Une nouvelle traduction d'un article de Dalrymple, pour occuper le terrain en attendant une production plus personnelle. Mais je ne pense pas que vous vous en plaindrez.
Bonne lecture.
Plonger dans les ténèbres
Lorsque la
victime n’est pas innocente
Par Théodore Dalrymple, The City Journal, Spring 2015
Jamais on ne cessera
d’écrire des livres ; mais il se trouve rarement un motif aussi effroyable
pour écrire – ou du moins pour dicter – que celui qu’a éprouvé Tina Nash. Elle
n’aurait jamais souillé un page blanche si son petit ami, Shane Jenkins, ne
l’avait pas frappé et étranglé jusqu’à ce qu’elle perde connaissance, avant de
lui arracher les yeux avec ses mains, la laissant aveugle pour le reste de ses
jours. Cette année-là (2011), en Grande-Bretagne, ce crime éclipsa tous les
autres en termes de malignité pure.
Le livre de la victime
– Hors des ténèbres – est un
classique dans son genre. Bien qu’il ait été écrit par quelqu’un d’autre, il
est clair que la voix que l’on y entend est bien celle de Tina Nash, la voix
d’une jeune femme sans instruction mais pas sans intelligence, issue du
quart-monde britannique. Nash s’exprime sans précautions et sans art, comme si
elle n’avait pas conscience de ce qu’elle révèle au lecteur au sujet de sa
manière de penser et de la sous-culture au sein de laquelle elle a vécu toute
sa vie. C’est précisément à cause de cette inconscience que son livre est si
instructif : il devrait être une lecture obligatoire pour tous ceux qui
pensent que, dans la société moderne, la dégradation est simplement une
question de manque d’argent.
Il est impossible de ne
pas compatir avec quelqu’un qui a autant souffert que Nash. Sa description de
la manière dont elle est sortie de l’inconscience pour découvrir l’un de ses
yeux qui pendait le long de sa joue, comme s’il était une sorte de corps
étranger, mou et humide, est aussi horrible que n’importe quoi que j’ai pu lire
ou que je pense pouvoir lire. Sa conduite était peut-être stupide et
irresponsable, mais rien de ce qu’elle a fait n’aurait pu mériter ne serait-ce
qu’une fraction d’une conséquence si atroce. En ce qui concerne l’auteur de cet
acte, aucun châtiment n’aurait pu être trop exemplaire pour être juste et la
sévérité de sa punition n’a été limitée que par la nécessité de rester
nous-mêmes civilisés.
Mais se contenter de
sympathiser avec Nash ne serait pas une réponse appropriée à son histoire. Cela
serait une forme de dérobade – intellectuelle, morale et émotionnelle. Dans de
telles circonstances, il est confortable de compatir ; il est
inconfortable d’avoir à réfléchir et à juger.
Nash est née en
Cornouailles, l’un des six enfants d’une mère dont les relations avec les
hommes étaient tumultueuses. « J’ai vu ma mère passer par des centaines de
rupture et être mal traitée par les hommes », nous dit-elle. La vie
amoureuse compliquée de sa mère lui laissait peu de temps pour ses enfants car,
comme le fait remarquer Nash « j’étais beaucoup plus proche de ma
grand-mère que de ma mère, qui semblait ne jamais avoir de temps pour
nous. » Combien parmi ces six enfants avaient le même père, nous ne l’apprenons
jamais, et de fait Nash ne mentionne le père d’aucun d’entre eux, y compris le
sien. Il apparait qu’elle est née dans un monde radicalement dépourvu de père
et, bien qu’elle ne le dise pas, il est probable qu’au moins certains de ses
frères et sœurs aient été des demi-frères et des demi-sœurs, et de la même
manière, bien qu’elle ne le dise pas, il est probable que le principal revenu
de la famille provenait de l’Etat, dont les allocations qu’il versait
signifiaient qu’il était en pratique le père des enfants. Nash a grandi dans un
ensemble de logements sociaux et semble avoir occupé ce genre de logements
subventionnés toute sa vie. Pour autant, son enfance n’était pas entièrement
déshéritée : l’une de ses passions durant l’enfance et l’adolescence était
de monter à cheval.
D’une façon qui n’est
pas surprenante, la question de la paternité se pose à peine pour elle. Elle nous informe très tôt dans son livre
qu’elle est la mère célibataire de deux enfants. En parlant de son premier
enfant, elle dit, « Sans doute l’ai-je eu lorsque j’étais très jeune, mais
mes enfants sont tout pour moi et je n’ai jamais regretté une seconde d’être
devenue mère à seize ans. » En un sens nous sommes soulagés de
l’apprendre, car il serait difficile pour une femme, à moins qu’elle n’ait une certaine
sophistication philosophique, de
regretter être devenue mère tout en se réjouissant d’avoir un enfant, et il est
à l’évidence préférable qu’un enfant soit désiré plutôt que d’être un objet de
ressentiment.
A la phrase suivante
nous lisons : « Mes choix en ce qui concerne les hommes, cependant,
laissent beaucoup à désirer. » Et lorsque qu’elle commence à raconter les
évènements qui allaient l’amener à perdre la vue, elle écrit, « J’étais
revenue dans la ville de mon enfance, avec deux fils de deux pères différents
et après une série de relations sans issue. » Il est évident que pour elle
la question de savoir si un homme ferait un bon père pour ses enfants ne s’est
jamais posée, ni avant ni après leur naissance, parce qu’elle estime que les
pères ne sont pas essentiels, voire sont inutiles, comme ils le sont en effet
d’un point de vue économique, étant donné qu’il est fort probable que l’Etat la
soutienne financièrement. C’est pour cela que ses choix en ce qui concerne les
hommes « laissent beaucoup à désirer » : aucune conséquence de
long terme ne s’y attache pour elle, ou ne semble s’y attacher, de sorte que le
seul critère de choix était l’attraction immédiate – communément appelée
luxure. Si ses choix en ce qui concerne les hommes laissaient beaucoup à
désirer, ses choix en ce qui concerne les hommes furent effectués en désirant
beaucoup. La luxure est une expérience humaine pratiquement universelle ;
ce qui est nouveau, c’est la totale perte de conscience du fait qu’il s’agit
d’un péché capital et des conséquences désastreuses qui s’ensuivent lorsqu’elle
devient le principal guide de l’action. Mais Nash vivait au sein d’un monde
dans lequel, grâce à l’aide fournie par l’Etat, il existait peu d’autres guides
dans ce domaine important de l’existence – ou en tout cas aucun qui soit plus
important. La luxure allait finir par lui prendre ses yeux.
Parce qu’elle a presque
à coup sûr vécue toute sa vie des aides de l’Etat, elle aurait, selon la
définition moderne de la pauvreté, été cataloguée comme pauvre, avec un revenu
inférieur à 60% du revenu médian de l’ensemble de la population ; elle
était par conséquent, selon ce point de vue, une victime de l’inégalité. Elle
remarque qu’elle manquait toujours d’argent, et cela est certainement vrai,
comme cela l’est probablement pour la majeure partie des êtres humains. Mais
elle nous dit aussi qu’elle possédait un équipement de disc-jockey valant 3200
dollars (son rêve était de devenir DJ professionnel) ; qu’elle avait une
voiture ; qu’elle semblait n’avoir aucune difficulté à trouver l’argent
nécessaire pour aller dans les nightclubs et pour boire à l’excès (pas aussi
souvent, toutefois, qu’elle l’aurait voulu) ; qu’elle avait dans son salon
une télévision à plasma de 107 cm (tandis que ses enfants pouvaient regarder
une seconde télévision dans leur chambre), et tout l’équipement électronique voué
à la distraction et à l’amusement. Lorsque le fameux Shane Jenkin détruisit son
logement, elle fut capable de le redécorer et de le remeubler. (Elle lui acheta
aussi des cadeaux de Noël pour des centaines de dollars.) Elle semble avoir
possédé une garde-robe bien fournie, tirant plus sur le voyant que sur
l’élégant mais pas nécessairement bon marché pour autant. Si c’est cela la
pauvreté, ce n’est pas exactement ce que l’on appelle de ce nom, mettons, au
sud Soudan. Au contraire, cela ressemble plus à du luxe de bas-étage, à une
existence dans laquelle se prélasser est la principale préoccupation.
Nous en arrivons
maintenant à son choix de Jenkins comme compagnon. Il se trouve qu’elle l’avait
rencontré à une soirée quelques années plus tôt, alors qu’il venait juste de
sortir de quatre ans et demi de prison pour avoir « piétiné la tête d’un
type et lui avoir endommagé le cerveau », comme le lui avait dit son
meilleur ami – qui ajouta « c’est un putain de psychopathe. » Et la
première expérience de Nash avec lui était loin d’être entièrement
favorable : après qu’ils aient passé plusieurs heures à parler ensemble de
musique et « de notre amour commun pour le rappeur 2pac », il avait
essayé de la contraindre à avoir un rapport sexuel. Ce n’était pas l’amour à la
première occasion par conséquent : ce fut l’amour à la seconde occasion.
Cette seconde occasion
survint alors que « j’avais bu quelques verres de vin » dans un
restaurant et « quelques verres de Tequila » dans un nightclub, où
elle tomba sur lui à nouveau, de sorte qu’elle « était à peine capable
d’entendre dans ma tête cette mise en garde [de la part de son ami à propos de
Jenkins, quelques années plus tôt] à cause de tout l’alcool que j’avais
ingurgité. » A peine capable d’entendre n’est bien sûr pas la même chose
que « incapable d’entendre » ; mais à la fin de leur seconde
rencontre, elle se rappelle que « je pouvais déjà dire que Shane avait
quelque chose de différent des autres. » Lorsqu’il lui demanda son numéro
de téléphone, « je n’hésitais pas une seconde. Je sentais que je pouvais
lui faire confiance. »
Qu’est-ce que Jenkin
avait donc de si attirant ? C’était sa taille et ses muscles. Il mesurait
1m90 et « sa poitrine était si puissante que son t-shirt collait dessus
comme de la cellophane, dessinant ses pectoraux saillants. Son jeans moulait
ses cuisses, mettant en valeur son derrière musclé. » Les rationalisations
ultérieures de Nash pour rester avec lui n’étaient qu’un rideau de fumée pour
dissimuler la crudité de son désir. Sa description de Jenkin comme un bel homme
était certainement grotesque : il avait le visage et l’expression d’un voyou
déterminé et même si, à strictement parler, il n’existe sans doute pas d’art
permettant de déduire l’esprit à partir d’un visage, son cas était une
exception à cette règle shakespearienne. Un seul regard à son visage, et vous auriez
traversé la rue pour l’éviter.
Mais Jenkin
apparaissait à Nash comme « un gros ours en peluche » avec « des
yeux de chiots ». En se réveillant après leur première nuit ensemble,
toutefois, elle remarqua ses tatouages sur la poitrine et les bras. « Le
long de son bras droit, il y avait l’image d’un bourreau encapuchonné qui
brandissait son épée comme s’il était sur le point de décapiter quelqu’un… sur
son pectoral gauche, il y avait le tatouage d’un tigre arrachant la tête de
quelqu’un. Le long de son bras gauche il y avait marqué HORS-LA-LOI en grandes
lettres capitales noires. » Et pourtant, bien qu’elle ait su qu’il avait effectué
une longue peine de prison pour avoir sérieusement blessé quelqu’un, elle
« eu un petit rire à l’idée que Shane se voyait un peu comme un hors-la-loi. »
Sa nuit d’amour avec elle eu pour conséquence qu’il ne parvint pas à se lever
le matin, en conséquence de quoi il perdit son travail en tant que peintre et
décorateur, et il n’en retrouva, ou n’en chercha, jamais d’autre.
Nash persistait à avoir
une bonne opinion de Jenkin en dépit du peu d’éléments pour appuyer cette
opinion. Dans un chapitre intitulé « Les jeux de l’amour », racontant
une période au début de leur relation, elle décrit la manière dont il manqua un
rendez-vous avec elle parce qu’il donnait une soirée dans son appartement avec
de nombreuses filles. Bien plus tard ce soir-là, il se présente saoul et ils
vont ensemble dans un nightclub où il « descend » quelques cidres
supplémentaires, puis enlève la ceinture de son pantalon et l’enroule autour de
son poing avant de commencer à se battre « avec un type pris au
hasard ». Lorsque Nash menace de quitter le nightclub, il s’excuse et ils
vont dans une soirée pleine de monde qui se tient dans l’appartement de la sœur
de Nash. Là-bas, pour se débarrasser de quelques invités, « il commence à flanquer
des coups de pied à tous les hommes qui étaient assis par terre. Vous pouviez
entendre le bruit de ses chaussures frapper et écraser les corps. »
Dans le chapitre
suivant intitulé « La bulle explose » - la bulle en question étant
sans doute celle du parfait amour – le couple va à une « rave » pour
le réveillon du jour de l’an, où Jenkins abandonne rapidement Nash. Restée
seule, Nash passe la soirée avec le petit ami de la sœur de Jenkin. Lorsque,
beaucoup plus tard, Nash retrouve Jenkin, il « siffle, « espèce de
salope… tu étais là-bas en train de flirter avec chaque putain de mec. Je parie
que tu baisais aussi avec eux. » Alors Jenkins l’ours en peluche
« émit un étrange bruit de gorge,
renversa sa tête en arrière, puis me cracha dessus. »
« Foutue
salope » s’écria-t-il, tandis que j’essuyais mon visage avec incrédulité.
Il recommença encore et encore, il me crachait dessus comme une mitrailleuse.
« Arrête »
le supplia-je. J’étais embarrassée et j’avais peur. Il me donnait le sentiment
d’être une moins que rien.
Nash repart avec l’ours
en peluche pour reprendre chez lui quelques-unes de ses affaires. Pendant le
trajet il lui tire les cheveux et lui hurle dessus : « sale pute ! ».
Lorsqu’elle sort de la voiture, il la pousse dans la rue et sa tête heurte le
bitume. Elle rassemble rapidement ses affaires et s’enfuit. Malheureusement,
lorsqu’elle arrive à sa voiture, qu’elle avait laissé près de l’appartement,
elle trouve son pare-brise éclaté. Jenkins l’avait cassé à coup de brique
(« bricked »).
Nous devrions nous
arrêter sur cet emploi du mot « brique » comme un verbe. Cela m’a
ramené des années en arrière, dans la prison dans laquelle je travaillais,
lorsque l’on me demandait d’aller voir des détenus qui venaient de se prendre
un coup de PP9 (« PP-nined »). Je ne compris pas ce que signifiait ce
terme la première fois où je l’entendis, mais je découvris rapidement que la
PP9 était une large pile carrée qui, en ce temps-là, alimentait les postes de
radio et que les prisonniers avaient la permission d’acheter. De temps en temps,
un prisonnier mettait une de ces piles dans une chaussette, faisait tourner la
chaussette comme s’il s’agissait d’un bola sud-américain, et attaquait ses
ennemis avec cette arme improvisée, habituellement dans la douche ou dans la
cour de promenade. Le fait que la PP9 soit devenue un verbe suggérait que ce
type d’attaque était désormais une chose normale, que cela faisait partie de la
« culture » de la prison. De la même manière, Nash transforme en
verbe le mot « brique » comme si les petits amis jaloux qui envoient
des briques au travers du pare-brise de leur compagne faisaient partie de la
vie de tous les jours, ce qui est effectivement le cas, dans certains segments
de la société. Dans ces endroits, chacun vit dans une prison sans gardes ni
barreaux, et les hommes comme Shane Jenkin font la loi.
Le titre du chapitre
suivant est instructif : « Le cauchemar commence. » Apparemment,
tout ce qui s’était passé auparavant n’était pas un cauchemar mais juste une
réalité acceptable. A partir de ce moment, Jenkin montre à peu près tous les
signes avant-coureur possibles de futurs accès de violence et de cruauté. Il
prend des stéroïdes anabolisants. Il se présente un jour avec une arbalète –
une arme puissante – en prétendant que des Lituaniens avec lesquels il s’est
disputé veulent le tuer. Il passe ses journées à jouer à des jeux vidéo
violents et ses nuits à regarder des films d’horreur terriblement sadiques, et
parmi eux des films qui montrent en détails des gens se faire arracher les yeux
à mains nues – des scènes qui l’excitent à l’évidence et qu’il demande à Nash
de regarder avec lui. Nash apprend que Jenkin a tué son propre chien – un
Rottweiler, cela va sans dire - à coup de couteau lorsqu’il s’en est lassé.
Un soir Jenkin veut
rester chez Nash au lieu de sortir boire avec elle et son amie Kate. Nash lui
laisse la garde de ses enfants tandis qu’elle-même et son amie vont au pub, où
elles s’enivrent grossièrement. Elle revient chez elle et se couche
immédiatement, pour être réveillée à deux heures du matin par de la musique à
plein volume.
Mes
enfants essayaient de dormir. Je frappais sur le sol pour demander à Shane de
baisser la musique. Shane monta les escaliers, vêtu de son habituel pantalon de
survêtement…
« Quoi ?
Quoi ? » aboya-t-il ?
« Regarde
dans quel état du es, tu t’es dégueulé dessus, » dit-il d’un air dégoûté.
Je me retournai pour voir une mare de vomi sur les draps. Je haletai. Le sang
battait à mes tempes.
Nulle part dans le
livre on ne trouve de reconnaissance du fait qu’une mère dont les enfants
signifient « tout » pour elle ne devrait pas les laisser à la garde
d’un homme qui est à l’évidence un psychopathe, ou qu’elle ne devrait pas se
coucher tellement ivre qu’elle ne réalise même pas qu’elle a vomi pendant son
sommeil.
Nash descend les
escaliers, pour découvrir que Jenkin a manifestement couché avec son ami, Kate,
avec laquelle elle était sortie boire. Ce fut la limite : « trop
c’est trop, » dit-elle. « Aucun homme ne me trompe. » Elle
demande à Jenkin de quitter la maison.
Les
yeux de Shane devinrent sombres. Il ressemblait à un robot sur le point
d’exterminer quelqu’un – moi.
BLAM !
Il
me frappa au visage, me faisant tournoyer sur moi-même. Mais qu’est-ce qui… ?
Je ne comprenais pas ce qui se passait. Je me retournais vers lui à nouveau.
BLAM !
Sur
l’autre joue, avec toute la force de son corps. Je ne sais pas comment je me
tenais encore debout.
BLAM !
Sur
ma nuque. Je tombai au sol : Shane m’écrasait de son corps gigantesque. Je
regardai dans ses yeux, ils étaient noirs et dépourvus d’émotion comme ceux de
la mort elle-même.
Il
mit ses pouces sur mes yeux et essaya de les enfoncer dans mon crâne. Tout cela
devant les enfants.
Vous pourriez penser
que Nash en aurait eu assez de l’ours en peluche à partir de ce moment, mais
vous vous tromperiez. Elle se rendit elle aussi coupable d’un délit
sérieux : le parjure. Ayant traité Nash de « trainée », Jenkin
quitta la maison. Un ami arriva, appela la police, et emmena Nash à l’hôpital.
Jenkin fut immédiatement arrêté et inculpé pour coups et blessures volontaires
(grievious bodily arm – GBH, un acronyme bien mieux connu dans les cercles
qu’il fréquentait que, mettons, OTAN ou UNESCO).
(…)
Avec son passé
judiciaire, Jenkin était passible d’une longue peine de prison, à défaut d’une
peine de perpétuité. Il fut laissé en liberté provisoire, à la condition qu’il
ne s’approche pas de Nash ni n’entre en contact avec elle, et la police – aux
frais du contribuable, bien évidemment – remis à celle-ci une télé-alarme la
reliant directement au poste de police, et lui aménagea chez elle une pièce
« sécurisée » dans laquelle s’enfermer si jamais Jenkin faisait son
apparition.
A ce stade, nul ne sera
sans doute surpris d’apprendre que Jenkin, en dépit de l’interdiction qui lui
était faite, se présenta régulièrement chez elle, et qu’elle le laissa entrer,
car il lui manquait. Il la persuada, avec son mélange habituel d’apitoiement
sur lui-même et de violence, de retirer sa plainte et d’affirmer qu’il avait
agi en état de légitime défense – parce que Nash l’avait attaqué en premier. La
police ne crut pas une telle absurdité et maintint les charges contre Jenkin.
Les policiers arrêtèrent même Jenkin plusieurs fois chez Nash (le tout, bien
entendu, devant les enfants qui signifiaient tout pour elle). Finalement, il
fut renvoyé en prison, d’où il expédia de nombreux messages à Nash dans
lesquels il la rendait responsable de sa situation.
Le procès fut reporté
plusieurs fois, Jenkin prétendant qu’il avait des problèmes de santé qui l’empêchaient
d’assister à l’audience, mais il finit tout de même par se présenter devant le
tribunal. Après que des sommes et un travail considérables aient été consacrés
à son affaire, Nash se mit en demeure de mentir devant le tribunal. Non,
prétendit-elle, Jenkin ne l’avait pas attaqué, elle était tombée dans les
escaliers. En fait il n’avait pas levé le petit doigt sur elle. Elle l’avait
accusé à ce moment là parce qu’elle était jalouse et en colère.
Il n’y avait pas
d’autre solution que l’acquittement. Le juge, cependant, fit la démarche
inhabituelle de convoquer Nash dans son bureau après que l’acquittement eut été
prononcé, pour lui dire qu’il espérait que ses actes n’auraient pas de graves
conséquences pour elle. « Ses mots étaient comme la foudre tombant sur mon
cœur, » écrit Nash. Mais alors qu’elle quittait le tribunal en compagnie
de Jenkin, elle répondit à ses déclarations d’amour par un « moi aussi, je
t’aime. »
Jenkin reprit vite ses
agissements violents, bien que Nash écrive que parfois « Shane semblait
retrouver son ancienne personnalité, » celle de l’ours en peluche. La nuit
avant l’agression finale, Jenkin regardait une vidéo :
« Shane
ne pouvait détacher ses yeux des images malsaines d’une jeune chinoise à
laquelle un psychopathe était en train d’arracher les yeux…
« Ce
n’est pas bien », dis-je, tandis que je me recroquevillais contre son
corps excité. Il ignora mes supplications et me força à continuer de regarder…
cela fit remonter les souvenirs du moment où Shane avait essayé de me crever
les yeux, exactement un an plus tôt. »
Le soir suivant, Jenkin
et Nash étaient dans son jardin, discutant par-dessus la haie avec leurs
nouveaux voisins. Jenkin leur proposa
certaines de ses drogues, mais Nash lui prit le flacon des mains, parce que
« les services sociaux venaient juste de me laisser tranquille, et que je
n’avais pas besoin qu’il me cause des problèmes avec les voisins. »
Nash alla se coucher et
fut réveillée par Jenkin qui tentait de l’étrangler. Elle perdit conscience.
J’épargnerai au lecteur le récit de son énucléation ; il suffira de dire
que Jenkin lui en fit porter la responsabilité : « Tout est de ta
faute. Tout ça à cause de ces foutus pilules. »
Shane Jenkin fut
condamné à la prison à perpétuité – moins que ce qu’il mérite, mais le maximum
de ce qu’il pouvait recevoir. Pour ce qui concerne Tina Nash, que dire ?
Il va sans dire qu’elle mérite de la compassion car, pour le répéter, aucune
bêtise de sa part, même incorrigible, et aucune faute (négligence de ses
enfants, parjure) n’aurait pu mériter une telle souffrance. Mais l’on devrait
se demander comment elle fut amenée à agir avec une insouciance aussi
consommée.
Pour paraphraser
légèrement Shakespeare :
D’où l’idiotie
nait-elle, dites le moi,
Est-ce tête ou cœur qui
y pourvoit ?
Qui la nourrit, qui la
conçoit ?
Répondez-moi,
répondez-moi ?
Peut-être n’y a-t-il
rien de nouveau sous le soleil, mais aussi il est difficile de ne pas croire
que l’Etat a permis la conduite de Nash, bien qu’il ne l’ait pas obligé à agir
comme elle l’a fait. Il est vrai que si sa conception de la vie bonne avait été
différente, jamais le fait d’être dépendante de l’Etat n’aurait produit un tel
résultat. Mais avec une conception matérialiste de la vie, dans laquelle ce qui
est important est la pure consommation, et dans laquelle il n’existe pas d’incitation
ou de récompense matérielle pour qui se conduit raisonnablement, ni de pénalité
matérielle pour celui qui ne le fait pas, il n’est pas surprenant que certaines
personnes ne prennent pas au sérieux le fait de décider, y compris pour ce qui
concerne leur propre vie, et qu’ils suivent par conséquent aveuglement leurs
inclinations élémentaires, au mépris des conséquences les plus évidentes. Le
plaisir du moment est tout ce qui compte. Pour eux plutôt étrangler dans son
berceau un enfant que de nourrir des désirs inassouvis.
Dans son livre, Tina
Nash décrit comment elle a essayé courageusement de continuer à vivre après
avoir perdu la vue. Après avoir fini son livre, elle a rencontré un nouveau
compagnon. Qui vient tout juste d’être envoyé en prison pour l’avoir frappé. O splendide
nouveau monde, qui compte de pareils habitants !