Lorsque je me promène dans Paris,
ou dans n’importe quelle grande ville de France, la laideur presque universelle
des bâtiments contemporains est un phénomène qui ne lasse pas de me consterner,
et de me fasciner.
Dans un article que j’avais
traduit pour mon blog, Claire Berlinski, une Américaine vivant à Paris,
écrivait : « Paris est toujours beau, mais Dieu sait que les
architectes font de leur mieux pour ruiner cette beauté. La périphérie a été
détruite et le centre a été abîmé. Aucun architecte ayant œuvré depuis la fin
de la seconde guerre mondiale n’a ajouté à la beauté de la ville, et chacun
d’entre eux en a soustrait quelque chose. Les nouveaux bâtiments ont suscité
une condamnation universelle dès leur conception, seule la familiarité les a
rendus tolérables. Les fait que les architectes d’après-guerre soient
incapables de faire quoi que ce soit de beau est une vérité si unanimement
acceptée que personne ne se soucie de demander pourquoi. Il s’agit juste d’un
aspect de la vie moderne, au même titre que les voyages en avion et internet. »
Je fais entièrement mien ce
jugement esthétique concernant ce que l’auteur appelle « le saccage
architectural de Paris ». En revanche, je récuse l’idée que personne ne se
soucierait de demander pourquoi, étant donné que cette question me tarabuste
depuis longtemps déjà.
Comment se fait-il qu’avec tant
de richesse et de tels moyens techniques nous ne soyons pas capables de
construire des bâtiments agréables à l’œil ? Pourquoi la beauté
semble-t-elle avoir pratiquement déserté le monde de l’architecture ? Pourquoi,
avec sous les yeux tant de merveilles issues des siècles passés, la création
contemporaine est-elle aussi systématiquement hideuse ? Et pourquoi cette
laideur est-elle devenue la norme en Occident ? Voilà ce que j’aimerais
comprendre.
Je cite sur ce point un excellent
article, très bien informé, que j’avais déjà eu l’occasion de signaler, et dans
lequel vous pourrez trouver toutes les illustrations nécessaires pour soutenir
mon propos (Brianna Rennix & Nathan j. Robinson, «Why you hate contemporary architecture », Current Affairs, 31 octobre 2017)
:
« Pendant environ 2 000 ans,
tout ce que les êtres humains ont construit a été beau, ou du moins acceptable.
Le XXe siècle a mis un terme à cette situation, comme en témoigne le fait que
les gens font souvent des pieds et des mains pour passer leurs vacances dans
des villes « historiques » (lire : « belles ») qui contiennent aussi peu
d'architecture post seconde guerre mondiale que possible. Mais pourquoi ?
Qu'est-ce qui a réellement changé ? Pourquoi semble-t-il y avoir une rupture
aussi évidente entre les milliers d'années qui ont précédé la Seconde Guerre
mondiale et l'après-guerre ? Et pourquoi cela semble-t-il vrai partout ? »
Avant d’aller plus loin, il me
faut préciser que ce jugement ne s’applique évidemment pas à tous les bâtiments
contemporains. La laideur qui me frappe, et qui est pour moi une énigme que
j’aimerais résoudre, est celle des bâtiments que l’on peut dire « de
prestige ». Les bâtiments publics ou ceux pour lesquels le ou les
architectes ont manifestement reçu carte blanche pour faire « quelque
chose de nouveau » et pour démontrer leur génie créatif. Dans certains cas
le résultat est réellement intéressant et peut même être esthétiquement
satisfaisant. La fondation Louis Vuitton, à Paris, œuvre de l’architecte Frank
Gehry, me parait appartenir à la première catégorie et le Burj-al-arab, conçu
par l’architecte Tom Wright, à la seconde. Mais pour quelques réussites,
combien d’horreurs qui donnent le frisson et que l’on souhaiterait voir
détruites séance tenante ? Les beaux bâtiments contemporains sont comme
les poissons-volants : ils ne constituent pas, et de très loin, la
majorité du genre.
Par ailleurs, pour caractériser
les bâtiments que j’ai en vue, le terme laideur est peut-être insuffisamment
précis. Sans doute faudrait-il ajouter les termes inhumain et angoissant.
Dans un petit texte dont le titre
m’échappe, et que j’ai lu il y a fort longtemps, Michel Houellebecq évoque
l’esplanade de La Défense et remarque que les passants semblent spontanément
s’adapter à l’architecture proposée en adoptant une démarche robotique et en
arborant un regard vide et un visage figé. L’effet produit par l’architecture
contemporaine me semble en effet être de cet ordre-là.
Deux éléments me paraissent
caractériser principalement les constructions contemporaines qui défigurent nos
villes. D’une part le rejet pratiquement systématique de tout ce qui rend un
bâtiment spontanément plaisant à l’œil : ornement, symétrie, proportion,
harmonie, bref le rejet de tous les constituants objectifs de la beauté, ou du
moins, s’il faut parler selon toutes les écoles philosophiques, de ce qui est à
peu près universellement considéré comme agréable à regarder.
« Le fait le plus extraordinaire
concernant l'architecture du siècle dernier, cependant », écrivent Rennix
et Robinson, « est à quel point certaines tendances sont devenues
dominantes. L'uniformité esthétique entre les différents architectes est
remarquablement rigide. L'architecture contemporaine fuit l'utilisation
classique des symétries multiples, elle se refuse intentionnellement à aligner
les fenêtres ou d'autres éléments de design, et préfère les formes géométriques
inhabituelles aux formes satisfaisantes et ordonnées. Elle obéit à un certain
nombre de tabous stricts : les dômes et arcs classiques sont interdits. Une
colonne ne doit jamais être cannelée, les toits en pentes symétriques sont
impossibles. Oubliez les coupoles, les clochers, les corniches, les arcades et
tout ce qui rappelle la civilisation pré-moderne. » (« Why you hate
contemporary architecture »)
Ou encore :
« La passion de l'architecte
contemporain est de disposer des éléments d’une manière qui soit
intentionnellement discordante, désordonnée et exaspérante. »
Autrement dit, les architectes
contemporains semblent chercher avec obstination non pas à plaire mais à
déplaire, à choquer et à désorienter.
D’autre part, ce qui me semble
caractériser – sans exception que je connaisse – les bâtiments contemporains,
c’est leur mépris total pour la notion d’unité architecturale. Un bâtiment
contemporain se reconnait d’abord au fait qu’il refuse de manière éclatante de
s’intégrer dans son environnement. Au contraire, son ambition première semble
être de ruiner, de détruire l’harmonie du quartier dans lequel il s’inscrit, si
cela est possible.
Prenons l’exemple de la tour
Montparnasse. Certes, son habillage, très années 1970, a plutôt mal vieilli.
Mais sa forme n’est pas déplaisante en elle-même et, dans une ville comme
Chicago, personne ne la remarquerait particulièrement, même si elle ne serait
sûrement pas considérée comme un beau bâtiment. En revanche, dans une ville
comme Paris, dont les bâtiments dépassent rarement une dizaine étages et sont
de couleur plutôt claire, la gigantesque tour sombre écrase le paysage et ruine
toutes les perspectives à des kilomètres à la ronde. Une des raisons pour
lesquelles la Fondation Louis Vuitton peut être classée parmi les rares
réussites parisiennes de l’architecture contemporaine, c’est précisément
qu’elle est isolée, au milieu du bois de Boulogne. Mais située dans un quartier
d’habitation, elle produirait à peu près le même effet discordant que la Tour
Montparnasse, en moins catastrophique étant donnée sa plus faible hauteur.
Pour ne pas multiplier
inutilement les exemples au sujet d’un phénomène qui ne me parait pas
sérieusement contestable, prenons simplement le cas des bâtiments conçus par Le
Corbusier. Celui-ci peut certainement être considéré comme le pape de
l’architecture contemporaine et son œuvre est classée depuis 2016 au patrimoine
mondial de l’UNESCO. Le Corbusier fut à l’architecture du 20ème
siècle ce que Picasso fut à la peinture. Certains jugeront peut-être les œuvres
de Le Corbusier intéressantes, novatrices, géniales même peut-être. Je les juge
personnellement (toutes celles du moins que je connais) particulièrement
repoussantes et littéralement inhumaines : impropres à être habitées par
des êtres humains ordinaires. Mais je crois qu’il est un point sur lequel les
admirateurs de Le Corbusier et ses contempteurs, comme moi, peuvent
s’accorder : ses bâtiments sont absolument singuliers. Comme le dit
Theodore Dalrymple : « un bâtiment de Le Corbusier est incompatible
avec tout ce qui n’est pas lui-même. » En conséquence de quoi :
« Un seul de ses bâtiments, ou un bâtiment inspiré par lui, est capable de
ruiner l'harmonie de tout un paysage urbain. »
Les sentiments que m’inspire
l’architecture contemporaine me paraissent d’autant moins subjectifs que ce que
j’ai essayé de décrire se retrouve, mutatis mutandis, dans d’autres domaines de
la création artistique.
Il y a quelque temps de cela, au
cours d’une émission de radio animée par l’amie Catherine Rouvier, j’ai eu la
chance de rencontrer Alexandre Damnianovitch, chef d’orchestre et compositeur
d’origine serbe qui exerce son art en France depuis le début des années 1980.
Alexandre Damnianovitch nous racontait l’atmosphère bien particulière, et
proprement idéologique, qui régnait au Conservatoire National de Paris à la fin
des années 1970. Toute tentative de composer de la musique qui ressemble à ce
que le grand public appelle de la musique, c’est-à-dire quelque chose de
plaisant à l’oreille et qui contienne une mélodie reconnaissable, était alors
traité avec dédain et fortement découragé. Le seul langage musical vraiment
admis était celui de la musique sérielle, qui pousse au bout de sa logique la
recherche de l’atonalité entamée avec le dodécaphonisme initié par Schönberg au
début des années 1920. Le résultat est l’équivalent musical d’un bâtiment de Le
Corbusier, lorsque Le Corbusier est à son meilleur, c’est-à-dire à son
pire : étrange, inquiétant, désagréable, angoissant.
Lorsque j’étais enfant, mon père,
grand mélomane à l’immense érudition musicale, était fréquemment branché sur
France Musique, et se désolait tout aussi fréquemment de la présence de plus en
plus envahissante, sur les ondes de sa radio favorite, de pièces musicales
« d’avant-garde ». Le nom de Pierre Boulez, que j’entendais parfois
prononcer sans savoir de qui il s’agissait, évoquait manifestement en lui des
sentiments très négatifs, quelque part entre le mépris et la colère.
J’ai gardé le vif souvenir de ces
sons discordants qui s’échappaient du poste et qui ne ressemblaient en rien à
ce que j’appelais, moi, dans ma naïveté enfantine, de la musique et je n’ai
compris que bien plus tard que Pierre Boulez avait été à la musique du 20ème
siècle ce que Le Corbusier avait été à l’architecture. J’ai d’ailleurs éprouvé
le même genre de sentiment horrifié lorsque j’ai vu pour la première fois la Cité
Radieuse, à Marseille, que lorsque j’entendais Le marteau sans maitre, ou ses
équivalents, à la radio : « Mais comment peut-on faire des choses
pareilles ? »
De la même manière que
l’architecture contemporaine d’avant-garde manifeste, en règle générale, une
indifférence souveraine vis-à-vis de êtres humains qui sont censés vivre dans
ses créations, la musique savante d’aujourd’hui, celle qui est enseignée dans
les conservatoires, celle qui fait l’objet de commandes publiques et obtient
les prix les plus prestigieux, manifeste en général une indifférence souveraine
vis-à-vis de l’auditeur. Une pièce de musique sérielle ou inspirée par ce
courant est aussi peu faite pour être écoutée par une oreille humaine qu’un
bâtiment de Le Corbusier, ou inspiré par Le Corbusier, est fait pour être
habité par des êtres humains réels, avec des besoins et des émotions qui sont
ceux des êtres humains. Avec toutefois cette différence : nul n’est obligé
d’écouter un morceau de musique et il est donc très facile d’échapper aux
atrocités de la création musicale contemporaine. En revanche, il est beaucoup
plus difficile, et même pour un certain nombre de gens pratiquement impossible,
d’échapper à la vue d’un bâtiment de grande taille, et par conséquent
d’échapper aux effets que sa vue produit sur vous. L’indifférence de
l’architecte aux utilisateurs de son bâtiment a donc une toute autre portée que
l’indifférence du compositeur à ses auditeurs, et se rapproche de la cruauté.
Le même phénomène peut, me
semble-t-il, se constater sans trop de difficulté dans la peinture.
Pour ne pas nous égarer dans une
forêt d’exemples et de cas particuliers qui risqueraient de nous faire perdre
de vue la différence la plus saillante entre la peinture contemporaine et la
peinture qui l’a précédée, procédons comme pour l’architecture et la musique,
par la méthode des exemples éminents.
De l’aveu général, le plus grand
peintre du 20ème siècle, ou du moins le plus important, celui qui a
eu l’influence la plus vaste et la plus durable, est Picasso. Or ce qui caractérise
la peinture de Picasso, ce qui la caractérise visiblement si l’on peut dire,
c’est la déconstruction, l’abandon progressif de tout ce qui était auparavant
censé constituer la beauté, et notamment la beauté du corps et de la figure
humaine : la symétrie des traits, la proportion des formes, l’harmonie et
la vérité des couleurs. Avec Picasso, tout cela disparait pour être remplacé
par des êtres difformes, impossibles, qui semblent tout droit sortis d’un
cauchemar ou d’un délire toxicomaniaque.
Après Picasso, le peintre le plus
célèbre de la seconde moitié du 20ème siècle – en tout cas celui
dont les tableaux sont aujourd’hui encore parmi les plus côtés sur le marché
mondial – est sans doute Francis Bacon. A titre personnel, l’œuvre de Bacon me
semble beaucoup plus intéressante que celle de Picasso mais, tout comme celles
du Picasso de la maturité, les toiles de Bacon me paraissent objectivement
dépourvues d’agrément et de beauté. La peinture de Bacon est, si l’on veut, intrigante
ou fascinante, mais elle n’est ni belle ni plaisante. En fait, la fascination
que peut exercer une toile de Bacon vient précisément de son caractère choquant
et, pour tout dire, malsain. Nombre de ses tableaux parmi les plus célèbres
ressemblent à des scènes de torture ou des étals de boucherie et ses portraits
semblent conçus pour susciter l’angoisse et le désespoir chez le spectateur. On
sait que Bacon lui-même était adepte des pratiques sadomasochistes et il ne
semble pas excessif de dire que nombre de ses toiles paraissent en cohérence
avec ce goût particulier.
Venons-en enfin à la littérature.
Que la littérature au 20ème siècle ait peu à peu, comme
l’architecture, la musique et la peinture, délibérément délaissé, et même
dédaigné, la notion d’agrément me parait peu contestable, de même d’ailleurs et
pour les mêmes raisons que les notions de convenance et de moralité. Par
agrément j’entends d’abord le plaisir qui nait pour le lecteur de l’intérêt de
l’histoire qui lui est raconté et de la beauté du style dans laquelle cette
histoire est contée. Je parle bien sûr de la littérature qui a des prétentions,
des auteurs qui ambitionnent de « faire une œuvre » et pas simplement
de vendre des livres. A titre d’anecdote, mon père – décidément aussi peu
satisfait de l’évolution de la littérature que de celle la musique – s’était
peu à peu, et à la même époque, tourné vers les « romans noirs » pour
contenter sa soif de nouveautés, au point de ne pratiquement plus lire que cela.
Il m’avait un jour expliqué ainsi ce goût devenu exclusif : « Eux au
moins ils te racontent une histoire ». Mais allons directement au point
qui me parait essentiel.
Je cite Pierre Manent, qui me
parait particulièrement éclairant :
« Considérons alors le
domaine dans lequel l’humanité moderne enregistre sa vie intime – où elle
enregistre toujours plus complètement sa vie toujours plus intime : la
littérature. Certes il serait vain d’en résumer le mouvement d’une formule, et
je n’ai par devers moi aucune « théorie de la littérature ». Mais enfin il me
semble que, de Proust et Céline au théâtre de l’absurde et au Nouveau roman,
elle dévoile l’imposture des liens humains, le mensonge de l’amour, l’inanité
ou la duperie du langage. Elle explore ce que c’est que ceci : devenir un
individu. Elle poursuit cette entreprise avec une obstination et une ferveur
qui nourrissent l’obsédant souci de l’avant-garde et de la nouveauté
littéraire. Une volonté de connaissance est ici à l’œuvre, qui élabore une
sorte d’anthropologie négative, portée non par la foi mais par la défiance –
par l’absence de foi dans le lien humain. Par son intensité et sa radicalité,
ce mouvement s’oppose et se substitue aux deux grandes autorités qui
nourrissaient la littérature antérieure : celle des modèles grecs et romains
d’un côté, celle des Ecritures chrétiennes de l’autre. Il n’y a plus de
démarche héroïque, plus de chemin vers la sagesse, plus d’itinéraire de l’âme
vers Dieu, mais très exactement un « voyage au bout de la nuit » où il s’agit
de découvrir enfin ce que c’est que d’être un pur individu, en deçà du lien
social, et en deçà même du langage. » (Enquête sur la démocratie,
« Note sur l’individualisme moderne ». On trouve également dans ce
volume une remarquable analyse du Voyage au bout de la nuit sous le
titre « Les hommes séparés – sur la psychologie de Céline », que je
ne saurais trop vous recommander.)
Pour confirmer la pertinence de
cette observation de Pierre Manent, il suffit, me semble-t-il, de se tourner
vers celui qui est sans doute l’écrivain français le plus important de ce début
de vingt et unième siècle, Michel Houellebecq.
A la différence de ces écrivains
formalistes dont se plaignait mon père, Michel Houellebecq raconte assurément
des histoires. Il a quelque chose à dire, ou il estime avoir quelque chose à
dire. Mais ce qu’il a à dire s’inscrit dans le droit fil de ce
« dévoilement de l’imposture des liens humains » mis en exergue par
Manent.
Voici par exemple ce qu’il écrit
dans Extension du domaine de la lutte (son premier roman, qui est à bien
des égards son livre-programme) : « Pour atteindre le but, autrement
philosophique, que je me propose, il me faudra au contraire élaguer.
Simplifier. Détruire un par un une foule de détails. J’y serai d’ailleurs aidé
par le simple jeu du mouvement historique. Sous nos yeux le monde s’uniformise ;
les moyens de télécommunication progressent ; l’intérieur des appartements
s’enrichit de nouveaux équipements. Les relations humaines deviennent
progressivement impossibles, ce qui réduit d’autant la quantité d’anecdotes
dont se compose une vie. » Et encore : « Cet effacement
progressif des relations humaines n’est pas sans poser certains problèmes au
roman. Comment, en effet, entreprendrait-on la narration de ces passions
fougueuses, s’étalant sur plusieurs années, faisant parfois sentir leurs effets
sur plusieurs générations ? Nous sommes loin des Hauts de Hurlevent,
c’est le moins que l’on puisse dire. La forme romanesque n’est pas conçue pour
peindre l’indifférence, ni le néant ; il faudrait inventer une
articulation plus plate, plus concise et plus morne. »
Les relations humaines sont ou
deviennent impossibles. Nous sommes, ou nous tendons irrésistiblement vers
l’état de monades. Nous sommes tous « des malins », comme dirait
Ferdinand et de fait, de Céline à Houellebecq la ligne est assez droite malgré
la différence de ton, hargne et amère sarcasme chez l’un, avachissement et
tristesse sans fond chez l’autre.
Mais cette imposture des liens
humains, n’est-ce pas aussi ce que nous disent, à leur manière, l’architecture,
la peinture et la musique contemporaine ?
En ce qui concerne
l’architecture, les auteurs de Why you hate contemporary architecture font
cette remarque humoristique mais aussi, me semble-t-il, très pertinente : «
Si cela ne vous fait pas vous sentir terriblement, désespérément seul, c’est
que ce n’est probablement pas un bâtiment contemporain ayant remporté des prix.
»
Ce sentiment de solitude
écrasante que suscitent tant de bâtiments contemporains, en effet, est
totalement volontaire, délibérément recherché. Il est à tout le moins la
conséquence nécessaire du mépris ostensible des architectes pour les besoins
des êtres humains, à commencer par leurs besoins émotionnels.
« Une autre chose que vous
entendrez souvent dans les écoles de design », écrivent Rennix et
Robinson, « c'est que l'architecture contemporaine est « honnête ». Elle
ne s'appuie pas sur les formes et les usages du passé, et elle ne cherche pas à
vous vous dorloter, vous et vos sentiments stupides. Réveillez-vous, les
moutons ! Votre patron vous déteste, et votre propriétaire suceur de sang
aussi, et votre gouvernement a bien l'intention de vous écraser entre ses
engrenages. C'est le monde dans lequel nous vivons ! Faut vous y habituer ! Les
amateurs du Brutalisme - l'école d'architecture qui se caractérise par l’usage
immodéré des blocs de béton brut - s'empressent de souligner que ces bâtiments
« disent les choses telles qu'elles sont », comme si cela pouvait excuser le
fait qu’ils sont, au mieux, sinistres et, au pire, qu’ils ressemblent au
quartier général d'une sorte de dictature totalitaire
post-apocalyptique. »
« L’honnêteté » du
brutalisme et des écoles qui lui ont succédé sans jamais remettre en cause ses
dogmes fondamentaux, est la même honnêteté que celle de Ferdinand : l’honnêteté
de reconnaitre que l’amour, l’amitié, la gentillesse, la sollicitude et tous
les sentiments apparentés sont illusoires, que nous sommes tous seuls dans
notre nuit, enfermés dans notre égoïsme, que par conséquent la réalité du monde
humain c’est l’exploitation et l’écrasement de l’homme par l’homme. Le monde
humain EST fondamentalement « une sorte de dictature totalitaire
post-apocalyptique », même si habituellement nous dissimulons cette
réalité sinistre sous toutes sortes d’artifices.
Vouloir plaire, c’est se soucier
des autres. C’est croire que ce qui est plaisant pour moi doit également être
plaisant pour les autres car les autres hommes me ressemblent, leur monde
intérieur est semblable au mien. Pour plaire, il faut s’appuyer sur un
répertoire d’émotions et d’idées commun au créateur et à son public. Par
conséquent, chercher à plaire c’est postuler qu’une véritable communication est
possible Et de fait, l’émerveillement devant la beauté est capable de réunir
les hommes et fait signe vers le caractère objectif des distinctions morales,
vers l’existence d’un ordre naturel qui n’est pas essentiellement hostile aux
aspirations humaines à la beauté, à la justice, à la bonté, à la sagesse. A
l’inverse, rechercher systématique ce qui est étrange, déplaisant, choquant,
c’est rejeter la possibilité d’un monde commun dans lequel nous pourrions
partager les raisons et les actions. C’est affirmer le primat de ce qui nous
sépare, de ce qui nous constitue en entités séparés, sur tout ce qui pourrait
nous réunir. C’est essayer de « découvrir enfin ce que c’est que d’être un
pur individu », comme le dit Pierre Manent.
De cette manière, non seulement
les bâtiments contemporains sont-ils le plus souvent conçus de manière à
provoquer des sentiments d’aliénation, d’écrasement, d’angoisse et de solitude
qui sont censés nous rappeler la vérité de notre condition, mais leur refus, si
caractéristique, de s’intégrer harmonieusement dans leur environnement urbain, la
recherche obsessionnelle du « geste architectural » qui introduira
une rupture bien visible avec ce qui existe peut également être compris comme
découlant du même postulat métaphysique de base : la primauté absolue de
l’individualité. Les bâtiments contemporains sont par excellence des bâtiments
« individuels », pour ne pas dire des bâtiments solipsistes.
Je vous laisse faire
l’application à la musique et à la peinture, mais celle-ci me semble
relativement évidente.
Il y a plus : si le réel est
l’individuel et si le but de l’existence est de devenir un pur individu, une
œuvre d’art sera d’autant plus authentique qu’elle sera plus incompréhensible,
plus inassimilable par le public. L’acte de création d’un moi véritable sera
par définition sans équivalent. Il sera aussi individuel, unique, que son
créateur. Il ne pourra donc, à strictement parler, être compris par personne
d’autre que lui.
On le sait, la grande hantise de
l’artiste contemporain qui a de l’ambition, c’est d’être
« récupéré », c’est-à-dire de devenir populaire. Il y a plus d’une
raison à cela, mais une raison décisive est qu’une œuvre populaire, une œuvre
qui plait au grand public, ne peut pas être une œuvre « authentique »
puisque le commun est une illusion. Bien évidemment ce refus de principe de la
popularité s’accommode mal de désirs très communs et auxquels les artistes
échappent rarement, comme le désir de l’argent et des honneurs, et on n’en
finirait pas d’énumérer les subterfuges qui ont pu être inventés pour concilier
ces aspirations inconciliables mais cette crainte comique de la
« récupération » n’en est pas moins aisément repérable dans les
cercles artistiques contemporains.
Pierre Manent analyse ainsi cette
obsession du « devenir individu » qui traverse la littérature du 20ème
siècle et qu’il nous a semblé retrouver, mutatis mutandis, dans les autres
arts :
« Je vais faire ici ce que
je m’étais interdit : je vais résumer d’un mot ce mouvement. Il s’agit,
dans l’état de société, et par le moyen de la littérature – de l’investigation
littéraire, de l’instrument littéraire – de revenir à ce que les philosophes
appelaient jadis l’état de nature, cet état où il n’y a que des
individus. Alors que la civilisation se perfectionne, que les nations
démocratiques jettent sur le monde un réseau toujours plus ample et serré
d’artifices techniques, juridiques et politiques pour faire vivre ensemble, ou
plutôt pour faire « communiquer » des peuples que la géographie et
l’histoire empêchent de vivre ensemble, l’esprit, dans ces mêmes sociétés, se
donne pour tâche de défaire, dans l’élément de la littérature et peut-être,
plus généralement, dans l’élément de l’art, de défaire, de déconstruire tous
les liens. Ce double mouvement, de construction artificielle et de
déconstruction, ne contient rien de contradictoire ; ses deux aspects
obéissent au même principe : les hommes n’ont point entre eux de liens
naturels ; ils sont donc les auteurs – les artistes – de tous leurs liens.
(…)
Cette situation de la démocratie,
cette expérience de la dissolution libératrice des liens, contient pour chaque
individu, une mission. Sa situation contient sa mission : il est
« condamné à être libre ». Tel est, reconnaissable sous bien des
rhétoriques différentes, le pathos spécifique de l’individualisme
moderne. »
Manent trouve donc la racine de
cet « esprit artistique du temps » dans la philosophie politique
moderne, celle qui a « popularisé » cette notion d’état de nature et
qui s’en est servi pour fonder des gouvernements d’un type nouveau.
Qu’il puisse exister un rapport
entre, par exemple, Hobbes et Le Corbusier ou bien entre Rousseau et Céline, et
même un rapport de causalité, que les premiers puissent être, en un certain
sens, les maitres spirituels des seconds n’est pas si étrange qu’il peut le
sembler, si nous voulons bien nous rappeler que la politique est « la
science architectonique », comme le dit Aristote. Ce qui signifie à peu
près – pour essayer de condenser en quelques mots une longue histoire – que la
réponse à la question « qui doit gouverner ? » donne naissance à la fois à un
ordre juridico-politique et à un mode de vie, des mœurs, une « culture »
particulière : ce que la science politique appelait et appelle parfois
encore un régime politique. Ainsi, par exemple, le régime américain est à la
fois la Constitution des Etats-Unis et l’american way of life. Le
principe de gouvernement propre à chaque régime, autrement dit, tend à pénétrer
irrésistiblement dans tous les aspects de la vie humaine, le public contamine
le privé.
La description que fait Tocqueville
des Etats-Unis, dans De la démocratie en Amérique, est une illustration
quasiment parfaite de la maxime précitée d’Aristote :
« Aux Etats-Unis, le dogme de la
souveraineté du peuple n’est point une doctrine isolée qui ne tienne ni aux
habitudes, ni à l’ensemble des idées dominantes ; on peut, au contraire,
l’envisager comme le dernier anneau d’une chaine d’opinions qui enveloppe le monde
anglo-américain tout entier. La Providence a donné à chaque individu, quel
qu’il soit, le degré de raison nécessaire pour qu’il puisse se diriger lui-même
dans les choses qui l’intéressent exclusivement. Telle est la grande maxime sur
laquelle, aux Etats-Unis, repose la société civile et la politique : le père de
famille en fait l’application à ses enfants, le maître à ses serviteurs, la
commune à ses administrés, la province aux communes, l’Etat aux provinces,
l’Union aux Etats. Etendue à l’ensemble de la nation, elle devient le dogme de
la souveraineté du peuple. Ainsi, aux Etats-Unis, le principe générateur de la
république est le même qui règle la plupart des actions humaines. La république
pénètre donc, si je puis m’exprimer ainsi, dans les idées, dans les opinions,
et dans toutes les habitudes des Américains en même temps qu’elle s’établit
dans leurs lois. »
Et Tocqueville, dans le second
tome de son ouvrage, n’hésite d’ailleurs pas à appliquer cette analyse à la
production artistique américaine, en s’essayant à expliquer pourquoi, selon
lui, « les Américains élèvent en même temps de si petits et de si grands
monuments » ou quelles sont quelques-unes « des sources de poésie
chez les nations démocratiques ».
Il serait possible de prolonger
l’analyse de Manent (et de Tocqueville) en faisant remarquer que la science
moderne n’est pas non plus sans rapport avec les caractéristiques de l’art
contemporain que nous avons mis en évidence. On pourrait par exemple, sans
grande difficultés, tracer des parallèles entre la théorie néo-darwinienne
concernant l’origine de la vie et l’évolution des espèces, et la Weltanschauung
propagée par « l’avant-garde » artistique au 20ème siècle.
Enfin, il serait possible de relier tous les fils en analysant les rapports qui
existent entre la science moderne et la philosophie politique moderne.
Mais une telle analyse nous
entrainerait beaucoup trop loin sur des chemins beaucoup trop escarpés. Restons-en
donc à cette constatation : il existe une affinité certaine entre notre
philosophie politique et notre production artistique et notamment entre nos
principes « individualistes » et les caractéristiques les plus
contestables et les moins satisfaisantes de notre architecture, de notre
littérature, de notre musique, de notre peinture, etc.
Gardons-nous, toutefois, d’en
tirer des conclusions trop radicales au sujet de « la modernité » ou
« la démocratie ».
D’une part, lorsque l’on
découvre, ou que l’on croit découvrir une cause général commune à beaucoup de
phénomènes, le danger est de croire que cette cause est irrésistible et de
faire disparaitre la part irréductible du hasard et de la liberté dans les
affaires humaines. Il existe bien, si l’on veut, un « esprit du temps »,
qui est plutôt un esprit du régime politique, un ensemble d’idées dominantes que,
l’être humain étant ce qu’il est, la plupart des hommes accepteront sans
réflexion. Mais il s’agit d’une tendance générale, pas d’une fatalité. Il est
toujours possible de s’émanciper de « l’esprit de son temps » ou,
plus modestement, des idées dominantes dans le milieu familial ou professionnel
au sein duquel on évolue. Ainsi, dans le domaine de l’art, il existera toujours
des artistes qui iront à contre-courant des conceptions en vogue, celles qui
conduisent à l’argent, aux places et aux honneurs. Et, inversement, la
domination d’un courant artistique ne se maintient pas durablement sans un
effort constant de la part de ses membres pour accaparer les positions à partir
desquelles se distribuent l’argent, les places et les honneurs.
J’ai parlé précédemment
d’Alexandre Damnianovitch. Après avoir subi, dans sa jeunesse, l’influence et
la domination intellectuel du courant sériel, il s’en est peu à peu émancipé
pour revenir vers un langage musical classique et pour développer une œuvre
véritablement personnelle, inspirée par le passé de la Serbie sans en être une
simple répétition. Il existe beaucoup de musiciens comme lui, mais ils sont
maintenus dans une semi-obscurité par la domination institutionnelle des
disciples de Boulez (pour dire les choses rapidement). De la même manière, tous
les architectes actuels ne sont pas des adeptes des principes de Le Corbusier,
mais à ceux-là vont rarement les commandes prestigieuses. Et ainsi de suite.
D’autre part, la modernité est
déjà une histoire vieille de plusieurs siècles et le phénomène qui nous
intéresse date du 20ème siècle tout au plus, il ne peut donc pas
être imputé à « la modernité » ou à « l’individualisme
démocratique » purement et simplement. Le Paris que nous admirons tant et
dont nous regrettons qu’il soit de plus en plus défiguré par les créations des
architectes contemporains, ce Paris est pour l’essentiel est une création de la
modernité. Comme l’écrit Claire Berlinski :
« Au milieu du 19ème siècle,
le centre de Paris était un dédale de rues enchevêtrées, un foyer d’émeutes et
d’épidémies de choléra. L’empereur Napoléon III montra à son préfet de la
Seine, Georges-Eugène Haussmann, un plan de Paris et lui donna pour instruction
« d’aérer, d’unifier et d’embellir ». Haussmann transforma le Paris décrit par
Balzac en la ville que nous connaissons de nos jours, une ville dans laquelle
de larges boulevards bordés d’arbres mènent l’œil à des monuments
néoclassiques, à des hôtels particuliers faits de marbre couleur crème et de
calcaire, à des fontaines spectaculaires et à des jardins soigneusement
entretenus. Les grandes cathédrales devinrent les joyaux d’un bracelet urbain
fait de statues dorées, d’ornement précieux, de gargouilles grimaçantes, de
nymphes lascives et de chérubins potelés. »
Haussmann a considérablement
embelli Paris et il l’a fait en partie en détruisant le Paris plus ancien,
apparemment sans aucun remords. Mais si Haussmann a fait de Paris une ville
moderne, il l’a fait en respectant les principes classiques de l’architecture,
ceux déjà employés et théorisés par les Romains, par exemple dans le fameux
traité de Vitruve, De architectura, composé au premier siècle avant
notre ère. Ces principes ont parcouru les siècles pratiquement sans altération
et nous connaissons tous le célèbre « Homme de Vitruve », dessiné par
Léonard de Vinci en appliquant les proportions du grand architecte romain.
Léonard, et des générations d’artistes, d’architectes et d’urbanistes modernes
après lui ont continué à déférer à la règle fondamentale énoncée par Vitruve :
« Pour qu’un bâtiment soit beau, il doit posséder une symétrie et des
proportions parfaites comme celles qu’on trouve dans la nature ». Haussmann
était de ceux-là. Mais il y en a eu beaucoup d’autres et une simple promenade
dans Paris permet de constater que, jusque dans les années 1920 au moins, les
architectes en général respectaient les trois critères de Vitruve : firmitas,
utilitas, venustas.
En fait, nous ne devons pas
oublier que la modernité, d’un point de vue politique, s’est d’emblée présentée
sous un double aspect. Avec l’affirmation des droits de l’individu et en même
temps qu’elle est venue l’affirmation d’un commun particulièrement vigoureux,
sous la forme de la nation. La déclaration des Droits de l’Homme de 1789 est
aussi la déclaration des droits du citoyen et elle est, pour ainsi dire,
concomitante de la transformation des Etats Généraux en Assemblée Nationale. La
déclaration d’indépendance des Etats-Unis, qui affirme que tous les hommes ont
été créés égaux et sont dotés de certains droits inaliénables, commence en
évoquant le droit à « une place séparée et égale » que « les Lois
de la Nature et du Dieu de la Nature », donnent à chaque peuple. La
modernité, c’est aussi la montée en puissance des nations et les deux guerres
mondiales, par leur ampleur totalement inédite, ont à l’évidence quelque chose
à voir avec cette formidable énergie collective générée par les principes
modernes. La modernité politique, en d’autres termes, ne peut pas être résumée
à « l’individualisme ». Il y a toujours eu un autre pôle : le
pôle de la « nation sacrée ». Bien évidemment ces deux pôles sont en
tension mais, pendant assez longtemps, cette tension a pu être considérée comme
productive. Ce n’est que depuis le vingtième siècle, et même depuis le milieu
de celui-ci, que la dialectique moderne entre l’individu et la communauté
semble avoir été rompue, avec une victoire presque sans partage de l’individu
et de ses « droits », « droits » qui eux-mêmes se sont
étendus presque à l’infini. Par une coïncidence qui n’en est très
vraisemblablement pas une, c’est à peu près au même moment que les artistes ont
largué les amarres et ont fait voile sur l’océan du bizarre et du laid, que
leur rapport au passé est devenu celui du mépris, du rejet ou de l’oubli.
Si comme je le crois, cette
coïncidence n’en est pas une, cela signifie que le combat politique de notre
temps, le combat très actuel qui oppose ceux qui savent qu’ils sont membres
d’un corps politique singulier et qui veulent préserver ce corps politique et
ceux qui se croient de purs individus et qui veulent détruire ce corps
politique qui les gêne - ou, pour en rester à la France, entre ceux qui croient
que la France est bonne et doit être préservée et ceux qui croient que la
France est mauvaise et doit être détruite - ce combat-là est coextensif au
combat qui se mène sur le terrain de l’art, entre les défenseurs de la beauté,
de la nature et du sens, et les partisans de la laideur, de l’artificiel, de
l’absurde.
La victoire ou la défaite des uns
devrait suivre de près la victoire ou la défaite des autres.