Un article sur Trump, que j’ai
trouvé très éclairant, traduit par votre serviteur.
Je crois que ce qui résume le
mieux l’argument est la phrase suivante, qui me parait au surplus tout à fait
juste : « Trump aurait pu être l’un des pires présidents que nous
ayons jamais eu, mais dans ces temps exceptionnels, il se peut qu’il soit le
meilleur président que nous pouvions avoir. »
Ce qui se joue aux Etats-Unis n’est
pas fondamentalement différent de ce qui se joue ici, mais je m’en voudrais d’insulter
l’intelligence de mes lecteurs en soulignant ce qui n’a pas besoin de l’être.
Les parallèles se tracent tout seuls.
Bonne lecture.
Notre maison
divisée : le multiculturalisme contre l’Amérique
Suivre la voie tracée par Trump – et
par Lincoln
Par Thomas D. Klingenstein – The American Mind
Beaucoup de conservateurs n’ont
pas vu que Trump avait fait de l’élection de 2016 un choix entre deux régimes
mutuellement exclusifs : le multiculturalisme et l’Amérique. Ce que
j’appelle le « multiculturalisme » inclut les « politiques
identitaires » et le « politiquement correct ». Si le
multiculturalisme continue à ronger l’esprit public, il finira par détruire
l’Amérique. Par conséquent, cette élection aurait dû être perçue comme un
combat entre une femme qui, peut-être sans vraiment le vouloir, était à la tête
d’un mouvement visant à détruire l’Amérique et un homme qui voulait sauver
l’Amérique. Le même combat est en train de se dérouler durant les élections de
mi-mandat.
Je me rends bien compte que le
terme « multiculturalisme » est quelque peu daté, mais je voudrais le
remettre au goût du jour en l’utilisant dans son sens le plus étendu - pour
désigner une philosophie politique. Le multiculturalisme conçoit la société
comme une addition de groupes ayant chacun une identité culturelle différente,
chacun avec sa propre conception du monde, tous opprimés par les hommes blancs
et existant collectivement à l’intérieur de frontières nationales perméables.
Le multiculturalisme remplace les citoyens américains par les soi-disant
« citoyens du monde ». Il découpe des « tribus » à partir
d’une société dont la réussite la plus extraordinaire a été de les avoir
transformées en un seul peuple. Il fait de l’éducation un exercice politique
consistant à libérer un nombre toujours croissant « d’autres » et
fait de l’histoire américaine une série d’épisodes d’oppression par les Blancs,
démantelant ainsi le récit unificateur par lequel nous nous affirmons – et sans
lequel aucune nation ne peut survivre longtemps.
Pendant la campagne de 2016,
Trump a traité le multiculturalisme comme le mouvement révolutionnaire qu’il
est. Il nous a montré que le multiculturalisme, comme l’esclavage dans les
années 1850, est une menace existentielle. Trump a révélé cette menace en s’y
opposant, ainsi qu’à son bras armé, le politiquement correct. Bien plus, il
s’est donné pour mission d’envoyer régulièrement des coups de pied dans l’entrejambe
du politiquement correct. Dans d’innombrables manifestations de grossièreté il
a dit encore et encore très précisément ce que le politiquement correct vous
interdit de dire : « L’Amérique ne veut pas de diversité culturelle,
nous avons notre propre culture, elle est exceptionnelle et nous voulons la
garder telle qu’elle est. » Il a dit également, implicitement et
explicitement, que les malheurs des divers « groupes opprimés »
n’étaient pas de la faute des hommes blancs. Ceci aussi viole un principe sacré
du multiculturalisme. Trump a dit toutes ces choses au moment où elles étaient
les choses les plus nécessaires à dire et il les a dites comme lui seul pouvait
le faire, avec suffisamment de « style » new-yorkais pour électriser
tout le pays. Puis ensuite, pour ajouter au bretzel de la moutarde forte, il a
caractérisé les médias comme étant non seulement mensongers mais aussi
anti-américains.
Trump est un refus vivant et parlant
du multiculturalisme et des idées post-modernes sur lesquelles il s’appuie.
Trump est persuadé qu’il existe des choses comme la vérité et comme l’histoire,
et qu’il croit en ces choses importe bien plus que le fait qu’il dise lui-même
toujours la vérité ou qu’il connaisse l’histoire – ce qui, en effet, est
parfois douteux.
Son affirmation caustique selon
laquelle il existe des pays « merdiques » était un exemple de Trump
affirmant que la vérité existe. Ce qu’il disait, c’était que certains pays
étaient meilleurs que d’autres et que l’Amérique était l’un des meilleurs,
voire même sans doute le meilleur. Le multiculturalisme dit qu’il est mal
d’affirmer de telles choses (de même qu’il était « mal » de la part
de Reagan de qualifier l’Union Soviétique de « mauvaise »). Trump est
le seul homme politique national qui ne se soucie pas de ce que le
multiculturalisme considère comme mal. Lui, et lui seul, rejette
catégoriquement et effrontément la moralité du multiculturalisme. Il est
virtuellement le seul sur notre scène politique nationale à défendre la
conception américaine du bien et du mal, et par conséquent pratiquement le seul
à réellement défendre l’Amérique. C’est pourquoi il est si précieux – et
pourquoi tant de choses dépendent de lui.
Ses défauts sont nombreux, et
certains sont importants, mais dans les circonstances présentes ce qui importe
le plus c’est que Trump comprend que nous sommes en guerre et qu’il est prêt à
la mener. Trump aurait pu être l’un des pires présidents que nous ayons jamais
eu, mais dans ces temps exceptionnels, il se peut qu’il soit le meilleur président
que nous pouvions avoir.
2016 et la signification de
l’Amérique
« Si seulement nous pouvions
savoir où nous sommes et vers où nous nous dirigeons, nous pourrions mieux
juger ce qu’il convient de faire, et comment le faire. »
Beaucoup de conservateurs en 2016
n’ont pas vu Trump comme un homme qui défendait l’Amérique. C’est en grande
partie parce qu’ils n’ont pas vu que l’Amérique avait besoin d’être défendue.
Ce que les conservateurs ont vu, c’était les politiques de Trump (qui ne
concordaient pas avec les politiques conservatrices) ainsi que son caractère
(qui ne concordait pas, un point c’est tout) et ils en ont conclu que le pays
était très loin d’être dans un état suffisamment catastrophique, et qu’Hillary
n’était pas un danger suffisant, pour que l’on puisse s’enthousiasmer pour un
homme manifestement aussi peu fait pour le rôle de président.
Dans ce qui était peut-être un
cas de « tout le monde se trompe sauf moi », beaucoup de
conservateurs ont conclu que si l’électorat portait au pouvoir un homme aussi
évidemment inapte à la fonction, alors il devait y avoir quelque chose qui ne
tournait pas rond avec l’électorat.
Je pense que la victoire de Trump
s’explique en fait d’une manière assez simple et littérale : les
Américains, dont beaucoup ont encore du bon sens et sont patriotes, ont voté
pour Trump pour la raison pour laquelle il leur a dit qu’ils devaient voter
pour lui, pour que l’Amérique passe en premier ou, pour reprendre son slogan de
campagne, « Pour que l’Amérique soit à nouveau grande » (« make
America great again ») – « l’Amérique » n’étant pas, comme
l’imaginaient beaucoup de conservateurs, un terme codé pour dire « les
Blancs ». En d’autres termes, la motivation de ceux qui ont élu Trump
était patriotique, la défense de sa propre culture, et non pas raciste.
Dans un essai réfléchi, publié au
printemps 2017, Yuval Levin a émis l’opinion, courante chez les conservateurs,
que le pays était dans un état raisonnablement satisfaisant. Il était par
conséquent interloqué qu’un grand nombre de penseurs associés avec l’école de
Claremont puissent estimer que « les choses ne pouvaient pratiquement pas
être pires » et qu’il était donc nécessaire de « faire une révolution
totale ».
Levin et les conservateurs qui
s’accordent avec lui prennent les choses à l’envers. C’est le multiculturalisme
et non pas le trumpisme qui est une révolution. La campagne de Trump, ainsi que
le soutien que lui apportaient certains intellectuels, n’était pas un appel à
faire la révolution mais un appel à stopper une révolution. Les intellectuels
qui soutenaient Trump ne disaient pas que les choses ne pouvaient pas être
pires, ils affirmaient que sans un changement de direction drastique il était
fort probable que nous ne puissions jamais retrouver notre foyer.
Toute la campagne de Trump était
une défense de l’Amérique. L’élection a porté bien moins sur les politiques, le
caractère, les échanges d’emails ou bien James Comey [directeur du FBI en
2016], que sur ce que signifiait l’Amérique. Le mur de Trump était moins une
manière de repousser les étrangers qu’une manière de marquer son attachement à
un pays particulier : les politiques en matière d’immigration, de
libre-échange, d’affaires étrangères, avaient pour but de défendre ce qui est
notre. Dans tous ces domaines, Trump posait la question « Qui sommes-nous
en tant que nation ? ». Et il y répondait en étant Trump, un homme
« made in America », indubitablement et sans aucun complexe
américain, et qui, comme la plupart de ses compatriotes, se contrefiche de ce
que peuvent bien penser les intellectuels européens.
Clinton, dans le camp d’en face, était
le dédain incarné, une citoyenne non pas de l’Amérique mais du monde : une
élitiste postmoderne, sûre de son bon droit, qui n’était rien d’autre que la
continuation d’Obama, l’homme qui avait rejeté avec mépris la prétention de
l’Amérique à être exceptionnelle. Ceux qu’elle appelait « les
déplorables » étaient les opposants au multiculturalisme. Ce qu’elle
disait, en fait, c’est qu’elle ne reconnaissait pas les « déplorables »
comme ses concitoyens et que, pour ce qui la concernait, ils ne faisaient pas
partie du régime qu’elle se proposait de diriger.
Peut-être la réponse la plus
efficace de Trump au multiculturalisme de Clinton et des Démocrates a-t-il été
ses attaques contre le politiquement correct, à la fois avant et après
l’élection. Trump a réprimandé Jeb Bush pour avoir parlé espagnol en meeting
électoral. Il a fait remarquer que le 11 septembre certains musulmans avaient
acclamé la chute des twin towers. Il a dit que Mexico nous envoyait la lie de
son pays, a suggéré de boycotter les Starbucks après que les employés aient
reçu l’ordre de ne plus dire « Joyeux Noël », a dit que les
propriétaires de la NFL devraient renvoyer les joueurs ne respectant pas le
drapeau, a émis l’opinion que les gens venant de ce qu’ils appelait des pays
« merdiques » (Haïti et les pays africains étaient ses exemples) ne
devraient pas être autorisés à émigrer chez nous, a parlé du danger qu’il y
avait à choisir des juges en fonction de leur origine ethnique et a dit que Black Lives Matter devrait cessé de
rejeter la faute sur les autres.
L’idée essentielle de chacune de
ces attaques au canon contre le politiquement correct, lorsqu’on les prend
toutes ensemble, est une défense la culture bourgeoise de l’Amérique, qui est
culturellement « judéo-chrétienne », qui tient à ce que nous n’ayons
qu’une seule langue, un seul ensemble de lois et de valeurs : et
notamment, la loyauté, le sens pratique, l’indépendance, et l’ardeur au
travail. Trump affirmait le caractère aimable de notre culture. Aussi étrange
que cela puisse sembler, il nous disait comment mener une vie digne. Trump est
loin d’être le prêcheur idéal, mais dans une société où les gens ont soif de
voir confirmer publiquement les valeurs qu’ils chérissent, ils n’exigent pas
que l’eau vienne d’une source pure. Même les déclarations grossières de Trump
traitant les femmes comme des objets ne semblent pas avoir rebuté les
électrices de Trump, peut-être parce que cela ne les surprend pas que les hommes
traitent les femmes comme des objets. En d’autres termes, Trump se comportait
comme un homme, même si ce n’était pas l’homme idéal, et ce qui importait
c’était qu’il ne soit pas l’homme asexué du multiculturalisme. Il se peut qu’un
semblable rejet de l’androgynie ait été à l’œuvre dans les auditions pour la
confirmation de Kavanaugh.
Il y a seulement une génération
ou à peu près, nos élites, aussi bien de gauche (liberals) que conservatrices, étaient prêtes à défendre la culture
bourgeoise de l’Amérique, l’exceptionnalisme américain, et l’assimilation
complète des immigrants. Arthur Schlesinger a exprimé ainsi cette conception de
l’assimilation : « la tradition protestante anglo-saxonne de
l’Amérique… fournit la référence à laquelle les immigrants venus d’autres
nations sont censés se conformer, la matrice dans laquelle ils se
fondront. » Cela signifiait abandonner la culture de son pays d’origine,
pas nécessairement intégralement ni tout de suite, mais en définitive ses
caractéristiques essentielles devaient être abandonnées en faveur de la culture
américaine. En d’autres termes, il n’existe pas d’Américains à trait d’union.
Trump comprend que le slogan
« la diversité est notre plus grande force », qui pourrait résumer le
multiculturalisme, est exactement à rebours de la vérité. La plus grande force
de l’Amérique est d’avoir transcendé la race, et la seule exception majeure a
bien failli causer notre perte. A la lumière de notre histoire, de l’histoire
du monde (une guerre « tribale » après l’autre), et du désastre
multiculturel qu’est l’Europe aujourd’hui, produire de la diversité culturelle
n’est rien d’autre que de la stupidité suicidaire. Trump ne le dit peut-être
pas de cette façon, mais il le comprend. L’Américain moyen le comprend aussi,
parce que ce n’est pas très difficile à comprendre : c’est du bon sens.
Les conservateurs et les Républicains
sont complices
Les qualités de Trump sont son
courage, son bon sens, et sa rhétorique. Il va à l’essentiel, à ce dont
personne d’autre ne parlera de peur d’être traité de « raciste » ou
de « fasciste », ou d’une autre de ces injures qui excitent la foule
des lyncheurs vertueux.
Sa remarque au sujet des pays
« merdiques » était un exemple. Un autre exemple a eu lieu en 2015
lorsque Trump, après une attaque terroriste, a proposé un arrêt de toute
immigration musulmane, jusqu’à ce que nous ayons « une putain d’idée de ce
qui se passe ». Pratiquement tout le monde, y compris la droite, a hurlé
au « racisme » et à « l’islamophobie ». Bien sûr, défendre
Trump aurait impliqué de violer le diktat multiculturel selon lequel on ne doit
parler de l’islam que comme une religion de paix. Mais, comme Trump,
l’Américain moyen ne se soucie pas de savoir si l’islam est ou non une religion
de paix : il voit de ses propres yeux que l’islam est utilisé comme un
instrument de guerre. Lorsque les terroristes musulmans disent qu’ils
accomplissent la volonté d’Allah, les Américains les prennent au mot. Ce n’est
rien d’autre que du bon sens.
La tentative de la part de Trump
d’écarter le juge Gonzalo Curiel d’un procès dans lequel la Trump University était l’accusée, en
partie à cause des origines mexicaines du juge, est un autre exemple de cas
dans lequel les accusations de « racisme », proférées avec la même
force par la droite et par la gauche, se sont substituées au bon sens. Il a été
estimé absurde de la part de Trump d’avancer que le juge était partial à cause
de son origine ethnique, mais c’est précisément l’insistance des élites à faire
de l’origine ethnique un facteur de sélection des juges qui a amené Trump à se
placer sur ce terrain. Nous faisons de l’origine ethnique un facteur essentiel,
et ensuite nous affirmons que l’origine ethnique ne devrait pas compter. Ce
n’est pas du bon sens.
Aller à l’essentiel, à la
question de bon sens qui est au cœur du sujet, est la composante la plus
importante de la rhétorique de Trump, mais même la manière souvent irritante
dont il choisit de s’exprimer peuvent parfois servir la cause conservatrice.
C’est un triste constat sur notre époque, mais c’est l’époque à laquelle nous
vivons, et nous devons juger les questions politiques en conséquence. Lorsque,
par exemple, Trump s’est moqué de l’accusatrice du juge Kavanaugh, il a fait
une chose que lui seul peut faire : il a attaqué frontalement le
multiculturalisme et son « il faut croire toutes les femmes. » Nous
devrions continuer à faire la grimace devant la puérilité de Trump, mais nous
devrions reconnaitre lorsqu’elle a de la valeur.
Dans chacun de ces cas, lorsque
les conservateurs se sont joints à la gauche (liberals), pour dénoncer Trump, les conservateurs ont attaqué notre
porteur de vérité le plus important. Les conservateurs et les Républicains
devraient utiliser ces situations pour expliquer ce qu’est l’Amérique et ce qui
est requis pour la perpétuer. Dans les exemples énumérés précédemment, ils
auraient dû expliquer l’importance de n’avoir qu’une seule législation,
d’assimiler totalement les immigrants et de ne pas tenir compte de la couleur
de la peau ; l’incompatibilité de la théocratie avec le mode de vie
américain ; que dans certaines circonstances nous pouvons à juste titre refuser
certains immigrants, non pas à cause de la couleur de leur peau, mais parce
qu’ils viennent de pays qui n’ont pas de tradition de gouvernement républicain.
Au lieu de cela, les conservateurs font le travail des multiculturalistes à
leur place : ils insinuent plus avant le multiculturalisme dans l’opinion
publique. Les conservateurs ont, sans vraiment en avoir conscience, accepté de
jouer selon les règles posées par les multiculturalistes et ce faisant ils se
sont désarmés eux-mêmes ; ils ont abandonné leur arme la plus
puissante : les arguments qui défendent l’Amérique.
Les auditions pour la confirmation de Kavanaugh :
le multiculturalisme à l’œuvre
En dénonçant les dangers du
multiculturalisme, Trump a aussi dénoncé la source de celui-ci : les
intellectuels de la gauche radicale (radical
liberal intellectuals), qui pour la plupart trainent leurs guêtres dans les
départements de sciences humaines dans nos meilleurs colleges et universités, où ils enseignent les humanités
multiculturelles et élaborent les règles du jeu multiculturel. A partir de
l’enseignement supérieur ces idées et ces règles se diffusent au sein d’une
élite formatrice d’opinion, généralement de gauche et généralement irréfléchie,
qui va ensuite militer pour l’ouverture des frontières, la diversité
obligatoire, le racisme (que, on ne sait trop comment, ils parviennent à nous
faire appeler antiracisme) et d’autres aspects du multiculturalisme.
Lors des auditions pour la
confirmation de Kavanaugh, les règles du jeu multiculturel fonctionnaient à
pleine puissance. Armés avec le chapitre de l’Evangile multiculturel qui traite
de « l’oppression des femmes par les hommes », les Démocrates
pouvaient attaquer Kavanaugh avec des accusations tirées du néant. Dans le même
temps, les règles multiculturelles obligeaient les Républicains à se battre
avec un bras attaché dans le dos : ils étaient forcés de traiter
sérieusement une affaire dépourvue de fondement, ils ne pouvaient pas attaquer
l’accusatrice, et ils devaient employer une femme pour l’interroger. Les
Républicains ont accepté automatiquement le rôle de misogynes qui leur était
assigné (et ils auraient accepté le rôle de raciste si l’accusatrice avait été
Noire). C’est vrai, les Républicains n’avaient pas le choix ; néanmoins
lorsqu’on vous roule dans la farine il est préférable de le remarquer.
Si Trump avait tweeté :
« Je me tamponne le coquillard du sexe ou de la couleur de peau de
l’interrogateur », je soupçonne que la majorité des Américains aurait
applaudi. Après tout, c’est là la conception américaine des choses. Ce n’est
pas l’Américain moyen qui exige que l’interrogateur soit une femme ou bien un
Noir. Nous le savons parce que les partisans de Trump nous l’ont dit. Ce ne
sont pas en général les parents dans nos écoles de centre-ville qui exigent des
enseignants et du personnel administratif ayant une couleur de peau
correspondant à celle de leurs enfants. Ce ne sont pas les immigrés mexicains ordinaires
qui créent de l’agitation pour préserver leur culture d’origine. Ce sont les
multiculturalistes.
Les règles multiculturelles
découlent de la conception multiculturelle de la justice, qui est basée non pas
sur l’égalité des individus (ce qui est la conception américaine) mais sur
l’égalité des groupes identitaires opprimés par les hommes blancs. Dans les
auditions de l’affaire Kavanaugh, les multiculturalistes ne voyaient pas deux
individus en train de s’affronter, mais plutôt toutes les femmes qui sont
toutes opprimées et tous les hommes blancs qui sont tous des oppresseurs. Les
Américains ont affirmé que les multiculturalistes violaient les règles du
procès équitable et celles communément admises concernant l’administration de
la preuve, mais du point de vue des multiculturalistes ce que les Américains
considéraient comme une violation était en réalité une application de la
conception multiculturelle du procès équitable et de l’administration de la
preuve. Les Américains voyaient une révolution se dérouler sous leurs yeux.
Nous nous trouvons maintenant
dans une situation qui n’est pas sans rappeler celle qui existait avant la
guerre civile, lorsqu’un côté avait une conception de la justice qui reposait
sur le principe de l’égalité des êtres humains, tandis que la conception de
l’autre côté reposait sur le principe que tous les hommes sont égaux à
l’exception des Noirs. La première conception impliquait le recul et finalement
la disparition de l’esclavage ; la seconde impliquait son expansion.
C’était comme un navire qui aurait dû aller dans deux directions à la fois. Ou,
pour utiliser la métaphore biblique employée par Lincoln, « si une maison
est divisée contre elle-même, cette maison ne peut subsister. » Lincoln ne
voulait pas dire que le pays ne pouvait pas subsister avec une partie
pratiquant l’esclavage et l’autre partie ne le pratiquant pas. C’était
possible, tant qu’il y avait un accord sur le fait que l’esclavage était un mal
et qu’il était en voie de disparition. Mais à partir du moment où la moitié du
pays pensait que l’esclavage était une bonne chose et l’autre moitié pensait
qu’il était une mauvaise chose, le pays ne pouvait subsister. C’était la
différence de conception de la justice entre les deux parties qui était décisive,
parce que, là où existent deux conceptions de la justice, comme c’était le cas
durant la guerre civile et maintenant, le respect de la loi s’effondre. Durant
la guerre civile, cela a eu pour conséquence la sécession. De nos jours, cela a
pour conséquence les villes sanctuaires [terme qui désigne une ville qui
applique une politique de protection des migrants illégaux] et « la
résistance ». Pour saisir à quel point nous sommes proches de la rupture
totale, imaginez que l’élection de 2016, comme celle entre Bush et Gore, ait dû
être décidée par la Cour Suprême. On frémit rien que d’y penser.
Que faire et comment le faire
Les conservateurs ont été
abasourdis par le trumpisme. Même les conservateurs qui reconnaissent
aujourd’hui que Trump a accompli certaines bonnes choses ne savent pas trop ce
qu’il serait possible d’apprendre du trumpisme qui pourrait servir au futur du
mouvement conservateur.
La leçon est la suivante :
suivez l’exemple de Lincoln. Il fit de l’opposition à l’esclavage le noyau non
négociable du parti Républicain, tout en étant prêt à passer des compromis sur
toutes les autres questions. Les conservateurs devraient faire la même chose
avec le multiculturalisme. Nous devrions faire de notre opposition au
multiculturalisme le noyau de notre mouvement. Le multiculturalisme devrait
guider notre stratégie rhétorique, fournir un cadre conceptuel pour interpréter
les évènements, et lier les dangers intérieurs auxquels nous faisons face. Nous
devons comprendre que tous ces dangers sont des parties d’un même tout.
Cette approche, cependant, ne
fonctionnera pas tant que les conservateurs ne se mettront pas à penser aux
questions politiques comme le faisait Lincoln. Qu’ils ne le fassent pas
explique pourquoi un si grand nombre d’entre eux n’a pas compris la
signification de l’élection de 2016. Le sujet est complexe, mais il me semble
qu’il peut être résumé ainsi : en comparaison de Lincoln, les
conservateurs ont tendance à penser la politique de manière à la fois trop
étroite (en excluant trop de choses) et trop rigide.
Ce qui, pour Lincoln, était la
question politique la plus importante – la conception qu’a la population de la
justice - est considérée comme sans importance par beaucoup de conservateurs. Il
n’est pas surprenant, par conséquent, qu’ils n’aient pas compris ou qu’ils
aient sous-estimé le danger politique posé par le multiculturalisme, avec son
assaut frontal contre la conception américaine de la justice. N’ayant pas
compris le multiculturalisme ou bien l’ayant sous-estimé, les conservateurs ne
pouvaient pas voir que les caractéristiques de Trump qui, dans des temps
ordinaires, l’auraient disqualifié, étaient aujourd’hui précisément celles qui
étaient requises pour affronter le multiculturalisme. Trump n’était pas un conservateur
classique, mais toute sa campagne portait sur le fait de sauver l’Amérique.
C’est là où le conservatisme commence.
L’éducation est un autre domaine
auquel les conservateurs prêtent moins d’importance politique que ne le faisait
Lincoln. Les conservateurs doivent réapprendre ce que savait Lincoln, et ce
que, jusqu’au milieu du 20ème siècle, nos colleges et nos universités savaient aussi : le but de
l’enseignement supérieur, et particulièrement des universités d’élite, est
d’instruire les citoyens en vue du bien commun. Si les universités d’élite
promeuvent le multiculturalisme et que le multiculturalisme sape l’Amérique,
alors les universités trahissent leurs obligations envers le bien commun au
même titre que si elles aidaient l’ennemi en temps de guerre. Dans un tel cas,
le gouvernement, le gouvernement fédéral si nécessaire, peut à bon droit employer
n’importe quel remède, du moment qu’il est proportionné au risque encouru par
le pays et qu’il est le moyen le moins intrusif qui soit disponible.
Réorienter le mouvement conservateur
est une tâche gigantesque, mais certaines choses importantes jouent en notre
faveur : pour commencer, la plus grande partie de la population du pays, y
compris beaucoup qui ne sont pas partisans de Trump, semble opposée au
multiculturalisme et à sa police du langage. Qui plus est le multiculturalisme,
comme la cause de l’abolition, est susceptible de galvaniser le mouvement
conservateur. Les conservateurs, dont la tâche spécifique est de conserver,
s’animent lorsqu’il y a quelque chose d’important à conserver, car cela leur
permet de revendiquer une position singulière et moralement puissante avec
suffisamment de latitude pour s’accommoder d’une vaste coalition. Dans le cas
présent la « chose » réellement importante à conserver est notre
pays.