Il y a
moins de deux semaines de cela, la ministre de l’enseignement supérieur,
Frédérique Vidal, tonnait sur Twitter : « Je condamne fermement les
actes de violences sexuelles à CentraleSupélec : ces situations intolérables
n'ont leur place ni dans les cours, ni dans les soirées, ni sur aucun campus.
J'adresse mon soutien absolu aux victimes et salue la responsabilité de
l'établissement. » Un « plan national d’action contre les violences
sexuelles et sexistes dans l’enseignement supérieur » devrait d’ailleurs
suivre très prochainement.
No
pasaran et plus jamais ça, donc. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Il
s’agit d’un « scandale » révélé par une « enquête interne »
menée dans la prestigieuse école d’ingénieur CentraleSupélec. Voici comment Le
Monde présentait les résultats de cette enquête :
« Menée
en ligne en juin et juillet auprès de 2 400 élèves de première et
deuxième années, dont 659 ont répondu (196 femmes, 443 hommes,
20 s’identifiant comme non binaires), elle révèle que 51 femmes et
23 hommes déclarent avoir été victimes de harcèlement sexuel, 46 femmes et
25 hommes d’une agression sexuelle et 20 femmes et 8 hommes d’un
viol. (…) Dans neuf cas sur dix, l’auteur est un étudiant et l’agression a été
commise dans le cadre associatif ou au sein de la résidence universitaire de
Gif-sur-Yvette (Essonne), où sont logés 2 000 étudiants. »
Rien
qu’en lisant cela, je me suis dit qu’on était en train de nous monter un bateau
de la taille d’un paquebot transatlantique. Vérifier cette intuition n’a été ni
long, ni compliqué. Mais procédons posément.
Supposons
que les 659 étudiants qui ont répondu soient un échantillon représentatif à
tous points de vue de l’ensemble des étudiants de Supélec. Cela nous donne un
pourcentage annuel d’agression sexuelle de 10,77 et un pourcentage annuel de
viol de 4,25 pour l’ensemble des étudiants. Pour les femmes, cela nous donne un
pourcentage annuel d’agression sexuelle de 23,47 et un pourcentage annuel de
viol de 10,2.
Oui, vous
avez bien lu, si les résultats de cette enquête doivent être considérés comme
représentatifs, cela signifie que presque un quart des étudiantes de Supélec
sont agressées sexuellement chaque année et que plus de 10% d’entre elles sont
violées. Si nous supposons une scolarité de cinq ans et une promotion unique, et
si nous supposons en outre que la foudre ne s’abat jamais deux fois sur la même
personne, cela signifie que plus de la moitié de l’effectif féminin de la
promotion aura été violé et que la totalité aura été agressé sexuellement avant
la fin de leur scolarité. Et si une étudiante a la malchance de poursuivre
jusqu’au doctorat, on ne voit pas comment elle pourrait éviter, la malheureuse,
de subir les derniers outrages à un moment où l’autre.
Déjà, vous
commencez à tiquer. Mais poursuivons.
Selon la
dernière enquête de victimation de l’ONDRP, en 2018 il y a eu 185 000 violences
sexuelles hors ménage, dont 67 000 viols ou tentatives de viol. Etant donné que
le champ de l’enquête ONDRP n’est pas l’ensemble de la population mais
seulement les personnes âgées de 18 à 76 ans, cela signifie que 0,4% des 18-76
ans sont victimes d’agression sexuelle chaque année et 0,14% sont victimes de
viol.
Ces
catégories de l’ONDRP ne se superposent pas tout à fait à celles de l’enquête
menée à Supélec, mais admettons qu’elles soient identiques, pour les besoins de
la discussion. La conclusion est alors que le pourcentage annuel de viol sur le
campus de Supélec serait PLUS DE TRENTE FOIS SUPERIEUR à ce qu’il est dans
l’ensemble de la population.
Je me
demande bien ce qu’ils peuvent mettre dans la nourriture à la cafétéria de
Supélec. Mais poursuivons et examinons ce qu’il en est spécifiquement pour les
femmes.
Toujours
selon l’ONDRP, 75% des victimes de violences sexuelles hors ménage sont des
femmes et cette proportion se retrouve parmi les victimes de viol. En 2018 ce
seraient donc 50 250 femmes qui auraient été violées (en amalgamant viols et
tentatives de viol). Il y avait grosso modo 23 millions de femmes âgées de 18 à
76 ans dans la population française, ce qui nous donne donc 0,22% de victimes
de viol sur cette population chaque année.
Cela
signifie donc que, en mettant le pied à Supélec, une étudiante aurait, chaque
année, QUARANTE-SIX FOIS PLUS de risques de se faire violer qu’une Française
quelconque âgée de 18 à 76 ans.
Toutefois,
il y a un biais à ce calcul : la population étudiante de Supélec est
jeune, par définition, or l’enquête de l’ONDRP révèle que les jeunes femmes
sont plus touchées que les autres par les violences sexuelles hors ménage. Ces
violences seraient, grosso modo, 3,25 fois plus élevées chez les femmes âgées
de 18 à 29 ans que dans l’ensemble de la population. Supposons que la
proportion soit la même pour les viols, cela signifie que 0,7% des femmes âgées
de 18 à 29 ans seraient victimes de viol chaque année. Cela nous donne donc,
pour les pauvres étudiantes de Supélec, un risque de viol
« seulement » quinze fois supérieur à ce qu’il est pour l’ensemble
des jeunes femmes françaises.
Mais il y
a un autre biais à ce calcul, qui joue en sens inverse : les personnes les
plus pauvres sont davantage victimes de violences sexuelles que les plus riches.
« En effet, 0,6 % des personnes appartenant à un ménage dont le niveau de
vie fait partie des 30 % les plus modestes ont déclaré avoir été victimes de
telles violences sexuelles, contre 0,3 % des personnes issues de classes
moyennes et 0,2 % des personnes appartenant aux catégories aisées », selon
l’ONDRP. Le taux de violences sexuelles chez les CSP+ serait donc trois fois
inférieur à celui des CSP-, approximativement. Or les étudiants de Supélec
appartiennent sans conteste aux CSP+, au moins en ce sens que leurs études les
préparent à intégrer ces CSP+.
Il
faudrait donc pouvoir comparer le pourcentage annuel de viol chez les jeunes
femmes CSP+ à celui des étudiantes de Supélec pour avoir une idée précise de la
sur-violence sexuelle terrifiante qui est censée sévir sur le campus de Gif-sur-Yvette.
Faute de données cela n’est pas possible, mais si nous supposons que les jeunes
CSP+ sont deux fois moins victimes de viol que les jeunes femmes dans leur
ensemble, ce qui ne parait pas extravagant, cela nous donnerait donc un risque
annuel de viol trente fois supérieur pour les étudiantes de Supélec. Ce qui
nous ramène à notre première estimation.
Enfin,
dernier élément, il semblerait que, concernant ces viols et agressions sexuels
commis à Supélec l’année passée, aucune plainte n’ait été déposée. En tout cas
aucun des faits révélés par l’enquête n’a été rapporté à la direction, malgré
la mise en place d’un important dispositif de lutte contre les violences
sexuelles. Rappelons que, pour les violences sexuelles hors ménage, le taux de
signalement aux autorités était de 16% en 2018 (plainte ou main courante) et
25% pour les viols. On peut aussi raisonnablement penser que les CSP+ portent
davantage plainte que les CSP-, mais tout cela est spéculatif, faute de
données.
Concluons :
s’il faut en croire l’enquête menée par une association étudiante et
« coordonnée avec l’association féministe Ça pèse », le campus
de Supélec serait à peu près l’équivalent du château de Silling, cadre dans
lequel le marquis de Sade situe ses fameuses « 120 journées de
Sodome ». Vu le taux effarant de viols et d’agressions sexuelles, des
gangs d’étudiants en rut, prêts à toutes les violences pour satisfaire leurs
pulsions, doivent constamment écumer le campus et tous les étudiants ont dû, à
un moment ou l’autre, être témoins ou victimes de ces horreurs. Cependant, le
taux de plainte serait égal à zéro, ou peu s’en faut. Donc, quelque chose comme
30 fois plus de viol et en même temps 25 fois moins de signalements aux
autorités.
Est-ce
crédible ? Non, à l’évidence. Les résultats de cette « enquête »
sont, littéralement, invraisemblables, pour ne pas dire qu’il seraient comiques
si on ne parlait pas de choses si graves.
Mais
alors, comment expliquer ces résultats ? A mon sens, il y a deux
explications possibles, qui ne sont pas totalement exclusives l’une de l’autre.
D’une
part on peut soupçonner que le recueil des témoignages a été fort peu rigoureux
et guidé par certaines idées préconçues, que l’on peut résumer par la célèbre
formule de Caroline de Haas, la papesse du féminisme institutionnel :
« un homme sur deux ou trois est un agresseur ». En tout cas, je
serais le président de Supélec, j’irais de toute urgence examiner très
attentivement comment la fameuse enquête a été menée. Je serais surpris si cet
examen ne donnait pas lieu à des découvertes surprenantes. Enfin, surprenantes
pour ceux qui ne savent pas encore à quoi s’en tenir au sujet du féminisme
contemporain.
Mais,
d’autre part, il est fort probable que l’immense majorité des « agressions
sexuelles » et des « viols » révélés par l’enquête se rapportent
en fait à des interactions fortement alcoolisées lors de soirées étudiantes.
Les « viols », en particulier, sont, plus que probablement, pour
l’immense majorité d’entre eux, des rapports sexuels d’un soir entre deux partenaires
au dernier ou à l’avant-dernier stade de l’ivresse ; rapports sexuels que
l’un au moins des participants – en général la femme – regrette ensuite, une
fois dégrisé, et qui sont alors réinterprétés comme des « viols »,
c’est-à-dire comme des rapports non consentis, ce qui permet d’atténuer la
honte qui accompagne en général la réalisation du fait que l’on a perdu la tête
au point de coucher avec un parfait inconnu pratiquement au su et au vu de tout
le monde.
N’importe
qui sachant à quoi s’en tenir sur le degré d’alcoolisme qui règne, hélas, dans un
très grand nombre d’établissements d’enseignement supérieur comprendra
immédiatement de quoi il est question.
Mais,
quelle que soit la bonne explication, ou la bonne proportion entre les deux
explications, la facilité avec laquelle des chiffres proprement incroyables ont
été acceptés, aussi bien par les médias que par les autorités administratives
et politiques, montre bien à quel point le discours néo-féministe imprègne
aujourd’hui les esprits : tout le monde est tellement persuadé que tous les
hommes sont des « porcs » ou des violeurs en puissance que ce genre
d’enquête grotesque, non seulement est pris au sérieux, mais est même capable
de mettre en mouvement l’action publique. Car, bien sûr, ce qui résultera de
tout ça est connu d’avance : ce sera encore plus d’argent pour les associations
féministes et encore plus de bureaucratie du ressentiment, chargée de propager la
méfiance et la rancœur entre les hommes et les femmes.
Quant à
ce qu’une enquête de ce genre peut révéler, en creux, de véritablement
problématique, à savoir les conséquences lamentables et nocives – pour les deux
sexes, mais particulièrement pour les jeunes femmes – de la prétendue
« libération sexuelle », personne parmi les autorités n'en dira un
mot, vous pouvez en être sûr.