La décision rendue le 6 juillet par
le Conseil Constitutionnel (n° 2018-717/718 QPC) a suscité un certain émoi.
Selon le compte-rendu donné par les médias, cette décision dépénaliserait
« l’aide désintéressée aux migrants ». On comprend qu’une légère
agitation s’en soit suivie…
Comme presque toujours en pareil
cas la présentation donnée par les journalistes est trompeuse. Elle en dit à la
fois trop et pas assez. C’est que le droit est une matière complexe, qui
demande de la patience et de la précision pour être correctement exposée,
qualités que les médias ne possèdent en général qu’en quantité infinitésimale.
Mais nous qui sommes de loisir
(oui, vous aussi qui me lisez), nous n’allons pas reculer devant l’effort.
D’autant moins qu’il s’agit en définitive de savoir si la France peut continuer
à exister et si les Français peuvent encore prétendre se gouverner eux-mêmes.
La grandeur des enjeux justifie assurément un petit effort intellectuel.
Une erreur très commune de la
part de ceux qui ne sont pas juristes, lorsqu’ils s’intéressent à une décision
de justice, est de se focaliser sur la décision elle-même en accordant que peu
d’attention au dispositif qui soutient cette décision.
C’est une erreur car la décision
elle-même ne porte que sur un cas particulier, alors que le raisonnement qui
permet de parvenir à cette décision (le dispositif) expose nécessairement des
principes généraux, qui seront réutilisés dans des décisions ultérieures.
D’ailleurs, une des astuces courantes des cours de justice pour étendre indûment
leurs pouvoirs est de prendre des décisions qui satisfont les gouvernements
mais en appuyant ces décisions sur des principes qui pourront, plus tard, être
retournés contre ces mêmes gouvernements, comme le poisson gobe l’hameçon avec
l’appât.
Si donc nous regardons le contenu
de la décision rendue par le Conseil Constitutionnel, nous serions tentés de
dire « beaucoup de bruit pour rien ». En effet cette décision ne fait
guère qu’étendre un peu une immunité qui existait déjà.
De quoi s’agit-il ? Le code
de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que « toute
personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter
l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d'un étranger en France sera
punie d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 30 000 euros. »
(article L 622-1). Mais l’article L 622-4 précise immédiatement après que l'aide
au séjour irrégulier d'un étranger ne peut donner lieu à des poursuites pénales
sur le fondement des articles L. 622-1 à L. 622-3, lorsque cette aide est le
fait, soit (pour simplifier) de la famille ou du conjoint de l’étranger en
question, soit « de toute personne physique ou morale, lorsque l'acte
reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte ».
Par conséquent, avant même la
décision qui nous occupe, l’aide « désintéressée » au séjour d’un
étranger en situation irrégulière n’était déjà plus passible de poursuites judiciaires,
et ce depuis la loi Valls du 31 décembre 2012, qui ne faisait guère que
transposer une jurisprudence de la CEDH.
Qu’ajoute donc la décision du
Conseil Constitutionnel en date du 6 juillet ? Elle ajoute simplement « l’aide
à la circulation » à la catégorie des actions qui ne sont pas
poursuivables. Je cite :
« Dès lors, en réprimant
toute aide apportée à la circulation de l'étranger en situation irrégulière, y
compris si elle constitue l'accessoire de l'aide au séjour de l'étranger et si
elle est motivée par un but humanitaire, le législateur n'a pas assuré une
conciliation équilibrée entre le principe de fraternité et l'objectif de valeur
constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public. »
Vous allez voir, c’est finalement
très simple. L’article L 622-1 fait un délit de l’aide à l’entrée, à la
circulation et au séjour d’un étranger en situation irrégulière, soit trois
actions théoriquement distinctes (mais en pratique, bien sûr, très étroitement
liées…) : entrée, circulation, séjour. La loi Valls avait accordé une
immunité pour l’aide « désintéressée » au séjour. Le Conseil vient
également d’accorder l’immunité à l’aide à la circulation, elle aussi
« désintéressée ». Désormais, seule reste donc passible de poursuites
pénales la première de ces trois actions, à savoir l’aide à l’entrée sur le
territoire national d’un étranger en situation irrégulière.
Par ailleurs, le Conseil a
réinterprété ce qui constitue une aide « désintéressée ». Le
législateur avait énuméré certains types d’actions qui devaient être
considérées comme « désintéressées ». Le Conseil a décidé que, outre
les catégories énumérées par le législateur, devait être considéré comme
bénéficiant de l’immunité « tout autre acte d'aide apportée dans un but
humanitaire ».
Bref, l’aide
« humanitaire » au séjour et à la circulation des étrangers en
situation irrégulière ne sont plus des délits. En gros, si vous faites payer
c’est un délit, si vous ne faites pas payer ce n’est pas un délit.
Dépénaliser l’aide à la
circulation des clandestins alors que l’aide au séjour n’était déjà plus un
délit passerait difficilement pour une révolution juridique. Cela rend certes
plus facile la tâche des associations qui se donnent pour but d’abolir les
frontières en faisant rentrer le maximum de clandestins en France. En gros,
avant, si vous transportiez vos clandestins de la frontière jusqu’à chez vous
c’était un délit, mais dès lors que vous les aviez installés chez vous ce
n’était plus un délit. Désormais vous pouvez tranquillement attendre avec votre
camionnette juste derrière la frontière. Pourvu que vous ne vous fassiez pas
pécho en train d’aider vos chers migrants à franchir la frontière elle-même,
c’est tout bon : vous avez sur vous votre carte « Vous êtes libéré de
prison » (passez par la case Départ et touchez vos subventions publiques).
Cette décision du Conseil va vraisemblablement
donner lieu par la suite à d’intéressants débats sur la notion de
« franchissement » de la frontière. A partir de quand est on dans la
« circulation » et plus dans le « franchissement » ?
C’est-à-dire, en fait, de quelle largeur est la frontière : 100
mètres ? 5 mètres ? 1 centimètres ? Ou même, doit-on considérer
que la frontière, qui après tout n’est qu’un trait sur une carte, est une sorte
de disque à une face, comme dans la nouvelle de Borgès ?
Et dire que l’on se moque parfois
des Byzantins qui disputaient du sexe des anges pendant que Byzance était
assiégée…
Mais d’ores et déjà les
poursuites pour « aide à la circulation » étaient rares et ne
visaient guère que les militants comme Cédric Herrou, dont la principale
activité dans l’existence consiste à faire entrer en France des clandestins par
centaines et qui cherchent manifestement à se faire poursuivre pour pouvoir
transformer le tribunal en tribune médiatique afin, ultimement, de changer la
loi. Activité couronnée de succès, comme on le voit.
Par ailleurs le taux d’exécution
des obligations de quitter le territoire français tourne aujourd’hui autour de
5%. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est la Cour des Comptes.
Donc la réalité est que, si vous
parvenez à rentrer clandestinement en France, vous avez ensuite toute chance de
pouvoir vous y maintenir, et d’obtenir au bout de quelques années une
régularisation de votre situation.
Tout cela n’est que la
conséquence d’une suite de décisions de la CEDH qui font que, à toutes fins
utiles, la France a perdu le contrôle de sa politique migratoire. La décision
du Conseil Constitutionnel qui nous occupe ne fait guère qu’ajouter un clou
supplémentaire au cercueil. D’un point de vue pratique elle ne devrait pas
changer grand-chose.
Le plus amusant, finalement,
c’est le considérant dans lequel le Conseil affirme que « l'objectif de
lutte contre l'immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l'ordre
public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle » et qu’il
appartient donc au législateur de prendre les dispositions nécessaires pour
atteindre cet objectif. On vous reconnait un droit, et même un devoir celui de
lutter contre l’immigration clandestine, mais on vous ôte peu à peu tous les
moyens juridiques de le faire. « Va mon petit, cours, tu es libre »
dit le Conseil Constitutionnel au gouvernement après l’avoir amputé des deux
jambes.
Voilà pour la décision.
Intéressons-nous maintenant au dispositif, qui est beaucoup plus juteux.
Pour justifier que l’immunité
accordée par l’article L 662-4 soit étendue à l’aide « humanitaire »
à la circulation des étrangers en situation irrégulière, le Conseil s’est
appuyé sur le raisonnement suivant :
« Aux termes de l'article 2
de la Constitution : « La devise de la République est "Liberté, Égalité,
Fraternité" ». La Constitution se réfère également, dans son préambule et
dans son article 72-3, à l'« idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité
». Il en ressort que la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle.
Il découle du principe de fraternité la liberté d'aider autrui, dans un but
humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le
territoire national. »
Le point essentiel est :
« la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle ». Donc, à
l’avenir, le Conseil pourra censurer des lois au motif que celles-ci
contreviennent au principe de « fraternité » tel que lui, Conseil
Constitutionnel, l’interprète, puisque la Constitution ne donne aucune
définition de ce mot. Et pour cause, jamais au grand jamais les constituants
n’ont entendu donner à ce terme une valeur juridique.
Qu’est-ce donc que la
« fraternité » suivant nos « sages », qui jamais n’ont
aussi peu mérités leur nom ?
Comme on le voit dans cette
décision, la « fraternité » consiste à ignorer la distinction entre
le national et l’étranger, entre la légalité et l’illégalité. Elle consiste à
voir uniquement ce que nous avons de commun avec tous les autres hommes, et à
ignorer ce qui nous en différencie. Elle consiste à considérer chaque être
humain comme notre frère, notre semblable, et uniquement comme cela. Ce qui
explique que la fraternité soit très étroitement liée à
« l’humanité » (comme dans « aide humanitaire »),
l’humanité étant, selon la belle définition qu’en donne Pierre Manent « cette
disposition bienveillante qui s’adresse à tout homme, en tant qu’homme, quelle
que soit ses particularités ou ses croyances. »
La « fraternité »
appelle « l’aide humanitaire », pour ne pas dire qu’elles sont
identiques. Ou disons, pour nous servir de distinctions aristotéliciennes, que
la fraternité est l’humanité en puissance tandis que l’aide humanitaire est
l’humanité en actes.
Et d’où nous vient cette
« disposition bienveillante » qui nous rend
« fraternels » ? Notre bienveillance pour l’autre être humain
s’adresse d’abord à celui qui souffre, et dont la souffrance est visible ;
notre bienveillance s’adresse d’abord au corps qui souffre – de maladie, de
froid, de faim, etc. – et elle s’appelle donc pitié ou compassion. L’humanité
est avant tout une forme de compassion. Nous reconnaissons les autres hommes
comme nos semblables car nous voyons en eux des êtres capables de souffrir
comme nous, nous reconnaissons notre commune vulnérabilité à la souffrance, à
la mort etc.
Autrement dit, la
« fraternité » n’est en définitive rien d’autre que la pitié
généralisée au genre humain.
L’effet pratique de la fraternité
ainsi entendue est de dissoudre les corps politiques. Les hommes
« fraternels » ne voient plus dans les distinctions politiques (au
premier rang desquelles la distinction entre le national et l’étranger, entre
le « chez nous » et le « pas chez nous ») que des
séparations arbitraires. Leur fidélité, leur affection va à l’humanité toute
entière, et certainement pas à ces corps politiques particuliers appelés
nations qui prétendent séparer l’homme de l’homme. La fraternité est un
principe cosmopolitique et apolitique et donc, à strictement parler,
antirépublicain, si du moins nous voulons garder au mot
« République » un minimum de sens.
La République est une forme de
l’action politique et la politique suppose pour exister des frontières, un
territoire déterminé, et en retour elle contribue à produire des frontières, à
délimiter les territoires. La politique ne peut exister sans distinguer entre
l’extérieur et l’intérieur, celui qui est citoyen et celui qui ne l’est pas, le
national et l’étranger etc. La politique implique, en effet, le commandement,
la loi, et cela nécessite de savoir à qui le commandement s’adresse, qui est
tenu de lui obéir et qui n’est pas tenu de lui obéir, bref, en pratique, de
savoir sur quel territoire une loi s’applique.
Faire de la fraternité une partie
de la devise de la République française revient à incorporer au sein de cette
République un principe de dissolution de la République. Cela n’est pas
dramatique tant que cette devise reste juste une devise, une phrase pleine de
bons sentiments qui sonnent bien, mais dont on n’a pas à se soucier de la compatibilité
entre eux parce qu’ils n’ont pas d’application pratique directe. Après tout,
aucun régime politique n’est exempt de tensions et de contradictions, et cela
ne les empêche pas nécessairement de survivre et de prospérer, parfois pendant
des siècles.
En revanche l’affaire devient
sérieuse dès lors que le mot « fraternité » se voit accorder une
portée juridique, comme vient de le faire le Conseil Constitutionnel. Cela
revient à donner l’ordre aux tribunaux de travailler activement à défaire le
corps politique qui leur a donné naissance.
Pour nous en convaincre, il
suffit d’appliquer les principes posés par le Conseil à d’autres domaines que
l’aide aux étrangers en situation irrégulière.
Puisque du principe de fraternité
découle « la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire »,
pourquoi devrions-nous restreindre ce droit aux seuls étrangers en situation
irrégulière ? Puisque la fraternité nous donne le droit d’ignorer le
statut légal de l’étranger, c’est-à-dire de négliger le fait qu’il a violé la
loi, pourquoi ne pourrions-nous pas ignorer d’autres violations de la
loi ? Pourquoi ne pourrions-nous pas aider l’assassin en fuite qui lui
aussi, après tout, est peut-être dans une situation pitoyable : seul,
affamé, transi, en proie à toutes les angoisses de celui qui se sait
traqué ? Si vous pensez que j’exagère pensez par exemple à Cesare Battisti,
et tout à coup vous verrez que l’hypothèse est moins invraisemblable qu’elle
n’en a l’air…
Pourquoi donc, reposons la
question, la fraternité devrait-elle jouer uniquement pour une catégorie de
délinquants, l’étranger en situation irrégulière ?
A cela, il n’y a, semble-t-il, qu’une
seule réponse : si vous n’acceptez pas cette extension des principes posés
par le Conseil, c’est parce que, dans le fond, vous pensez que le
franchissement irrégulier d’une frontière n’est pas un véritable crime, à la
différence de l’assassinat ou du viol, par exemple. Autrement dit, vous
présupposez que la distinction entre séjour régulier et séjour irrégulier est
en définitive arbitraire, qu’elle est purement légale et non pas morale.
En fait, on ne voit absolument
pas pourquoi le Conseil applique le principe de fraternité à la circulation et
au séjour et pas aussi à l’entrée des étrangers en situation irrégulière. Celui
qui cherche à rentrer sur le territoire national sans y avoir le droit a-t-il
moins besoin « d’aide humanitaire » que celui qui a réussi ? Il
semblerait au contraire qu’il en a encore plus besoin. Comment ce qui est « fraternel »
lorsqu’il est accompli au point X (faire monter des clandestins dans sa camionnette)
pourrait-il cesser d’être « fraternel » lorsqu’il est accompli à 500 mètres
du point X ? L’action est la même, la souffrance humaine (supposée) qui
motive cette action est la même. Cette restriction est absurde. Ou plutôt :
elle est motivée uniquement par la peur des conséquences. Supprimer le délit d’aide
à l’entrée d’étrangers en situation irrégulière reviendrait, en effet, à supprimer
la distinction entre entrée régulière et entrée irrégulière, c’est-à-dire
reviendrait à proclamer qu’un pays n’a plus de frontières. Celle reviendrait en
fait, à terme, à dire qu’il n’existe plus.
C’est certainement devant cette
conséquence ultime que les « sages » du Conseil ont reculé, et on les
comprend. Pourtant elle découle strictement du principe qu’ils ont posé. D’autres
ont d’ailleurs tiré cette conclusion depuis longtemps. Les militants « no
border », comme Cédric Herrou, qui est à l’origine de la QPC qui nous
occupe, sont bien plus cohérents que les membres du Conseil Constitutionnel.
Prenons maintenant un peu de
recul.
Où se situe l’origine du mal ?
Ne remontons pas trop loin non plus, car sinon nous serions contraints d’aboutir
à la conclusion que tout vient de la fatale décision d’Adam et Eve de manger le
fruit de l’arbre de la connaissance. Conclusion vraie, en un sens, mais peu
éclairante car trop générale. Non, la question est : qu’est-ce qui
explique que le Conseil Constitutionnel puisse prendre de telles décisions ?
Certains seraient tentés d’attribuer
cela à son actuelle composition. Pensez donc : Laurent Fabius, Lionel
Jospin, Michel Charasse, Nicole Maestracci… Mais ce serait avoir la vue trop
courte. Le mal a une origine plus ancienne. On peut même le dater précisément :
le 16 juillet 1971.
Ce jour funeste, en effet, le
Conseil a décidé d'intégrer le préambule de la Constitution au « bloc de
constitutionnalité » (c’est-à-dire à l’ensemble des normes par rapport
auxquelles il contrôle les lois). Le préambule faisant référence à la DDHC de
1789 et au préambule de la constitution de 1946, ces deux textes se trouvèrent
donc intégrés au bloc de constitutionnalité et ont eu à partir de cette date
valeur juridique.
A partir de ce moment-là, le
Conseil a pu se prononcer en fonction de « principes » juridiquement
indéterminés et non plus seulement en fonction de considérations techniques,
sur le simple respect des procédures constitutionnelles. Avec l’intégration du
préambule au bloc de constitutionnalité, le Conseil s’est trouvé à la tête
d’une réserve inépuisable de « droits et libertés constitutionnellement
garantis » et autres « principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République », qui lui permettent de décider à la couleur de son esprit tout en
ayant l’air d’appliquer fidèlement les textes.
C’est le jour où les gouvernants
de l’époque ont laissé passer cette monstrueuse usurpation de pouvoir que nos
ennuis avec le Conseil Constitutionnel ont commencé. Au début, il n’a usé des
prérogatives qu’il s’était accordées qu’avec parcimonie. Mais, au fur et à
mesure du temps, un abus non sanctionné en appelant un autre, le rythme et l’ampleur
des décisions arbitraires s’est multiplié. Aujourd’hui il débloque à plein
tubes, sans crainte et sans vergogne. Plus c’est gros, plus ça passe. Mais il n’a
pas attendu aujourd’hui pour prendre des décisions aussi arbitraires que
catastrophiques.
Depuis le 16 juillet 1971 il serait
à peine exagéré de dire que le Conseil a cessé d’être le gardien de la
Constitution et qu’il en est devenu le créateur, ce qui est tout à fait
contraire au principe fondamental du gouvernement républicain : le
consentement à la loi qui vous gouverne.
Dans l’Esprit des lois,
Montesquieu écrivait : « Dans les Etats despotiques, il n’y a point de lois :
le juge est lui-même la règle ». Nous en sommes là.
Situer correctement l’origine du
problème nous permet d’envisager une solution (une solution juridique s’entend).
Supprimer le Conseil ne serait
pas une bonne solution. Une démocratie constitutionnelle a besoin d’une cour de
justice qui s’assure que la loi respecte bien la Constitution. Comme le dit
justement Publius, « Il n’existe aucune position qui repose sur des principes
plus clairs que celle selon laquelle tout acte de la part d’une autorité
déléguée, qui serait contraire à la teneur de la délégation en vertu de
laquelle il est pris, est nul. Par conséquent, aucun acte législatif contraire
à la Constitution ne peut être valide. Nier ceci reviendrait à affirmer que le
suppléant est plus important que le titulaire ; que le serviteur est au-dessus
de son maître ; que les représentants du peuple sont supérieurs au peuple
lui-même ; que des hommes qui agissent en vertu de pouvoirs qui leur sont
conférés peuvent faire non seulement ce que ces pouvoirs autorisent, mais aussi
ce qu’ils interdisent. »
En revanche, nous avons besoin d’une
Cour qui soit une gardienne fidèle du texte de la Constitution. Il est très
difficile de s’en assurer sans nuire à son indépendance, qui est pourtant
nécessaire à sa fonction.
Mais un pas dans cette direction
serait de supprimer le préambule de la Constitution, ou bien de spécifier explicitement
que ce préambule n’a pas de valeur juridique et que le Conseil ne doit juger la
loi que par rapport aux articles de la Constitution. Ce serait d’ailleurs simplement
revenir à la volonté des rédacteurs de la 5ème République, qui n’avait
jamais prévu que le préambule puisse avoir valeur juridique.
Plus largement, pour que les
Français puissent à nouveau réellement consentir à la loi qui les gouverne et
que nos gouvernants puissent maitriser les flux migratoires, il serait aussi
nécessaire de supprimer l’article 55 de la Constitution, qui dispose que « Les
traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur
publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour
chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. »
Cet article est en effet celui
qui a permis à la Cour de Cassation et au Conseil d’Etat de s’affranchir de
leur stricte subordination à la loi. Au motif de faire respecter cette
disposition de la Constitution, les deux juridictions suprêmes ont,
respectivement depuis 1975 et depuis 1989, fait prévaloir le droit européen,
sur les lois françaises. Dès lors le gouvernement français s’est trouvé pieds et
poings liés face aux décisions prises à Bruxelles et à Luxembourg.
De manière plus générale, la
suppression de l’article 55 priverait les juridictions nationales de la
possibilité de recourir au droit international pour contourner ou neutraliser
les lois françaises qui leur déplaisent, ce qui serait un grand pas dans la
bonne direction ; pour redonner à nos juges la place qui était
traditionnellement la leur, celle de gardiens des lois, subordonnés à la
Constitution et au législateur.
Et enfin il serait nécessaire de
dénoncer la Convention Européenne des Droits de l’Homme pour cesser d’être
soumis à l’arbitraire de la cour de Strasbourg.
Voilà, dans les grandes lignes,
quelle pourrait être la solution (juridique, pour le répéter) à notre problème.
Comment dites-vous ? On n’est
pas sorti du sable ? Ah non, en effet.