La fausse science du féminisme
Les chiffres sont là : les
femmes ne sont pas heureuses
Par Scott Yenor
– The American Mind, 09-10-2020
La crise actuelle de notre régime
est étroitement liée à la montée de ce que l’on appelle « la politique de
l'identité ». Les adeptes de cette conception nouvelle cherchent à abolir
la conception américaine traditionnelle de la famille et de la citoyenneté et à
nous diviser en autant de tribus raciales et sexuelles hostiles les unes aux
autres.
Selon le manifeste de Black
Lives Matter, ce mouvement politique vise à « rompre la structure
familiale nucléaire occidentalo-centrée » et à libérer les individus « de
l'emprise étroite de la pensée hétéronormative ». Que BLM et ses alliés
s’alignent ainsi parfaitement avec les aspirations du féminisme contemporain ne
doit rien au hasard : tous font partie du même mouvement multiculturel.
Pour les féministes contemporaines,
les femmes ne sont pas faites par nature pour être des mères, des épouses ou
pour être chastes ; ce sont les hommes qui exigent que les femmes assument de
tels rôles, ou qui les forcent à le faire, afin de les contrôler plus
facilement. Selon les féministes, les femmes doivent se forger une personnalité
indépendante grâce à au travail créatif et à la libération sexuelle afin d’œuvrer
à la justice sexuelle et de genre. Si elles agissent ainsi, assurent les
féministes, elles deviendront également libres et heureuses.
Pour les critiques du féminisme,
en revanche, tout cela ressemble à une tentative pour supprimer, déformer ou
nier la nature par une idéologie artificielle ou contre nature. Beaucoup de
femmes - pas toutes - seraient plus heureuses si la maternité et la vie de
famille occupaient une plus grande place dans leur vie. Spontanément les femmes
n’évitent pas la maternité et ne cherchent pas à multiplier les partenaires
sexuels, elles ont besoin qu’on leur apprenne à se comporter ainsi. Laissées à
elles-mêmes, elles se comporteraient autrement et seraient plus heureuses avec
des relations durables plutôt qu'avec des aventures d'un soir.
Depuis 50 ans, nous menons une
expérience à l’échelle de la société tout entière qui a fait apparaitre un
nouveau type de femme. Cette nouvelle femme est plus indépendante, apparemment
plus sûre d'elle-même, moins maternelle, plus athlétique et moins chaste. Ce
qui soulève la question suivante : est-elle aussi plus heureuse et plus
épanouie ?
LES MISÈRES DE LA « LIBÉRATION »
On pourrait penser que de telles
questions sont un important objet de recherche pour les sciences sociales. Mais
ce serait une erreur. Les chercheurs dans ces domaines ont abondamment
documenté le changement, mais ils ne se sont guère interrogés au sujet de ses
effets sur le bonheur des individus.
Toutes les données indiquent que
les femmes d’aujourd’hui, qui vivent dans le monde du féminisme, sont beaucoup
plus présentes sur le marché du travail et dans beaucoup plus de catégories
professionnelles. Le ministère du travail présente ces statistiques comme si
elles devaient être une occasion de se réjouir. En 1974, environ un tiers des
femmes ayant des enfants de moins de trois ans travaillaient ; aujourd'hui, ce
chiffre est voisin des deux tiers. Les femmes sont plus nombreuses à être
avocates et médecins, en revanche le domaine des STEM (science, technology,
engineering, and mathematics) n'a pas suivi le même mouvement. Les salaires
moyens des femmes, mesurés de manière agrégée, n'ont pas non plus suivi. Du
point de vue du féminisme, nous avons encore un long chemin à parcourir !
En fait, les études montrent
qu'il existe deux types de femmes : les carriéristes (environ un quart des
femmes) et les femmes qui souhaitent, soit concilier travail et vie de famille,
soit se concentrer exclusivement sur la famille (les 75 % restants). Parmi les médecins et les avocats, les femmes sont beaucoup plus nombreuses à travailler
ou à préférer travailler à temps partiel. Des sondages effectués en 2013 et
2015 montrent que la plupart des mères d'enfants de moins de 18 ans
préféreraient travailler à temps partiel ou ne pas travailler du tout si elles
pouvaient le faire.
La préférence féminine pour le
travail à temps partiel ou pour rester à la maison semble, en fait, augmenter
avec les revenus, à mesure que les femmes sont libérées des supposées nécessités
matérielles. La sociologue d’Harvard Alexandra Killewald constate qu'au moins
60% des mères d'enfants de moins de 18 ans ne travaillent pas à temps plein. La
plupart des femmes néerlandaises préfèrent le travail à temps partiel. Des
études montrent la même chose dans les pays nordiques, même si les journalistes
féministes se demandent comment un tel résultat est possible dans des pays aussi
« éclairés » que la Suède.
Le même fossé existe en matière
de comportement sexuel. Les femmes ont plus de partenaires sexuels au cours de
leur vie qu'avant le féminisme (environ 2 partenaires pour celles nées avant
1930 contre environ 6 pour toutes les femmes nées après 1950), mais il existe
toujours un écart important entre les hommes et les femmes en termes de nombre
de « partenaires sexuels ».
Certaines études montrent que les
hommes ont en moyenne 14,14 partenaires dans une vie, alors que les femmes en
ont 7,12 ; la plupart des études constatent que les hommes ont deux fois plus
de partenaires que les femmes, et ce dans le monde entier. Une étude portant
sur les étudiants en college entre 1965 et 1985 a montré une
augmentation du nombre de partenaires sexuels pour les deux sexes, mais plus
encore chez les hommes. Une méta-étude de 2003 montre que les hommes du monde
entier désirent avoir près de 6 partenaires durant leur vie ; les femmes un peu
plus de 2.
En dépit du fait que les femmes
sont devenues sexuellement plus aventureuses, elles restent moins intéressées
que les hommes par les relations sexuelles occasionnelles et sont plus
susceptibles d’estimer que les rapports sexuels devraient avoir lieu dans le
cadre d’une relation durable. Les femmes qui se comportent comme les hommes d’un
point de vue sexuel ont beaucoup moins de chances d'être heureuses.
Dans « Premarital Sex inAmerica » (2011), Mark Regnerus et Jeremy Uecker présentent des statistiques
montrant que les femmes ayant un nombre élevé de partenaires sexuels, à la fois
durant leur vie et annuellement, sont beaucoup plus susceptibles de souffrir de
dépression, de prendre des antidépresseurs et de pleurer tous les jours que les
femmes qui ont moins de partenaires. Pour les hommes, le nombre de partenaires
ne semble pas corrélé avec ces facteurs (voir pp. 140-141). Les auteurs
concluent : « L’enseignement central de tout cela est que l'association
empirique entre sexualité et santé mentale est très forte pour les femmes - et particulièrement
faible pour les hommes » (p. 138). Une autre étude montre que les femmes
qui ont des partenaires sexuels multiples sont onze fois plus susceptibles de
présenter des signes de dépression que celles qui n’ont jamais eu de rapports
sexuels.
Le féminisme a déplacé le curseur
concernant les actions et les attitudes des femmes - ce changement radical est
le triomphe du féminisme. Cependant,
comme le montrent ces données et d'autres encore, il y a des raisons de penser
que ce triomphe s'accompagne de beaucoup d’insatisfaction au niveau personnel -
et cette insatisfaction est le talon d’Achille du féminisme.
LA TRAGÉDIE DERRIÈRE LES CHIFFRES
Les sciences sociales peuvent
montrer qu’il existe des différences, mais elles ne peuvent pas expliquer pourquoi
il existe des différences - et c'est ce qui fait toute la différence. Certains
considèrent les écarts entre les hommes et les femmes concernant le temps de
travail et le nombre de partenaires sexuels comme l'expression de différences
naturelles. Ces écarts se creuseraient donc à mesure que les sociétés libres et
prospères permettent aux femmes de suivre leurs préférences naturelles. Les
féministes, cependant, voient ces écarts comme des vestiges d'une éducation
patriarcale et donc remédiables, si seulement le gouvernement réprimait plus
sévèrement le harcèlement sexuel ou fournissait davantage de services de garde
d'enfants.
Les écarts constatés proviennent-ils
de différences sexuelles naturelles ou d'une éducation patriarcale ?
Devrions-nous essayer d'éliminer ces écarts par davantage de réformes
féministes ou bien adapter nos mœurs et nos lois pour nous en accommoder ? Les
données ne peuvent pas répondre directement à ces questions.
D'autres écarts relatifs au
bonheur existent et défient toutes les prédictions féministes. Betsey Stevenson
et Justin Wolfers ont observé « le paradoxe du déclin du bonheur féminin »
dans un article paru en 2009. Leur constat : « le bonheur des femmes a
chuté, à la fois en termes absolus et par rapport à celui des hommes, de
manière générale au sein des groupes sociaux, de sorte que les femmes ne
déclarent plus être plus heureuses que les hommes et, dans de nombreux cas,
déclarent maintenant un niveau de bonheur inférieur à celui des hommes... ce
changement s'est produit dans la plus grande partie du monde industrialisé ».
Ils constatent que le nombre de femmes adultes et de lycéennes qui se déclarent
très heureuses ou comblées diminue, de manière substantielle ou marginale selon
le sondage.
Même ceux qui critiquent le constat
de Stevenson et Wolfers ne parviennent qu’à réduire légèrement cet écart
relatif, pas à le faire disparaitre, et doivent admettre que les femmes sont
généralement plus malheureuses aujourd'hui qu'elles ne l'étaient en 1970. Ce
qui est pour moi le plus choquant - ou plutôt, le plus paradoxal - est qu'il existe
si peu d'études qui prolongent les travaux de Stevenson et Wolfers ou qui essayent
de les remettre en question.
Les femmes ne sont pas seulement moins heureuses après la
prise de contrôle de notre culture par le féminisme : elles sont également plus
dépressives qu'elles ne l'étaient auparavant. Une méta-analyse de 2017, par exemple,
révèle qu'environ 10% des femmes souffrent de dépression, contre seulement 5%
des hommes. L'écart est (« de manière contre-intuitive », selon les
auteurs) plus important dans les pays qui mettent davantage l'accent sur
l'égalité des sexes.
« Dans les méta-analyses
portant sur la dépression sévère, les différences entre les sexes concernant le
diagnostic de dépression étaient plus importantes dans les pays où les femmes
avaient davantage de contrôle sur leur fécondité, occupaient plus de postes à
responsabilité et étaient plus proches des hommes en termes de niveau
d’études ». Et encore : « Des différences plus importantes entre les
sexes en termes de dépression sévère ont été constatées dans les pays où
l'égalité des sexes est plus grande et dans les études les plus récentes ».
Les chercheurs mesurent la dépression selon des normes
professionnelles cohérentes, ce qui permet de faire des comparaisons dans le
temps. Les chiffres concernant les femmes dépressives pourraient atteindre 22
%, selon une étude de 2012 mesurant les épisodes de dépression majeure (EDM) sur
une année. Les taux d'EDM étaient beaucoup plus faibles chez les générations
précédentes, où les taux, pour l’ensemble de la vie, se situaient entre 6,3 et 8,6 %.
Ce résultat n’est pas non plus le
résultat d'un meilleur diagnostic. On retrouve les mêmes différences dans une
méta-analyse de 1989 portant sur des études réalisées entre 1960 et 1975, qui constate
que les femmes des pays avancés, comme les États-Unis et la Suède, sont deux à
trois fois plus susceptibles d'être dépressives que les hommes, alors qu'il n'y
a pas d'écart dans les pays plus traditionnels comme (à l'époque) la Corée, ou
parmi les communautés d'immigrants comme les américano-mexicains. Une étude
similaire, réalisée en 1992, a révélé que « les générations plus récentes
sont davantage exposées à un risque de dépression majeure », les pays
européens et l'Amérique comptant, là encore, beaucoup plus de dépressifs que
les pays du Pacifique. Le taux global de dépression féminine le plus élevé
parmi les générations plus âgées était de 3,7 %.
La dépression s'accompagne de
l'utilisation d'antidépresseurs. De nombreux facteurs expliquent l'utilisation
des antidépresseurs, notamment le développement de médicaments plus nombreux et
de meilleure qualité. Pourtant, nous constatons le même écart (paradoxal !)
entre les hommes et les femmes en matière de d’antidépresseurs et une
augmentation de leur utilisation au fil du temps. Une étude du CDC (Center
for Diseases Control) montre une augmentation de 65 % de la consommation
d'antidépresseurs chez les Américains de plus de 12 ans entre 1999 et 2014. En
2014, environ 16,5 % des femmes et 8,6 % des hommes en prenaient. La
consommation est particulièrement élevée chez les femmes blanches.
Les taux de suicide suivent la
même tendance. Les hommes sont beaucoup plus nombreux à se suicider, mais les
femmes sont en train de combler l'écart. Selon une étude, alors que le taux de
suicide pour les hommes était de 21 pour 100 000 en 2016, il était de 6 pour
100 000 pour les femmes. Pourtant, les taux masculins ont augmenté de 21 %
entre 2000 et 2016, tandis que les taux féminins ont augmenté de 50 %. Cette
forte augmentation d'un petit nombre peut être trompeuse, mais la tendance générale est cohérente avec d'autres indicateurs.
Il en va de même pour les
tentatives de suicide, qui sont notoirement difficiles à mesurer. Ce que
certains chercheurs appellent le « paradoxe sexuel du suicide » - encore
un paradoxe ! - est que les hommes se suicident beaucoup plus souvent que
les femmes, mais que les femmes font des tentatives de suicide beaucoup plus
souvent que les hommes. Environ trois femmes s'automutilent sans avoir
l'intention de mourir pour chaque homme qui le fait.
Cet écart et ces taux se sont
maintenus entre 1990/1992 et 2001/2003. Pourtant, la gravité des tentatives a
augmenté au cours de cette même période, avec 153 transferts aux urgences pour
100 000 personnes dans la dernière période, contre seulement 83 dans la
première. (…) La majeure partie de l'augmentation concerne, semble-t-il, les
filles, qui réussissent moins souvent à s'ôter la vie que les garçons.
LE COÛT HUMAIN
Les féministes ont argumenté sur
les raisons pour lesquelles la société devrait favoriser l’avènement d'une
femme nouvelle. Cette vision s'est, d'une certaine manière, concrétisée depuis,
mais elle s'est avérée moins satisfaisante que ce qui était promis. Betty
Friedan et ses consoeurs des années 1960 et 1970 ont regardé la génération de
leur mère et ont vu des femmes au foyer déprimées qui prenaient des
tranquillisants. Les données semblent montrer que la progéniture de ces
féministes est beaucoup plus susceptible de prendre des antidépresseurs, et
beaucoup moins susceptible de trouver leur vie satisfaisante, que leurs mères.
Tout ceci n’a rien de mystérieux.
Ces données s’expliquent facilement si nous en déduisons que,
intentionnellement ou non, le féminisme se trompe sur ce que sont la plupart
des femmes et ce qui rend la plupart heureuses. Les chercheurs professionnels
refusent souvent de réviser leurs hypothèses préalables à la lumière des
données ou ne peuvent le faire par crainte de rétorsions professionnelles s'ils
s'opposent au dogme féministe.
Ils doivent donc parler de « paradoxes »,
comme si la dégradation de la condition de nombreuses femmes n'était qu'une
source d’étonnement. La préférence pour le travail à temps partiel,
l'insatisfaction à l'égard des relations sexuelles occasionnelles, la tristesse,
la dépression, ou les idées suicidaires qui affectent les femmes, viennent, laissent-ils
entendre, du fait que notre monde est insuffisamment féministe. Mais le salut
est à portée de main pourvu seulement que nous allions plus loin sur la voie du
féminisme. Le féminisme ressemble chaque jour davantage à une idéologie
infalsifiable qu'à une explication sérieuse des raisons pour lesquelles les
femmes sont comme elles sont. Comme l’essentiel du scientisme contemporain, la
recherche féministe commence par tirer ses prémisses de croyances et de
doctrines a priori, plutôt que de dériver ses principes d'un examen impartial de
ce que les données montrent réellement.
Tous les phénomènes sociaux sont
infiniment complexes. Le féminisme est loin d’être la seule raison pour
laquelle les femmes sont plus malheureuses, plus déprimées ou plus suicidaires
que par le passé. Cependant, si les données pointaient dans la direction
inverse, les féministes utiliseraient celles-ci pour vanter leurs succès. Comme
les données vont à l’encontre de ce qu’elles attendaient, elles y voient un
paradoxe.
Il ne s'agit pas d'un simple
débat académique. Nos jeunes, de plus en plus immergés dans une culture
reposant sur des hypothèses féministes, se voient privés de la possibilité
réelle d'être heureux dans leur couple et leur famille. Cette idéologie sans
âme, élaborée par des intellectuels qui considèrent qu’aspirer à l'amour et à
la tendresse est une ruse malveillante inventée pour favoriser l’oppression
patriarcale, fait de nos jeunes gens des proies idéales pour les agitateurs de
toute sorte.
Leur colère, alimentée en partie
par la destruction de leur famille provoquée par l'idéologie véhiculée par les
élites, est à son tour utilisée par nos élites comme une arme contre
l'institution familiale. La condition déplorable
de la famille noire, qui est la cause d'une grande partie des maux dont
souffrent nos villes, est ignorée tandis que tous les efforts sont fait pour
étendre à toute l'Amérique la destruction de la famille. Voilà pour le moins de
véritables paradoxes !
Le caractère inadéquat du
féminisme est largement ressenti, bien que rarement exprimé. Dans tout le monde
occidental, Le discours officiel présente la femme carriériste, libérée - la
Femme Indépendante - comme le modèle de l'épanouissement et du bonheur féminin.
Ce discours officiel est en contradiction avec ce que souhaitent de nombreuses
femmes.
En outre, ce n'est pas la libération ou
l'indépendance qui rend les êtres humains heureux ou qui leur apporte l'épanouissement.
Exposer la simplicité risible de l'idéologie féministe n'est pas suffisant. Les
gens voient et ressentent cette inadéquation du féminisme. Ils ont le sentiment
que les différences persistantes entre les hommes et les femmes pourraient être
mieux prises en compte par de meilleures mœurs et de meilleures lois. Si nous
voulons restaurer nos familles et notre nation, nous devons commencer à
orienter nos recherches - et nos politiques - dans la direction de ce que les
données nous indiquent réellement.