Voter ou ne pas voter, et pour
qui ; telle est la question : est-il plus noble pour l’électeur réac d’endurer
les coups de l’outrageuse fortune et de se résoudre à voter pour un Président
qui l’a déçu, ou de prendre les armes contre une mer d’épreuves et, en
s’abstenant ou en votant pour la gauche, d’y mettre fin ?
Que Shakespeare me pardonne ce
détournement, mais depuis le 22 avril au soir il me semble que je contemple
pensivement mon bulletin de vote, tel un certain prince du Danemark méditant
sur les mérites comparés de la vie et de la mort. Et j’ai la certitude de ne
pas être le seul dans ce cas. Se pourrait-il que la conscience ait fait de nous
tous des lâches ?
La question semblerait pourtant
devoir se résoudre très vite : Sarkozy n’est pas satisfaisant mais, sur
presque tous les sujets qui m’importent, il est moins pire que François Hollande. Ce qui n’est certes pas très
difficile.
Sarkozy ne réduira pas
l’immigration, mais avec Hollande nous aurons en plus le droit de vote des étrangers. Sarkozy ne réformera pas
sérieusement l’Etat-providence et la fonction publique, mais avec Hollande nous
aurons plus de fonctionnaires,
d’impôts et de dépenses publiques. Sarkozy ne s’attaquera pas sérieusement à la
délinquance, mais avec Hollande nous aurons plus
de laxisme judiciaire, de « politique de la ville » et de culture de
l’excuse. Sarkozy ne prendra pas les mesures susceptibles de soutenir vraiment
la famille, mais avec Hollande nous aurons en
plus le mariage ouvert aux homosexuels. Etc.
Bref, le choix n’est-il pas très
simple ? Entre une dégradation plus ou moins lente de l’état de la France,
n’est-il pas rationnel de choisir la plus lente ? Tant que l’on n’a pas
perdu absolument tout espoir de voir un jour guérir le patient - ou du moins de
voir sa santé s’améliorer - la réponse est évidente. Et je n’ai pas perdu tout
espoir.
Cependant, en politique les
choses sont rarement si simples. Ainsi un certain nombre d’électeurs que l’on
serait tenté de classer « à droite » semblent bien avoir décidé de
s’abstenir le 6 mai, voire même de voter Hollande, ce qui bien évidemment, dans
un cas comme dans l’autre, assurera la victoire de ce dernier.
La réacosphère bruisse depuis le
premier tour des discussion à ce sujet. Les arguments échangés sont très
nombreux, mais il me semble que, du côté de ceux qui envisagent l’abstention ou
le vote Hollande, ces arguments peuvent être rangés en deux catégories : le
vote punitif et la politique du pire.
Le premier consiste à utiliser
son bulletin de vote pour punir un candidat qui vous a mécontenté. Que dis-je,
mécontenté ? Qui vous a proprement trahi, en pratiquant
« l’ouverture » à ses adversaires, en n’appliquant pas ses promesses de
campagne, en vantant le métissage, en marchant dans les pas de la gauche, en...
bref, je m’arrête là. Peut-on voter pour quelqu’un qui vous a donné tant de
raisons d’être insatisfait de lui ? Cela ne revient-il pas à l’encourager
à recommencer ? Comment espérer que le délinquant s’amende si personne ne
le punit ? Et même si la sanction électorale n’avait aucun effet sur le
camp des vaincus, n’y a-t-il pas là une question de dignité personnelle ?
Moi, cocu et en plus content ? Jamais !
Cet argument n’est pas sans
mérite, même considéré froidement, sans indignation. Un vote a effectivement
souvent un aspect rétrospectif - un aspect de sanction ou de récompense des
sortants - et c’est bien ainsi. Mais qu’en est-il lorsqu’il est impossible de
punir le délinquant sans se punir soi-même ? Qu’en est-il lorsque la
sanction du sortant implique nécessairement de mettre à sa place quelqu’un que
l’on considère comme pire que lui ? Dois-je me laisser guider par mon
ressentiment - même légitime - sans envisager toutes les conséquences probables
de mes actes et, tel Hamlet, laver mon honneur en laissant mon pays tomber aux
mains d’un conquérant étranger ?
Pour moi la réponse est non.
Puisqu’il m’est impossible de sanctionner Nicolas Sarkozy sans contribuer à me
sanctionner moi-même et à sanctionner mon pays, je ne chercherais pas, lors de
cette élection, à lui infliger le démenti qu’il mérite.
Reste alors l’argument de la
politique du pire, argument qui prend beaucoup de formes mais qui, me
semble-t-il, peut se résumer ainsi : il n’y a rien de bon à attendre ni de
Sarkozy ni de Hollande, et Hollande sera effectivement pire que Sarkozy. Mais
précisément parce que la politique menée par Hollande sera pire que celle de
Sarkozy, elle est susceptible de provoquer un électrochoc salutaire.
Ici chacun pourra donner la forme
qui a sa préférence à l’électrochoc en question : les Français finiront
par se révolter contre la tyrannie de l’antiracisme et contre l’immigration se
déversant à flots sur leur sol ; la faillite de l’Etat qui ne manquera pas
de survenir grâce aux politiques socialistes obligera à tout remettre à
plat ; la défaite de l’UMP aux présidentielles puis aux législatives fera
exploser cette formation politique et la droite se reformera autour du Front
National ; l’état du pays sera tel en 2017 que Marine le Pen sera élue
haut la main, etc.
J’ai caressé un moment des idées
de ce genre, je l’avoue : imaginer un futur un peu éloigné mais où
l’espoir aurait réapparu est plus agréable que de voter pour la prolongation
d’une situation insatisfaisante, et puis, reconnaissons-le, il y a un certain
plaisir à manipuler en pensée ses petits pions, à échafauder des scénarios
compliqués mais qui se finissent toujours bien puisque c’est nous qui tenons le
stylo.
Seulement il me semble justement
qu’il y a beaucoup trop de « si » et de « mais » dans ce
genre de calculs, beaucoup trop d’hypothèses bien plus hypothétiques que nous
ne le croyons, beaucoup trop d’événements imprévus pouvant survenir et
renverser nos beaux châteaux en Espagne. Hamlet aussi avait un plan, aussi
compliqué qu’imparable, pour parvenir à ses fins.
Bref, restons sobres, ne nous
surestimons pas. Cinq ans en politique c’est une éternité et la vérité est que
nul d’entre nous ne sait ce que sera la situation dans cinq ans, ni même dans
trois ans, ni même dans un an. Nul d’entre nous ne sait ce qui se passera à
droite après le 6 mai. Nul d’entre nous ne sait comment les Français se
comporteront sous un gouvernement socialiste. Bien sûr nous pouvons imaginer,
supputer, mais tout cela reste de l’ordre de la probabilité, tout au plus. Et
face à ces probabilités passablement improbables il y a de quasi
certitudes : la victoire de Hollande c’est la mise en place de réformes,
de mon point de vue, désastreuses, et sur lesquelles il sera très difficile de
revenir.
J’abandonne donc les stratégies,
trop élaborées à mon goût, de la politique du pire pour revenir à des
considérations plus terre à terre, celles que j’exposais en commençant. Pour
moi Hollande est pire que Sarkozy. Un peu, beaucoup, cela n’importe guère.
Lorsque les plateaux de la balance sont à l’équilibre un rien suffit pour les
faire pencher.
Et je n’oublie pas qu’il y aura
des législatives juste après.
Bien, donc...
S’il était possible de déposer
dans l’urne un bulletin marqué « contre François Hollande », je le
ferais. Mais comme cela n’est pas possible, j’y glisserai le 6 mai un bulletin marqué
Nicolas Sarkozy.