Tout a été dit, ou presque, au
sujet de la proposition de loi scélérate visant à créer un délit d’entrave
numérique à l’avortement qui vient d’être votée par l’Assemblée Nationale. Tout
en ce qui concerne l’attaque éhontée contre la liberté de paroles que constitue
une telle proposition de loi.
J’ajouterais juste une chose sur
ce point : si cette proposition devait devenir loi, l’étape suivante
devrait être logiquement la criminalisation de l’Eglise catholique elle-même, car
assurément celle-ci cherche à décourager les femmes d’avorter en exerçant des
« pressions morales » sur elles, c’est-à-dire en faisant appel à des
arguments qui impliquent que l’avortement est un mal, qui sont susceptibles de
faire hésiter celles qui envisageraient de se livrer à cette opération et de
donner des remords à celles qui l’auraient fait.
En revanche une question n’a
guère été examinée, me semble-t-il. Pourquoi, alors que 220 000
avortements ont lieu chaque année en France, soit une grossesse sur cinq, pourquoi,
alors que la loi n’a pas cessé d’être assouplie depuis 1975, pourquoi, alors
qu’aucun parti politique ne fait ne serait-ce que mine de vouloir rouvrir le
débat de l’avortement, les féministes qui nous gouvernent parlent et
agissent-elles comme si avorter était un acte horriblement compliqué et comme
si cette possibilité menaçait à chaque instant d’être retirée aux femmes ?
Pour le comprendre, il faut
revenir aux dogmes du féminisme contemporain et à son Saint Livre, Le deuxième
sexe.
Beauvoir et toutes ses disciples
affirment que les femmes, après avoir été opprimées depuis la nuit des temps,
doivent désormais « s’émanciper », devenir enfin « autonomes ». Mais émancipées
de quoi, autonomes par rapport à quoi ?
Emancipées des hommes, autonomes
par rapport aux hommes, car ce sont les hommes, bien sûr, qui ont opprimé les
femmes depuis toujours.
Et comment les femmes
peuvent-elles devenir des êtres autonomes ?
En gagnant leur vie, certes, mais
surtout en prenant leur distance avec la maternité, pour ne pas dire en
refusant purement et simplement la maternité, et en pratiquant, comme les
hommes, une sexualité « virilement indépendante ».
C’est en effet dans la sexualité,
et ses conséquences, à savoir la maternité, que Beauvoir prétend trouver la
cause première de l’oppression des femmes.
Les femmes sont attirées par les
hommes, et les hommes sont attirés par les femmes, mais, dans les jeux de
l’amour et du hasard, les femmes ont jusqu’à maintenant été très désavantagées
par rapport aux hommes, pour deux raisons.
D’une part les femmes ont
ordinairement beaucoup plus de mal que les hommes à séparer la sexualité et les
sentiments. Les hommes, avec leur capacité d’abstraction, leur capacité à
oublier, leur indifférence ont, pour s’échapper après une relation sexuelle, un
équipement mental que n’ont pas les femmes. Pour un homme un rapport sexuel
peut être juste cela, un moment plaisant sans conséquences ni lendemain. Pour
une femme un rapport sexuel, particulièrement s’il est réussi, conduit souvent
à espérer un attachement durable et profond de la part du partenaire et, si ces
sentiments ne sont pas au rendez-vous, conduira fréquemment à des sentiments
d’abandon, de colère, et de dégoût.
Cette différence hommes/femmes
est parfaitement résumée par la réplique d’un acteur célèbre, à qui le juge
demandait pourquoi un homme tel que lui, a priori pourvu de tous les attributs
de la séduction, éprouvait le besoin de recourir aux services de prostituées :
« Mais, monsieur le juge, je ne les paye pas pour qu’elles viennent avec
moi, je les paye pour qu’elles partent ! »
D’autre part les femmes portent
les enfants. Bien plus, la très grande majorité des femmes éprouvent à un
moment où l’autre de leur vie un intense besoin d’avoir des enfants et de
fonder un foyer, un désir qui, pour dire le moins, est beaucoup plus faible
chez la plupart des hommes.
Les femmes se voient donc
contraintes d’essayer d’amener les hommes à partager leurs vues sur les sujets
qui leur tiennent à cœur, l’engagement, la fidélité, la famille. La force et la
violence étant du côté des hommes, cela ne peut se faire que par la persuasion,
une persuasion dont la contrepartie est en général une certaine soumission, au
moins apparente, aux hommes.
Pour briser ce cercle fatal, il
faut changer le rapport des femmes à la sexualité et à la maternité. Il faut émanciper
les femmes des mythes de l’amour romantique et de l’instinct maternel, qui les
rendaient dépendantes des hommes et des enfants qu’elles pouvaient concevoir
avec eux
Pour être autonomes les femmes
doivent d’une part devenir aussi cavaleuses que les hommes, et même que les
hommes les plus prédateurs. Le cœur des femmes doit devenir calleux pour
qu’elles puissent être libres.
Par ailleurs une femme doit
considérer le fait de tomber enceinte sans l’avoir voulu comme un malheureux
accident, heureusement très facile à réparer. Elle ne doit en aucun cas et en
aucune façon se sentir tenue de mettre au monde un enfant qu’elle n’a pas désiré.
La sexualité doit être aussi dépourvue de conséquences pour elle que pour le
mâle obtus et égoïste qui quitte l’hôtel en sifflotant après un petit cinq à
sept bien sympathique.
Par conséquent l’opus magnum de
Simone de Beauvoir n’a presque rien à dire sur la question des carrières
féminines, mais a en revanche énormément à dire sur la question de la
sexualité. On y trouve donc un chapitre sur l’initiation sexuelle, un sur le
lesbianisme, un autre sur la prostitution, et le chapitre consacré à « La mère
» s’ouvre sur de longues pages consacrées à la question de l’avortement,
avortement qui, selon l’auteur, ne devrait pas être envisagé avec réticence ni
regretté une fois accompli.
Nos modernes féministes ne
sauraient être satisfaites tant que l’avortement ne sera pas considéré comme un
acte aussi facile et anodin que d’avaler un verre d’eau. Tout remords, toute
hésitation, tout signe que l’avortement peut poser un cas de conscience, sera
la preuve que les femmes ne sont pas encore pleinement « émancipées ».
Il est dès lors facile de
comprendre cette offensive contre les sites internet visant à dissuader les
femmes d’avorter, ou du moins à les faire hésiter avant de passer à l’acte. Les
féministes qui nous gouvernent ne se soucieraient pas de ces sites si ceux-ci
n’avaient pas un certain succès, et le succès qu’ils rencontrent est la preuve
que, pour beaucoup de femmes, avorter reste un dilemme moral. Ce qui est une
remise en cause du dogme.
Bien évidemment, même si leur
offensive du jour se révélait un succès, la lutte ne prendrait pas fin pour
autant. La « liberté sexuelle » et l’avortement continueront toujours
à faire violence à la nature féminine. Nos modernes féministes se trouvent en
fait exactement dans la même position que les activistes homosexuels qui
prétendent bâtir une société dans laquelle l’homosexualité sera considérée
comme « saine, naturelle et normale ». Pour les unes comme pour les
autres, ce dont il s’agit en définitive n’est rien moins que de remplacer la
réalité par l’illusion, la vérité par le mensonge. Or, la réalité étant ce qui
finit par s’imposer à nous quoique nous fassions, il est inévitable que
l’effort pour dissimuler la réalité ne puisse jamais prendre fin, exactement de
la même manière qu’il est nécessaire d’exercer une poussée constante pour
maintenir un avion en vol.
Le féminisme contemporain, celui
pour lequel « on ne nait pas femme, on le devient », est par nature
despotique, exactement comme le mouvement homosexuel et pour les mêmes raisons,
et ses revendications infinies.
Les catholiques ont bien raison
de se mobiliser pour essayer d’empêcher cette proposition de loi de devenir loi
et d’entrer jamais en vigueur. Mais ils devraient être rejoints ou du moins
soutenus par tous ceux pour qui, sans considérer que l’avortement devrait être
interdit, pensent néanmoins que la liberté est une chose sainte et ne sont pas
décidés à passer la tête sous le joug parce que des mains féminines le leur
présentent.