Dans More guns, less crime, John Lott examine l’effet sur la criminalité d’un certain type de lois, les lois dites « right-to-carry », c’est-à-dire les lois qui autorisent les citoyens américains à porter une arme à feu sur eux de manière dissimulée. Bien entendu les Etats-Unis ne sont pas le seul pays du monde à autoriser ce genre de chose, mais l’immense avantage des Etats-Unis, pour celui qui cherche à mesurer les effets d’une telle mesure, est que ce sont les différents Etats, et non le gouvernement fédéral, qui édictent les principales règles concernant la possession des armes à feu. Par conséquent, il est possible de comparer les Etats dans lesquels ce type de législation existe et ceux dans lesquels le port d’armes est interdit.
Mieux, il est possible de comparer les mêmes Etats à différentes époques, car si en 2007 trente-neuf Etats des Etats-Unis autorisaient le port d’une arme dissimulée, vingt-neuf d’entre eux avaient adopté ce type de loi entre 1977 et 2005, soit la période étudiée par John Lott. En d’autres termes, il est possible de comparer « l’avant » et « l’après » adoption d’une loi right-to-carry du point de vue de la criminalité.
Bien entendu, comparer simplement
le taux de criminalité avant et après le passage d’une loi autorisant le port d’armes
ne saurait suffire. Le port d’armes n’est qu’une des nombreuses variables
susceptibles d’influer sur ce taux de criminalité. Ces autres variables doivent
donc être contrôlées pour essayer d’isoler le seul effet du port d’armes. Par
ailleurs il existe, pour les esprits non avertis, quantité de chausse-trappes
dans lesquelles tomber lorsqu’on essaye de prouver de manière quantitative que
A est la cause, ou une des causes, de B.
Il ne saurait être question
d’énumérer ici toutes ces chausse-trappes ni de retracer les analyses
statistiques complexes par lesquelles Lott parvient à ses conclusions, et ceux
qui voudraient en savoir plus sur ces questions sont instamment invités à se
procurer les ouvrages de John Lott. Néanmoins, deux précisions semblent appropriées
avant d’exposer ces conclusions.
D’une part, au fur et à mesure
que ses critiques essayaient de prendre ses travaux en défaut, Lott a incorporé
dans son étude un nombre incroyable de variables susceptibles de faire varier
les taux des différents crimes (variables démographiques, variables
économiques, variables liées à l’activité de la police et de la justice, etc.),
et il est bien difficile d’imaginer une variable qu’il aurait pu oublier et qui
fausserait ses résultats.
D’autre part, More guns, less crime a fait l’objet
d’attaques permanentes depuis sa première parution, depuis les critiques les
plus légitimes jusqu’aux attaques personnelles les plus violentes et les plus
basses contre son auteur. La question du contrôle des armes à feu est un sujet
très polémique aux Etats-Unis, et Lott a appris à ses dépends ce qu’il en coûte
de prendre publiquement position sur ce genre de sujets. Cela signifie que nous
pouvons être à peu près sûrs que, si ses critiques avaient pu trouver une
faille sérieuse dans More guns, less
crime, ils l’auraient fait. L’un des intérêts de la troisième édition du
livre est ainsi de voir Lott répondre méthodiquement à ses principaux critiques,
et conforter de cette manière ses lecteurs dans l’idée que, réellement, toutes
les causes imaginables d’erreur ont été passées en revue.
Cela étant dit, quels sont donc
ces fameux résultats ? More guns,
less crime et The bias against guns
contiennent quantité de tableaux et de diagrammes, et je me contenterai de
reproduire ici les courbes les plus synthétiques et les plus aisément compréhensibles
par les non initiés ; et ce pour les trois éditions, afin de bien montrer
que le passage du temps ne fait que confirmer les premiers résultats. Le point
zéro sur l’abscisse correspond au moment où a été adoptée une loi right-to-carry, qui donc autorise le
port d’arme pour les simples citoyens.
Les résultats de la première
édition (1998).
Sur tous ces graphiques, la
baisse des taux de criminalité commence juste après le passage de la loi right-to-carry et amène ces taux bien en
dessous de ce qu’ils étaient avant le passage de la loi. Cet effet est plus
marqué au fur et à mesure des années, ce qui est très cohérent avec l’idée que
l’effet dissuasif doit augmenter à mesure qu’un nombre plus grand de citoyens
se sont vu accorder un permis de port d’arme.
On remarquera que certaines
catégories de crime ne sont pas incluses dans ces graphiques, ce qui s’explique
très simplement par le fait que l’effet dissuasif du port d’arme ne peut guère
jouer que pour les genre de crimes qui impliquent un contact direct entre le
criminel et sa victime. On ne peut pas raisonnablement attendre qu’une loi right-to-carry fasse baisser le taux de
fraudes ou bien de vol de voiture, par exemple. Au contraire, il serait même
possible que le droit de porter une arme soit responsable d’un effet de
substitution chez les criminels, ceux-ci se repliant vers les crimes et délits
qui n’impliquent pas de contact direct avec la victime. Une baisse des meurtres
ou des viols pourrait ainsi, éventuellement, se payer par une augmentation de
certains vols.
Ces résultats sont déjà très
suggestifs, mais il est possible de les corroborer en examinant ce qui advient
dans les Etats adjacents à ceux qui adoptent une loi right-to-carry. On peut en effet penser que, pour éviter d’être
confrontés à des victimes qui pourraient être armées, un certain nombre de
criminels préfèreront « délocaliser » leurs activités dans des Etats
qui ne permettent pas aux simples citoyens d’être armés. L’adoption d’une loi right-to-carry dans un Etat devrait
ainsi provoquer une certaine hausse de la criminalité, au moins temporairement,
dans les Etats voisins n’ayant pas la même législation. Or c’est bien ce que
l’on constate.
Regardons maintenant les résultats
de la deuxième édition (2000).
On le voit, l’effet positif est tout aussi net. La baisse continue du taux de meurtres implique notamment que la théorie de la montée aux extrêmes ne se vérifie pas : le fait que leur victime potentielle puisse être armée n’amène pas les criminels à faire un usage plus fréquent d’une arme à feu.
Par ailleurs, ce que ces
graphiques n’indiquent pas mais qui mérite d’être souligné, c’est que certaines
catégories de la population tirent davantage profit que d’autres du fait de
pouvoir être armées. Les femmes et les Noirs sont ceux qui bénéficient le plus
du droit de porter une arme, en ce sens que les taux des crimes dont ils sont
victimes déclinent plus vite que pour les autres parties de la population. Ainsi,
une femme supplémentaire ayant un permis de port d’arme réduit le taux de
meurtre pour les femmes trois ou quatre fois plus qu’un homme armé
supplémentaire ne réduit le taux de meurtre pour les hommes. Cela s’explique
très aisément par les différences physiques et psychologiques qui désavantagent
gravement les femmes par rapport aux hommes en cas de confrontation violente,
désavantages qui s’amenuisent très fortement dès lors qu’elles peuvent être
armées. En ce sens, rien ne fait plus, peut-être, pour l’égalité des sexes que
le droit de porter une arme. Pour les Noirs, cela s’explique par le fait qu’ils
sont, proportionnellement, les premières victimes de la criminalité (le plus
souvent de la part d’autres Noirs), par conséquent, pour les Noirs honnêtes,
porter une arme est un gain très substantiel en termes de sécurité.
Et pourtant, dans les enquêtes
d’opinion menées aux Etats-Unis, les femmes et les Noirs sont habituellement
les catégories de la population qui soutiennent le plus fermement les lois
visant à limiter l’achat et la détention des armes à feu...
Voyons enfin les résultats de la
troisième édition.
Comme anticipé, les crimes impliquant le moins de probabilité de rentrer directement en contact avec la victime sont ceux qui diminuent le moins après l’adoption d’une loi right-to-carry. Certains ont même tendance à augmenter dans un premier temps, comme le vol de voiture. Mais pour les crimes les plus graves, comme le meurtre ou le viol, la baisse est spectaculaire.
En ce qui concerne les
cambriolages (burglary) le déclin,
bien que réel, est moins spectaculaire, mais il faut ajouter à cela une autre
statistique : aux Etats-Unis, les taux de cambriolages aggravés (« hot » burglary)
c’est-à-dire ceux qui ont lieu lorsque la victime est présente chez elle, sont
bien inférieurs à ceux de pays comparables : presque 50% au Canada ou au
Royaume-Uni, contre 13% aux Etats-Unis. La différence est trop importante pour
être due au hasard, et les enquêtes qui sont menées en prison auprès des
cambrioleurs révèlent ce dont l’on pouvait se douter, à savoir que ceux-ci
intègrent dans leur « activité » le risque que quelqu’un d’armé soit
présent sur les lieux. Ainsi, nombreux sont ceux qui reconnaissent qu’ils
évitent les cambriolages nocturnes parce que, disent-ils, « c’est le
meilleur moyen de se faire tuer. »
Pour faire bonne mesure, John
Lott examine les taux de criminalité dans des grandes villes qui ont mises en
place une interdiction quasi totale de posséder des armes à feu, comme
Washington D.C et Chicago. Le but de ces interdictions était bien entendu de
faire diminuer le nombre de meurtres dans ces villes en proie à une criminalité
élevée. Malheureusement, comme on peut le constater sur les graphiques
ci-dessous, ces interdictions n’ont pas eu les résultats escomptés. Les lignes
en pointillées correspondent à l’année où l’interdiction est entrée en vigueur.