséquences politiques sont très perceptibles.
La première est l’opposition croissante entre le vote des grandes agglomérations et celui de la France périphérique. Les premières votent à gauche et ont massivement approuvé le Traité Constitutionnel Européen en mai 2005. La seconde vote à droite ou s’abstient et a rejeté sans ambiguïté le TCE.
La France périphérique, celle des espaces ruraux et périurbains, est désormais la France populaire, celle dans laquelle s’est réfugié le peuple qui était l’électorat naturel de la gauche voici encore une trentaine d’années. La France des grandes villes est celle des catégories supérieures et des professions intellectuelles, des bobos et des cadres de la fonction publique, qui sont devenus l’électorat principal de la gauche française, en attendant peut-être de pouvoir y ajouter les « quartiers sensibles », qui pour le moment votent encore peu. De sorte que, comme le dit Christophe Guilluy, « aujourd’hui, la gauche est forte là où le peuple est faible. C’est la raison pour laquelle la gauche emporte très souvent les élections où le taux d’abstention des catégories populaires est le plus fort ».
La gauche est partiellement consciente de ce fait et tente parfois de reconquérir cet électorat populaire en essayant de « réactiver la question sociale », c’est à dire par exemple en promettant le smic à 1500 euros ou bien en proclamant son aversion pour la finance et son amour pour « les gens ». Ce faisant, elle ne parvient guère qu’à montrer son incompréhension de ceux qu’elle cherche à séduire. Car les catégories modestes de la population paraissent aujourd’hui mobilisées tout autant, voire plus, par « l’insécurité culturelle » que par « l’insécurité sociale ». En 2007, par exemple, « C’est d’abord le candidat Sarkozy « antimondialiste » et « anti-immigré » qui a été entendu dans la France périphérique, avant celui du pouvoir d’achat. » A l’inverse, le NPA recrute ses électeurs essentiellement parmi les étudiants et les couches moyennes de la fonction publique, tels que les enseignants.
Nicolas Sarkozy semble bien, depuis cette date, avoir perdu l’oreille des catégories populaires qu’il avait su séduire, précisément parce que ses discours n’ont guère été suivis d’effets, notamment en matière d’immigration, de délinquance, et de défense de la souveraineté nationale. Cela ne signifie pas pour autant que ces catégories soient prêtes à se porter en masse vers une gauche qui continue à traiter l’immigration et l’intégration européenne comme des questions non négociables.
Dès lors, comme le dit assez justement Christophe Guilluy à la fin de son livre, « la question est désormais de savoir si cette « contre-culture » qui s’élabore par le bas pèsera demain dans le débat politique », ou bien si les élites politiques et intellectuelles pourront continuer à ignorer les attentes de ceux qu’elles gouvernent.
Sur ce point, l’auteur de Fractures françaises n’a pas grand chose d’autre à offrir que l’affirmation selon laquelle « qu’on le veuille ou non, le peuple détient les clefs de l’avenir », ce que l’on pourra juger pour le moins un peu court.
L’histoire aussi bien que la réflexion tendraient plutôt à montrer que le peuple, par lui-même, est impuissant à infléchir les destinées politiques d’un pays. Le peuple a toujours besoin qu’une partie au moins des élites intellectuelles prennent son parti et donne une voix à ses préoccupations pour que celles-ci influent durablement sur la vie politique.
Mais de ce point de vue, le livre de Christophe Guilluy, en dépit de ses défauts, est peut-être un signe, un signe parmi d’autres, que les lignes sont en train de bouger. Fractures françaises vient en effet grossir la liste des écrits produits par des auteurs certifiés de gauche mais qui osent suggérer que l’immigration de masse n’est peut-être pas nécessairement une chance pour la France, et que les catégories populaires n’ont sans doute pas entièrement tort de s’inquiéter de voir l’Afrique se déverser incessamment sur notre sol. De Hugues Lagrange à Laurent Bouvet en passant par Hervé Algalarrondo, cette liste n’est pas encore fort longue, mais désormais elle existe et cela seul constitue un changement remarquable.
Comme le disait un homme politique fameux dans des circonstances encore plus dramatiques que les nôtres : « Ce n'est pas la fin, ni même le commencement de la fin. Mais c'est peut-être la fin du commencement. »