Dans les démocraties
occidentales, le mariage gay progresse, de manière apparemment irrésistible
pour le moment. Ainsi, dans un arrêt Obergefell
v. Hodges rendu le 26 juin dernier, la Cour Suprême des Etats-Unis a
considéré que la Constitution des Etats-Unis garantissait un droit à se marier
avec une personne du même sexe que soi. Face à cette avancée qui semble
inexorable la tentation est grande de baisser les bras et de passer à autre
chose. De fait, en France comme aux Etats-Unis, le grand public semble assez
disposé à accepter cette transformation de la loi qu’il n’a pas appelée de ses
vœux, en partie par lassitude, en partie par une forme de sollicitude envers
les homosexuels : ils s’aiment ? Eh bien, laissons-les se marier si
cela leur fait plaisir. Après tout, où est le mal ?
Ce que le grand public ne
comprend pas – et comment le pourrait-il si personne ne le lui explique ? –
c’est que la légalisation du mariage gay ne signifie nullement la fin des
revendications homosexuelles. Il n’en est que le début. Et ces revendications
n’épargneront personne. Ce qui est en jeu avec le mariage gay, ce n’est pas
seulement l’institution du mariage – ce qui serait déjà beaucoup – mais la
liberté individuelle elle-même. Comme je l’écrivais dans un récent article : les revendications du mouvement homosexuel sont, par nature,
despotiques. Nous n’avons donc pas d’autres choix que de continuer à lutter
contre le mariage homosexuel et contre ces revendications. Pas le choix car il
faut être deux pour faire la paix, et les activistes homosexuels ne sont pas
décidés à laisser en paix ceux qui sont en désaccord avec eux.
Il faut par conséquent argumenter
sans trêve, malgré la lassitude des auditeurs, et apporter notre petite
contribution personnelle à la défense de
la famille et de la liberté. C’est donc sans craindre de vous lasser que je
vous propose la traduction d’un article américain paru juste avant que ne soit
rendu l’arrêt Obergefell. Les futures
et inévitables batailles liées aux revendications homosexuelles y sont
clairement exposées. Vous ne pourrez pas dire que vous n’avez pas été prévenus.
Bonne lecture.
Jonathan V. Last, « You will
be assimilated », The weekly
Standard, june 20, 2015
Vous vous rappelez peut-être de
Brendan Eich. Le co-fondateur et président de Mozilla qui fut renvoyé de sa
compagnie en 2014 lorsque l’on découvrit que, six ans plus tôt, il avait fait
un don de 1000 dollars en faveur de la campagne pour la proposition 8, en
Californie. Cette initiative référendaire, qui limitait le mariage à un homme
et une femme, a recueilli un plus grand pourcentage de voix en Californie que
Barack Obama dans tout le pays en 2012. Aucun de ceux qui connaissaient Eich ne
l’a accusé de mal traiter ses collaborateurs homosexuels – selon les dires de
tous, il était aimable et généreux avec tous ses collègues. Pourtant, avoir
apporté un modeste soutien financier à une initiative référendaire parfaitement
légale et qui a recueilli une majorité de voix a été jugé une action
suffisamment terrible pour priver Eich de son gagne-pain. Ce qui est déjà une
chose.
Une toute autre est la manière
dont Eich a été traité depuis. Par exemple, un an après que Eich ait été
renvoyé, Hampton Catlin, un programmeur de la Silicone Valley qui fut l’un des
premiers à demander la démission de Eich, provoqua celui-ci sur Twitter.
- Cela fait plusieurs semaines que j’ai reçu quelques
messages de haine relatifs à Brendan Eich. Comment ça va de ton côté,
Brendan ?
- Tu as demandé à ce que je sois « totalement évincé des
activités quotidiennes de Mozilla » et tu as eu ce que tu voulais. Je suis
toujours sans travail. Et toi ?
- Marié et content de pouvoir vivre aux USA ! Nous
travaillons ensemble sur des logiciels Open Source ! Comme un couple gay
marié, amoureux et heureux !
C’est anecdotique, bien sûr. Mais
révélateur. Parce que cela montre que le mouvement en faveur du mariage
homosexuel recherche bien davantage que la liberté de pouvoir se marier. Il est
aussi très intéressé par le fait de punir ceux qui s’opposent à lui. Mais les
ambitions du mouvement vont même au-delà de ça. Il cherche à modifier les
notions légales de liberté de paroles et de liberté d’association, les
protections constitutionnelles dont bénéficie la liberté religieuse, et les
normes culturelles concernant la famille. Et la plupart des Américains
réalisent tout juste que ce sont ces institutions sociales qui sont en train
d’être renégociées de force.
Les partisans du mariage
homosexuel considèrent cette cascade de changement comme nécessaire pour protéger
le progrès contre les éléments rétrogrades de la société. Les gens moins
engagés dans la cause du mariage homosexuel pourraient considérer cela comme une
tromperie sur la marchandise. Et ils auraient raison. Mais ce n’est pas une
nouveauté. Pratiquer la tromperie a été le modus
operandi du mouvement pour les droits des homosexuels, peut-être pas depuis
ses débuts, mais depuis fort longtemps.
Cela commence au niveau des faits
les plus élémentaires : combien d’Américains sont gays ? Depuis des
décennies, les activistes gays ont seriné qu’une personne sur dix est
homosexuelle. Cette statistique était démentie par tous les faits mais elle
était nécessaire pour donner à la cause un air d’urgence et d’universalité. Le
grand public a si bien gobé ce bobard que, en 2012, Gallup fit un sondage dans
lequel il était demandé aux gens quel était, selon eux, le pourcentage d’homosexuels
dans la population du pays. Les réponses furent étonnantes. Les femmes et les
jeunes adultes étaient les plus crédules, disant, en moyenne, qu’ils pensaient
que 30% de la population était gay. L’Américain moyen pensait que 24% - un
quart – de la population était gay. Seuls 4% des sondés ont répondu qu’ils
pensaient que moins de 5% de la population était homosexuel.
Mais même 5% se révèle exagéré. La
meilleure étude actuellement disponible sur les préférences sexuelles des
Américains est une étude de 2014 effectuée par le Centre pour le Contrôle des
Maladies sur un échantillon monstre de 34 557 adultes. Selon les résultats
de cette enquête, 96,6% des Américains se définissaient comme hétérosexuels,
1,6% comme gay ou lesbienne, et 0,7% comme bisexuels. Le pourcentage de gays et
lesbiennes n’est pas beaucoup plus élevé que le pourcentage de ceux qui
refusent de répondre à la question (1,1%).
Ensuite, il y a la question des
causes de l’homosexualité. L’idée que l’orientation sexuelle n’est pas un choix
mais qu’elle est génétiquement déterminée a été importante pour l’argumentaire
en faveur du mariage homosexuel. Mais maintenant que le mariage homosexuel est
devenu une réalité, certains activistes admettent que cette idée n’est
peut-être pas exactement vraie. Par exemple, dans le magazine d’avang-garde N+1, Alexander Borinsky a affirmé que la
sexualité est une caractéristique qui doit être activement construite par le
moi. Il proposait un argument philosophique, bien à l’abri depuis une position
désormais dominante, celle du mariage gay. D’autre étaient moins philosophiques
et plus pratiques. Voici par exemple comment l’écrivain et danseur Brandon
Ambrosino s’attaquait au sujet en janvier 2014 dans The New Republic :
« Il est temps pour la communauté LGTB d’abandonner
l’argument de la prédisposition génétique qui a servi à gagner le grand public
aux revendications homosexuelles…
Depuis des décennies maintenant cela a été un des arguments
les plus puissants de l’arsenal LGTB : le fait que nous étions « nés
ainsi »… Cependant, aussi persuasif que soient ces arguments, il se peut
qu’ils aient perdu leur utilité. Maintenant que la plupart des Américains sont
en faveur du mariage gay, il est temps de proposer une argumentation dans
laquelle la génétique ne compte pas. L’argument génétique nous a mis dans une
impasse. »
Il est toujours légèrement
déconcertant de voir un mouvement se réclamant des idéaux de vérité, de liberté
et d’égalité, commencer à admettre ouvertement que ses arguments sont de
simples « outils » choisis pour leur « utilité ». Mais c’est
là où en est le mouvement homosexuel aujourd’hui. Rappelez-vous lorsque les
partisans du mariage gay se moquaient de ceux qui suggéraient que créer un
droit à se marier entre personnes de même sexe pourrait affaiblir l’institution
du mariage elle-même : comment mon mariage homosexuel pourrait-il affecter
votre mariage hétérosexuel ? Ces arguments ont perdu leur utilité eux
aussi. Voici ce qu’écrivait l’activiste homosexuel Jay Michaelson l’année
dernière dans The Daily Beast :
« Les modérés et les libéraux (liberals) ont affirmé que le mariage homosexuel n’était pas grand-chose :
c’est toujours le même amour, après tout, et les gays veulent simplement vivre
comme tout le monde. Mais plus à droite et plus à gauche les choses deviennent
beaucoup plus intéressantes. Et si le mariage gay allait réellement changer
l’institution du mariage, en transformant les conceptions liées à la monogamie
et à l’intimité ?
Il y a une part de vérité dans l’argument des conservateurs
que le mariage gay ne se contente pas d’étendre le mariage, mais le transforme.
Selon une enquête menée en 2013, environ la moitié des mariages homosexuels
observés n’étaient pas strictement monogames (il est vrai que l’enquête a été
faite à San Francisco).
Ce fait est bien connu au sein de la communauté gay – en
fait, nous supposons même que la vérité est plus proche des trois-quarts. Mais
il est très intéressant de voir la manière dont mes amis hétéros y ont réagi.
Certains avaient l’impression d’avoir été roulés dans la farine : ils se
battaient pour l’égalité du mariage, pas pour une redéfinition du mariage.
D’autres étaient carrément envieux, comme si les gays avaient conclu un
meilleur arrangement, un arrangement qui ne marcherait pas pour les couples
hétéros. Que se passerait-il si la non-monogamie gay commençait à s’étendre aux
hétéros ? Les mariages ouverts des années 70, les parties fines, et
peut-être d’autres « arrangements » datant de cette même époque
deviendraient-ils plus fréquent ? L’absence de monogamie est-elle une de
ces choses que les mariages gays peuvent apprendre aux mariages hétéros, en
même temps qu’à partager les tâches ménagères de manière égalitaire et à
assortir les serviettes de bain ?
(…)
Les radicaux font remarquer que le mouvement de libération
homosexuel dans les années 1970 était, comme son nom l’indique, un mouvement de
libération. Il s’agissait d’être libre, de se rebeller, de remettre en question
l’autorité. « 2-4-6-8, détruisons l’Eglise et détruisons l’Etat »
criait les gens. »
Hannah Roisin, de Slate, partage ce diagnostic, et suggère
que le mariage gay ne va pas seulement changer le mariage
« normal », mais qu’elle va l’améliorer :
« Le vilain petit secret du mariage gay : la
plupart des couples gays ne sont pas monogames. Nous en sommes venus à accepter
récemment, en partie grâce à l’excellent article de Liza Mundy dans The Atlantic, et en partie parce que
nous avons désespérément besoin de quelque chose qui rende le mariage
hétérosexuel à nouveau attractif, que le mariage gay a quelque chose à nous
apprendre, que les couples gays fournissent un modèle pour des mariages plus
égalitaires et moins encombrés par les rôles sexués traditionnels qui plombent
le mariage de nos jours. »
Bien évidemment, au sein du mouvement
en faveur du mariage homosexuel, tout le monde ne désire pas aider le mariage
traditionnel à évoluer vers quelque chose de mieux. Certains veulent le
détruire purement et simplement. De nouveau dans The New Republic, par exemple, une lesbienne mariée a raconté
comment elle s’est efforcée d’utiliser le sperme de son propre frère pour
féconder son épouse. Pourquoi aurait-elle cherché à faire une telle
chose ? Parce que « la partie queer en moi adorait la manière dont
cela déstabilisait les gens. Déraciner les conventions, mélanger les
catégories, réorganiser et réaffecter les liens du sang était un pur fantasme
subversif. » Ceci n’est pas exactement, contrairement à ce qu’Andrew
Sullivan avait promis autrefois, une vision « virtuellement normale »
du mariage.
D’autres changements sont en
préparation. Vous vous rappelez lorsque ceux qui prédisaient que le mariage gay
conduirait à la polygamie étaient tournés en ridicules comme des simplets et
des beaufs ? Eh bien maintenant il s’avère que la polygamie est juste la
prochaine étape. « Légalisez la polygamie ! », proclamait un
titre en Une de Slate. « Et
maintenant, au tour de la polygamie » exhortait… The Economist ? Eh oui, déjà en 2013 :
« L’effervescence à propos des arguments échangés devant
la Cour Suprême au sujet du mariage gay est probablement retombée jusqu’à ce
que la Cour prenne une décision. Et avec une majorité de sénateurs qui lui sont
désormais favorables, il semble bien que, soit par une action judiciaire, soit
par une action législative, le mariage gay soit en passe d’être accepté partout
en Amérique assez rapidement. Par conséquent, cela semble être le bon moment
pour ceux qui soutiennent le mariage gay, alors que peu de personnes font
attention et que cela ne peut pas faire grand mal, d’admettre qu’il existe
quelques arguments en sa faveur dont ils ont toujours pensé qu’ils étaient
mauvais…
Pour beaucoup de conservateurs, l’un des présupposés que le
mariage gay remet en question est celui du couple : pourquoi seulement
deux personnes, alors ? Si le mariage n’est plus entre un homme et une
femme, alors pourquoi pas entre un homme et deux femmes, et ainsi de suite. En
général, les partisans du mariage homosexuel se contentent de tourner cette
question en ridicule. Je ne pense pas que cela soit une question ridicule.
« Pourquoi ne pouvez-vous pas épouser votre chien, alors ? » est
une question ridicule : le mariage, dans notre société, est entre des
adultes consentants… Mais « pourquoi seulement deux ? » n’est
pas une question ridicule. Il est relativement facile de montrer que empiriquement le mariage gay ne conduit
pas à une pression pour légaliser la polygamie ; cela ne s’est produit
nulle part où le mariage gay est légal. Mais c’est autre chose d’expliquer
pourquoi le fait d’ouvrir les frontières du mariage tel qu’il existait au 20ème
siècle ne devrait pas soulever la
possibilité de légaliser la polygamie. Pourquoi ne pourrait-il pas être légal
pour plus de deux adultes consentants de se
marier entre eux ? »
Pourquoi, en effet ? En février
2014, The Atlantic a publié un
portrait très flatteur de Diana Adams, une avocate « polyamoureuse »
de Brooklyn qui s’est spécialisée dans la légalisation des familles « non
traditionnelles », ce qui, en pratique, signifie un grand nombre d’arrangements
polygames. Et elle ne se contente pas d’aider des adultes consentants qui font
cela pour le plaisir : Adams a dit à The
Atlantic qu’elle était particulièrement enthousiaste au sujet des
possibilités d’avoir des familles de trois parents en ce qui concerne
l’éducation des enfants. Vous aviez peut être omis de lire cette clause rédigée
en petits caractères dans la littérature consacrée au mariage homosexuel.
Mais si vous aviez pris la peine
de lire les passages en petits caractères, vous l’auriez vu. Changer le mariage
jusqu’à le rendre méconnaissable est depuis longtemps un but avoué de
l’organisation Beyond Marriage (« au-delà
du mariage »), qui rassemble plusieurs centaines d’avocats, de professeurs
de droit et de militants du mariage homosexuel. Ils affirment que le mariage
homosexuel est seulement la première étape vers la redéfinition de la famille
elle-même. Ultimement, ils veulent obtenir la protection de la loi pour tout un
tas d’autres relations, y compris, comme ils l’écrivent avec délicatesse, pour
« les couples queer qui décident de créer et d’élever ensemble un enfant
avec une autre personne queer, ou un couple queer, au sein de deux
foyers » ainsi que pour « les foyers engagés et aimant dans lesquels
il y a plus d’un partenaire conjugal. » Ce groupe n’est pas un
rassemblement d’excentriques : il comprend des professeurs de Georgetown,
de Harvard, Emory, Columbia, et Yale. Le projet Beyond Marriage bénéficie aujourd’hui d’au moins autant de soutien
de la part des élites que le mouvement en faveur du mariage homosexuel au début
des années 1990.
Et avant que nous ne passions à
autre chose, juste un mot à propos du caractère ridicule de la question :
« Pourquoi ne pouvez-vous pas épouser votre chien ? » Les
juristes ne se sont pas encore saisis de la question (bien que la loi permette
désormais aux chiens de recevoir des héritages et des fonds en fiducie). Mais
la culture a un temps d’avance. En novembre 2014 le magazine New-York a publié avec un parfait
sérieux une interview d’un homme, absolument dépourvue d’ironie et intitulée :
« Qu’est-ce que cela fait de sortir avec un cheval. » En janvier, New-York a publié une interview
semblable, cette fois avec une jeune femme, intitulée « Qu’est-ce que cela
fait de sortir avec son père. »
Ce qui est une manière très
longue de dire que, quel que soit le jugement de la Cour Suprême dans l’affaire
Obergefell v. Hodges dans les
semaines qui viennent, la campagne en faveur du mariage homosexuel est loin
d’être finie. Elle n’a même pas encore atteint le point où elle pourrait
consolider ses gains. Elle est plutôt encore dans une phase d’expansion
agressive. La prochaine étape, ce sont les droits des transgenres – avant même
Caitlyn Jenner, il était rare que se passe une semaine sans que le New-York Times ou le Washington Post ne mettent en première
page une histoire de transgenre – et les amours multiples. Ensuite, la pression
pour faire plier les organisations religieuses – écoles, œuvres caritatives,
organisations para-ecclésiales – s’intensifiera. D’ors et déjà, les organismes
caritatifs catholiques ont dû cesser de proposer des services d’adoption et de
placement en familles d’accueil dans des endroits comme l’Illinois, le
Massachusetts, et le District de Columbia, parce que ces organismes refusent de
confier des enfants à des foyers composés de personnes de même sexe. (De
manière très révélatrice, cette exclusion des organisations catholiques n’a pas
été considérée comme une conséquence regrettable du mouvement en faveur du
mariage gay, mais comme une victoire pour celui-ci. Le but n’est nullement de
laisser chacun vivre comme il l’entend.) Puis viendra le grand combat pour
briser les églises elles-mêmes. Et si vous pensez que le mouvement pour le
mariage de même sexe s’abstiendra de contraindre les églises à célébrer des
mariages gays, c’est que vous n’avez pas été suffisamment attentif.
Après que Brendan Eich ait été
licencié, un collectif de défenseurs soit disant « modérés » du mariage gay publia une déclaration
déplorant la tournure jacobine que le mouvement était en train de prendre. Elle
était intitulée : « Liberté de se marier, liberté d’exprimer ses
désaccords : pourquoi nous avons besoin des deux. » Cela partait d’un
bon sentiment.
L’un des signataires était le
journaliste Jonathan Rauch, qui prit en plus la peine d’écrire son propre
article pour défendre les nouveaux objecteurs de conscience. Le titre en
était : « S’opposer au mariage gay ne fait pas de vous un
crypto-raciste. » Pourtant cette défense de la liberté de conscience était
aussi inquiétante que tout ce qui peut provenir de la frange la plus radicale
du mouvement.
Rauch commençait par reconnaitre
deux autres tactiques de diversion employées par les partisans du mariage gay.
En vérité, disait-il, comparer la résistance au mariage gay à un soutien aux
lois qui interdisaient les mariages interraciaux est déplacé, en dépit de ce
que les défenseurs du mariage gay ont pu dire depuis presque vingt ans (la
première utilisation de ce parallèle que j’ai pu trouver était le fait d’Andrew
Sullivan dans The New Republic, en
mai 1996.)
Puis Rauch se tournait vers la
question de savoir si la création du mariage homosexuel était simplement une
extension allant de soi d’une liberté individuelle, ou bien quelque chose de
beaucoup plus radical :
« Pratiquement toutes les sociétés humaines, y compris
la nôtre jusqu’à avant-hier, tenaient pour évident que combiner les deux sexes
faisait partie de l’essence même du mariage. En fait la simple notion de
mariage homosexuel semblait à la plupart des gens une contradiction dans les
termes…
En revanche le mariage n’a pas toujours été associé au
racisme. Bien au contraire. Depuis des millénaires les gens se sont mariés hors
de leur groupe racial (et ethnique, tribal, ou religieux), souvent tout à fait
délibérément afin de cimenter des alliances familiales ou politiques.
Assurément, des limitations racistes ont été imposées au mariage en bien des
lieux et en bien des temps, mais comme quelque chose d’extérieur. Chacun
comprenait que des gens de différentes races pouvaient en principe se marier.
C’est même la raison pour laquelle les racistes voulaient l’empêcher, de la
même manière qu’ils voulaient arrêter le mélange des races dans les écoles. A la
fois dans leur intention et dans leur application, les lois prohibant les
mariages interraciaux avaient en vue la race, pas le mariage.
Pourquoi cette distinction devrait-elle nous importer
aujourd’hui, si ces deux types de discrimination sont illégitimes ? Parce
que demander aux gens d’abandonner la compréhension traditionnelle du mariage
telle qu’elle est inscrite dans l’histoire est beaucoup demander. Vous ne
pouvez pas espérer qu’une tradition sociale et morale qui n’a jamais été remise
en question pendant des milliers d’années soit abandonnée du jour au
lendemain. »
Oh mon Dieu ! Donc, en fait,
nous sommes bien en train d’opérer
une complète redéfinition d’un des piliers de la civilisation humaine sur la
base d’un mouvement qui n’existait pas encore avant-hier. Eh bien, il est bon
que cela soit dit franchement, n’est-ce pas ? Après tout, mieux vaut tard
que jamais.
Et pourtant, même après avoir
reconnu ce fait, Rauch ne parvient pas à admettre ce qui en est pourtant le
corollaire évident : que ce changement – comme tous les changements –
pourrait avoir des conséquences profondes et inattendues, dont certaines
pourraient être merveilleuses, et d’autres beaucoup moins merveilleuses. Parce
que s’il parvenait à cette conclusion, cela impliquerait qu’il serait prudent d’étudier
les résultats de ce nouvel ordre des choses avec circonspection. Et la
persécution du sociologue Mark Regnerus montre qu’une telle circonspection
n’est absolument pas à l’ordre du
jour.
Mais qu’importe tout cela. Après
avoir admis l’existence de cette tactique de diversion ultime,
civilisationnelle, Rauch se tourne finalement vers la question de la liberté
religieuse :
« Dire que l’opposition la plus féroce au mariage
homosexuel a une base religieuse est un truisme… Il faut porter au discrédit des
trois religions abrahamiques que celles-ci condamnent l’amour homosexuel et que
toutes les trois ont des théologies qui considèrent le mariage comme intrinsèquement
hétérosexuel. Vous pouvez me croire, personne ne regrette cela davantage que
moi. L’homophobie fondée sur la religion est tout aussi nocive que l’homophobie
séculière, et souvent pire… Mais les défenseurs des droits des homosexuels ne
peuvent pas faire comme si l’idéologie anti-gay n’avait pas des racines
religieuses profondes et anciennes.
Le Premier Amendement accorde une protection spéciale aux
croyances et aux expressions religieuses. Cela ne signifie pas, bien entendu,
que les homophobes chrétiens peuvent discriminer à leur gré pourvu qu’ils
s’appuient sur la Bible. Cela signifie simplement que, au moins pendant un certain temps, les cours de justice et les
législatures trouveront des compromis entre les droits des homosexuels et la
liberté religieuse, chose qu’elles n’avaient pas à faire avec le mouvement des droits
civiques concernant les Noirs. Cela rend le mariage gay plus compliqué –
légalement, socialement, et même éthiquement – que le mariage interracial. Et
cela signifie que les partisans du mariage gay se heurteront à un mur
constitutionnel si nous essayons de condamner nos opposants à une perdition
totale et immédiate. »
[les italiques ne sont pas dans l’original]
Le petit détail, ici, c’est que
même lorsqu’il essaye de défendre les opposants au mariage gay, Rauch ne peut
s’empêcher de qualifier la conception traditionnelle du mariage
« d’homophobe » - un épithète qui ne traduit rien d’autre que le
sentiment de supériorité morale de celui qui parle. La conviction que le
mariage est une institution hétérosexuelle n’est pas davantage basée sur une
« phobie » que le principe de l’égalité devant la loi n’est basé sur
le racisme, bien qu’il constitue un obstacle sur la voie de la discrimination
positive. La défense du mariage traditionnel a de nombreuses racines, y compris
le respect pour la loi naturelle et le jugement prudent selon lequel toute
limite deviendra impossible à défendre dès lors que la définition fondamentale
du mariage est altérée. Si Jonathan Rauch ne peut comprendre cela sans avoir
recours à des slogans, alors c’est folie que d’espérer mieux de la part de
Twitter. Ce qui explique pourquoi toute dispute au sujet du mariage gay se
finit par une chasse à Brendan Eich.
Mais le point important – le
point le plus important – est contenu dans les mots « au moins pendant un
certain temps » et « immédiate ». Rauch n’est pas une sorte de
radical qui essayerait de détruire les conventions et d’abattre toutes les
frontières en épousant un cheval ou bien en créant un bébé à partir des ovules
de sa sœur. Il présente le plaidoyer le plus restreint qui existe en faveur du
mariage gay, et il le fait à l’aide d’arguments persuasifs et de bonne foi
basés sur l’égalité : il est aussi sérieux et large d’esprit que n’importe
quel partisan du mariage homosexuel aux Etats-Unis. Et, de son propre aveu, les
partisans sérieux et large d’esprit du mariage homosexuel ne tolèreront la
liberté religieuse que pendant un temps.
On peut penser que ce n’est pas exactement
ce que les Américains avaient à l’esprit lorsqu’ils ont accepté le mariage gay.
Après que la Cour Suprême ait
rendu sa décision dans l’affaire Obergefell,
nous pourrons commencer à discerner les contours de ce nouvel ordre dessiné par
les cours de justice, les lobbys, le gouvernement, l’élite commerciale, et les
combattants anonymes pour la justice sociale. (Pour un aperçu stupéfiant des
connexions entre ces différents acteurs, penchez-vous sur le cas Les bons gâteaux de Melissa, cette
pâtisserie de l’Oregon qui s’est vu infligé une amende de 135 000 dollars
pour avoir refusé de faire un gâteau de mariage pour des lesbiennes. Vous vous
souvenez peut-être que, après que l’amende ait été prononcée, des fonds avaient
été collectés via le site de crowdfunding GoFundMe afin d’aider les pâtissiers
à la payer – jusqu’à ce que des activistes homosexuels fassent pression avec
succès sur GoFundMe pour qu’il supprime la page. Eh bien, des documents révélés
le 1er juin montrent des responsables officiels de l’Agence pour le
Travail et l’Industrie de l’Oregon, la même agence gouvernementale qui avait
infligé l’amende, en train de communiquer par mails, par SMS, lors de réunions,
et aussi lors de l’octroi de subventions, avec le groupe d’activistes gays qui
poursuivait la pâtisserie.)
Si un droit constitutionnel à
épouser une personne de même sexe que soi est créé, alors le gouvernement
passera à l’étape suivante, comme l’a laissé entendre l’avocat général Donald
Verrilli lors des échanges oraux devant la Cour. Interrogé par le juge Samuel
Alito sur le point de savoir si un droit nouveau à contracter un mariage gay
obligerait les écoles religieuses à l’accepter sous peine de perdre leurs
exemptions fiscales, Verrilli a répondu :
« Vous savez, je – je ne
pense pas que je puisse répondre à cela sans avoir plus de précisions sur ce
dossier, mais la question se posera certainement. Je – je ne le nie pas. Je ne
le nie pas, juge Alito. Cela – cela sera une question qui se posera. »
Et pas seulement les universités
confessionnelles, mais aussi les écoles primaires et secondaires, et les
organisations charitables para-ecclésiales également. Ce qui s’explique par le
fait que le mouvement en faveur du mariage gay veut éviter ce qu’il considère
comme étant l’héritage politique de l’arrêt Roe
v. Wade.
Comme l’explique Ryan Anderson de
The Heritage Foundation dans son
livre à paraitre, The future of marriage
and religious freedom (« le futur du mariage et la liberté religieuse ») :
« Depuis Roe v. Wade, notre loi a accordé un droit à avorter. Et
cependant, pour l’essentiel, les citoyens qui s’opposent à l’avortement ne sont
pas traités comme s’ils étaient « anti-femmes » ou
« anti-santé ». De tels qualificatifs sont juste des insultes
utilisées par des extrémistes. Même ceux qui sont en désaccord avec la position
pro-vie la respectent et reconnaissent qu’elle a une place légitime dans le
débat public. Et – et ceci est crucial – c’est à cause de ce respect que les
leaders du mouvement pro-choix respectent en général la liberté religieuse et
la liberté de conscience de leurs concitoyens pro-vie. Jusqu’à ce que la loi
Obamacare contraigne les compagnies d’assurance à rembourser l’avortement, au
moins, il existait un large consensus sur le fait que les citoyens pro-vie ne
devaient pas être contraints par le gouvernement à être complices de ce qu’ils
considèrent comme un mal. Les contribuables pro-vie, par exemple, n’ont pas été
contraints de financer les avortements volontaires, et les docteurs pro-vie
n’ont pas été contraints de les pratiquer. »
La Cour Suprême pensait qu’elle
mettait un point final à la question de l’avortement par son arrêt Roe. Au lieu de cela, un mouvement
politique et culturel est né autour de l’opposition à l’avortement, et depuis
quarante ans le débat au sujet de l’avortement a continué devant les cours, les
assemblées législative,s et lors des élections.
Ce qui explique que le mouvement
pour le mariage homosexuel veuille faire de l’arrêt Obergefell quelque chose qui ressemble davantage à Brown v. Board of education qu’à Roe v. Wade. Comme l’explique Anderson,
ce mouvement veut cataloguer une fois pour toutes les défenseurs du mariage
traditionnel comme des fanatiques qui ne doivent pas être autorisés à exposer
leurs arguments dans l’espace public. Ils veulent répandre du sel sur la terre
après l’arrêt Obergefell et s’assurer
qu’aucun mouvement en faveur du mariage traditionnel ne pourra jamais se
développer. Dans le même esprit, les activistes gays font pression sur les
entreprises pour qu’elles se prononcent publiquement contre les lois qui
protègent la liberté religieuse, comme cela est arrivé dans l’Indiana ce
printemps. Et les entreprises, à leur tour, font pression sur les cabinets
d’avocat qui travaillent pour elles pour que leurs membres cessent de travailler
bénévolement dans des affaires portant sur la liberté religieuse.
Cette détermination qui anime les
partisans du mariage gay est, d’une certaine façon, une manière de reconnaitre
qu’ils utilisent des tactiques de diversion pour avancer leur cause : ils
comprennent qu’ils ne sont pas parvenus à convaincre la société de la justesse de
la révolution à laquelle ils travaillent.