Il nous reste maintenant à donner un peu de chair à
cette description abstraite en montrant comment cette « boucle de rétroaction »
s’est mise en place, et quels ont été ses résultats dans deux domaines
particuliers : celui de la libre circulation des biens et celui de
l’égalité hommes/femmes.
La libre circulation des biens est le domaine dans
lequel s’est manifesté en premier l’activisme de la Cour de Justice pour
d’éroder le caractère intergouvernemental de la construction européenne et pour
renforcer son caractère fédéral, et ce pour deux raisons essentielles. Tout
d’abord parce que ce domaine est celui qui offrait le plus de prétextes
plausibles aux abus de pouvoir de la CJUE (qui se nommait à l’époque
CJCE) : les traités de Rome n’avaient-ils pas justement pour but d’établir
un marché commun ou circuleraient librement les biens, les services, et les
capitaux entre les Etats signataires ? En s’attaquant aux règles
nationales entravant cette libre circulation, la Cour pouvait prétendre avec
quelque vraisemblance qu’elle ne faisait que devancer les désirs des
Etats-membres. Par ailleurs les entreprises soucieuses d’exporter leurs
produits avaient à la fois la motivation et les moyens nécessaires pour
intenter des actions en justice, aussi les litiges commerciaux ont-ils
rapidement constitués l’essentiel de l’activité de la Cour.
Le cadre doctrinal relatif à la libre circulation des
biens a été établi par une série d’arrêts rendus dans la seconde moitié des
années 1970. A ce moment-là, le marché commun était dans une phase de
stagnation, due notamment au « compromis de Luxembourg », adopté en
janvier 1966. Ce compromis, imposé à ses partenaires par la France du général
de Gaulle, revenait à donner à chaque Etat-membre un droit de veto sur les
propositions normatives de la Commission Européenne dès lors que, selon lui,
ces propositions portaient atteinte à l’un de ses intérêts fondamentaux. Ce
droit de veto renforçait bien évidemment l’élément intergouvernemental de la
Communauté Européenne, conformément à la vision gaullienne d’une « Europe
des patries », et en conséquence l’intégration s’était considérablement
ralentie à partir de ce moment. Mais, en quelques années, la Cour de Justice
allait totalement neutraliser le compromis de Luxembourg par sa jurisprudence.
Les deux arrêts les plus importants sont l’arrêt Dassonville, du 11 juillet 1974, et
l’arrêt Cassis de Dijon du 20 février
1979. Pour ne pas mettre à l’épreuve plus que de raison l’endurance de ceux
d’entre vous qui ne goûtent pas le charme (certes austère) des subtilités
juridiques, arrêtons-nous simplement sur le second, qui est celui qui pousse le
plus loin le bouchon de l’intégration par simple fiat judiciaire.
Dans l’arrêt Cassis
de Dijon, la CJCE affirme le droit de « toutes les marchandises légalement
produites et commercialisées » dans un Etat-membre à être introduites dans un
autre Etat-membre. Dès lors qu’un Etat-membre permet la commercialisation de
tel ou tel produit sur son territoire, ce produit doit pouvoir être vendu
partout à l’intérieur de l’Union, sans être soumis à des formalités ou des
obligations supplémentaires. Ce principe est celui dit de la
« reconnaissance mutuelle », c’est-à-dire de la reconnaissance
mutuelle des législations commerciales. Il signifie en fait que, selon la Cour,
les négociants ne doivent pas avoir à supporter le coût de l’incapacité des
Etats-membres à harmoniser leurs règles en matière commerciale ; ce qui
présuppose bien sûr que ne pas harmoniser ces règles est une faute de leur
part. Ou, pour le dire autrement, selon la Cour l’intégration européenne est un
devoir auquel les Etats-membres ne peuvent pas se soustraire.
La Cour reconnaît certes qu’il peut être dérogé à ce
principe dans un certain nombre de cas pour « des motifs d’intérêt
général », par exemple pour des raisons de santé publique. Mais les
« motifs d’intérêt général » invoqués par un Etat seront examinés de
près par les tribunaux, qui n’admettront que des restrictions strictement
nécessaires.
Les opérateurs commerciaux ne seront pas longs à
comprendre qu’ils peuvent utiliser la jurisprudence Cassis de Dijon pour attaquer à peu près n’importe quelle
réglementation nationale qui gêne leur activité. Etant donné que la charge de
la preuve repose sur l’Etat qui invoque un « motif d’intérêt
général » pour imposer des limites à la libre circulation des
marchandises, et que la Cour encourage les juridictions nationales à se montrer
très exigeantes en la matière, les chances de succès d’un recours en justice
sont en général très bonnes. Les recours vont donc se multiplier rapidement
dans toute la CEE. Et plus les tribunaux feront tomber de barrières à l’échange
en application du principe de la reconnaissance mutuelle, plus cela encouragera
les négociants à intenter de nouveaux procès. A chaque procès, les juges
micro-manageront les autorités nationales en leur indiquant précisément ce
qu’ils peuvent faire et comment ils peuvent le faire. Au final, les tribunaux,
sous la direction de la Cour de Justice, seront devenus l’autorité suprême en
matière de droit commercial. Ce seront eux qui véritablement établiront les
règles en la matière.
Mais ceci n’est encore qu’une forme
« négative » d’intégration européenne, l’intégration par la
disparition des différentes législations nationales. Il reste à compléter
celle-ci par une intégration « positive », c’est-à-dire par
l’édiction de normes européennes destinées à remplacer les normes nationales.
Or c’est précisément ce à quoi pousse presque irrésistiblement le principe de
reconnaissance mutuelle. Ce principe implique en effet que le refus d’adopter
des règles au niveau européen se traduira par un nivellement par le bas :
les pays les moins regardants en matière de réglementation commerciale,
sanitaire, technique, environnementale etc. imposeront peu à peu leur cadre
juridique à l’ensemble des Etats-membres. Dès lors, le coût de l’inaction pour
les gouvernements nationaux tend à devenir prohibitif. Le compromis de
Luxembourg n’est plus tenable : le pays qui fait usage de son droit de
veto pour défendre ses « intérêts fondamentaux » (par exemple telle
ou telle législation nationale que la Commission voudrait remplacer par une
règle européenne) s’expose à se voir imposer par voie judiciaire bien pire que
ce qu’il ne voulait pas.
Lorsque l’arrêt Cassis
de Dijon fut rendu par la Cour, nombre de gouvernements nationaux protestèrent
contre cette interprétation prétorienne des traités européens, et le service
juridique du Conseil des Ministres produisit un rapport rejetant les principaux
points de cet arrêt. Mais bien entendu en vain. Il n’existait, en pratique,
aucun moyen de revenir sur la décision de la Cour. Par conséquent, les
Etats-membres finirent bon gré mal gré par accepter ce qu’ils ne pouvaient
rejeter. Ils firent leur le sage principe : « puisque ces mystères
nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs », principe qui
pourrait à lui seul résumer bien des étapes de la « construction
européenne », et ils rédigèrent un nouveau traité, intitulé « Acte
Unique Européen » (1986), qui reprenait l’essentiel de la jurisprudence de
la Cour sur la « reconnaissance mutuelle » et étendait
considérablement le domaine du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil
de Ministres. En bref, ils effectuèrent un pas décisif dans la direction d’une
Europe de type fédéral, mais en cela ils ne faisaient que rattraper le retard
qu’ils avaient pris sur la jurisprudence de la Cour de Justice.
L’exemple de l’égalité hommes/femmes est peut-être
encore plus frappant que celui de la libre circulation des biens, des services,
et des capitaux, car si les signataires des traités de Rome considéraient
assurément l’établissement d’un marché unique comme étant l’un des objectifs
fondamentaux de la communauté européenne, il n’en allait absolument pas de même
pour celui de l’égalité hommes/femmes en matière professionnelle. Non pas que
les Etats-membres aient été contre une telle égalité, bien sûr, mais ils
présupposaient que ce genre d’objectifs devaient rester du ressort des
autorités nationales plutôt que de devenir un domaine d’action communautaire.
La seule référence à cette question dans les traités
de Rome était l’article 119 qui disposait que « Chaque État membre assure (…)
l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs
masculins et les travailleurs féminins pour un même travail. Par
rémunération il faut entendre, au sens du présent article, le salaire ou
traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés
directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au
travailleur en raison de l'emploi de ce dernier. »
Le principe fondamental était donc à travail
identique, rémunération identique, ce qui est à la fois un principe de justice
élémentaire (traiter de la même manière des situations identiques) et, en
économie de marché, une quasi tautologie, car il est pratiquement impossible de
payer de manière différente une catégorie importante de la population pour un
même travail sans que la loi de l’offre et de la demande ne rétablisse
l’équilibre, du moins lorsque le marché est suffisamment libre. Et il
paraissait entendu que le soin d’appliquer ce principe reviendrait à chaque
Etat-membre ou, pour le dire autrement, relèverait des lois nationales ;
pour autant qu’il soit nécessaire de faire des lois sur le sujet.
Mais en quelques arrêts la Cour allait entièrement
bouleverser ce cadre juridique pour lui en substituer un autre de sa propre
création. Retraçons en simplement les grandes lignes.
Tout d’abord la Cour, en accord avec sa jurisprudence Van Gend en Loos, annonça que l’article
119 était d’application directe, ce qui signifiait que n’importe quel
particulier – en l’occurrence n’importe quelle femme – s’estimant
« discriminé » d’un point de vue salarial à cause de son sexe pouvait
se prévaloir, devant les tribunaux de son pays, de l’article 119 pour obtenir
réparation (Defrenne II, 8 avril
1976).
Puis la Cour élargi la signification du terme
« rémunération » pour y inclure pratiquement tous les avantages,
directs ou indirects, qui peuvent être liés à l’exercice d’un emploi salarié, qu’ils
soient ou non payés par l’employeur, élargissant du même coup presque à
l’infini les possibilités de s’estimer « discriminé », et donc
d’intenter une action judiciaire.
Dans son arrêt Commission
contre Royaume-Uni, du 6 juillet 1982, elle récrivit implicitement
l’article 119 en substituant au principe « à travail identique, salaire
identique », le principe « à travail de valeur égale, salaire
égal ». C'est-à-dire qu’à un critère relativement objectif (« même
travail ») elle substitua un critère irrémédiablement subjectif
(« égale valeur ») qui faisait des tribunaux les arbitres ultimes en
matière de non-discrimination ; la « valeur égale » du travail
fourni par deux salariés ne pouvant qu’être estimée par les juges au cas par
cas, en fonction, en définitive, de leur seule subjectivité (Ceux qui auraient
besoin de plus de preuves et d’arguments pour se convaincre que la formule
« à travail de valeur égale, salaire égal » mène inévitablement à
l’arbitraire judiciaire et aux abus de pouvoir les plus grossiers pourront lire
avec profit Incomparable Worth – Pay Equity Meets the Market, de Steven Rhoads).
Enfin la Cour de Justice sortit de son chapeau,
décidément très profond, le concept de « discrimination indirecte ».
La « discrimination indirecte » est présumée exister dès lors que des
critères de rémunération, apparemment objectifs et justifiés, ont pour effet
que, dans une entreprise donnée, les femmes ont globalement une rémunération
moins élevée que les hommes. Prenons un exemple.
Supposons une entreprise qui réserve à ceux de ses
employés qui travaillent à temps complet une retraite complémentaire, et ce
afin de décourager le travail à temps partiel car celui-ci implique un coût
marginal supérieur pour l’entreprise. Voilà une mesure a priori inattaquable
car basée sur des raisons économiques objectives. Oui, mais voilà, il se trouve
que dans ladite entreprise les employés travaillant à temps partiel sont bien
plus souvent des femmes que des hommes. En ce cas – qui n’est nullement
fictif : Bilka, 13 mai 1986 –
les employées seront fondées à s’estimer victimes de
« discrimination » indirecte, et l’entreprise ne pourra se disculper
qu’au terme d’une longue procédure à l’issue toujours incertaine, durant
laquelle sa politique salariale, entendue au sens très large, sera épluchée
méticuleusement par un juge soupçonneux mais pas nécessairement fort compétent
en matière économique. Autant dire que, très vite, les entreprises comprendront
qu’il est bien préférable pour elles de ne pas mettre en place de mesures ayant
un impact différencié sur les femmes, quand bien même ces mesures seraient
moralement justes et économiquement appropriées.
Au terme du processus, la Cour a donc transformé
l’article 119 jusqu’à le rendre méconnaissable, et elle a presque entièrement
transféré le pouvoir d’édicter des normes en matière d’égalité des sexes des
mains des législateurs nationaux aux mains des juges, ceux-ci ayant désormais
de facto la fonction de micro-manager la politique « salariale » des
entreprises dès lors que le moindre soupçon de « discrimination » se
fait jour.
Après avoir protesté et mené des combats
d’arrière-garde perdus d’avance, les Etats-membres ont fini, comme en tant
d’autres domaines, par feindre d’être les auteurs de ce qui leur était imposé,
et, au cours de la négociation du traité d’Amsterdam (1997), ils ont réécrit
l’article 119 (devenu article 141), qui dispose désormais : « Chaque
État membre assure l'application du principe de l'égalité des rémunérations
entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou
un travail de même valeur. »
Un autre élément doit être ajouté à ce tableau, déjà
chargé, pour donner un aperçu exact de la manière dont fonctionnent
véritablement les institutions européennes.
La jurisprudence de la CJUE a fortement favorisé le
développement de toute une « société civile » transnationale, dont
l’objectif principal est d’arracher des mains des législateurs nationaux la
création des règles en matière de discrimination sexuelle pour transférer ce
pouvoir à la Commission Européenne et à la Cour de Justice ; car il est
bien plus facile pour des lobbyistes bien organisés de convaincre une poignée
de fonctionnaires ou de juges européens du bien-fondé de leur cause, qu’un
parlement ou un exécutif national qui, eux, ont, d’une manière ou d’une autre,
des comptes à rendre à ceux pour qui ils font les lois. En retour Commission et
CJUE sont très heureuses de pouvoir s’appuyer sur cette « société
civile » – un conglomérat de lobbys féministes, de syndicalistes,
d’universitaires « progressistes », d’avocats etc. – pour assurer
l’application des normes européennes partout dans l’UE et pour pouvoir, en tant
que de besoin, prétendre que leur activité normative ne fait que répondre aux
demandes de « l’opinion publique européenne ». Cette association est
d’ailleurs si satisfaisante que la Commission Européenne n’hésite pas à
subventionner, à organiser, et à renseigner ces groupes de pression. Et c’est
ainsi que, par exemple, l’argent du contribuable français sera généreusement dépensé
par la bureaucratie européenne afin de rogner les pouvoirs du législateur
français et d’augmenter ceux de la bureaucratie européenne.
Donnons un petit exemple.
En 1976 la Commission Européenne créa le « Service
Information Femmes » au sein de la Direction Générale de l’information et
de la communication. Ce service, dirigé jusqu’en 1992 par la belge Fausta
Deshormes La Valle, avait pour but de donner un accès formel à la Commission
aux associations ayant pour objet la défense des « droits des
femmes », de diffuser dans toute la communauté des informations relatives
à ce sujet, d’organiser des colloques et des conférences. Son bulletin, Femmes d’Europe, devint très rapidement
une source d’information essentielle pour les associations féministes, à qui il
fournissait notamment les arguments juridiques nécessaires pour attaquer les
législations nationales insuffisamment « progressistes » en matière
de lutte contre la discrimination sexuelle. Au fur et à mesure que cette
information se diffusait, les plaintes pour discrimination se multipliaient
devant la Cour de Justice, notamment par le biais du renvoi préjudiciel. Au fur
et à mesure que la Cour rendait de nouveaux arrêts, le droit européen devenait
plus dense, laissant toujours moins de marge de manœuvre aux Etats-membres, et
les activistes se trouvaient encouragés à déposer de nouvelles plaintes. Leurs
succès, et les subventions diverses distribuées par les institutions
européennes, permirent à ces associations de croitre, de se structurer, de
gagner en sophistication et en expertise juridique. Ainsi fut fondé en 1990 le
Lobby Européen des Femmes, la plus grande coalition d’associations de femmes
dans l’Union européenne. Le LEF représente aujourd’hui plus de 2000
organisations de tous les états membres et candidats de l’UE. La Commission se
repose désormais très largement sur son expertise juridique pour rédiger ses
propositions de règlements et de directive, ainsi que sur son aide pour surveiller
dans toute l’Union que les Etats-membres se conforment bien aux normes
européennes.
C’est assurément ce que l’on peut appeler un
partenariat gagnant-gagnant. En tout cas du point de vue de tous ceux qui
œuvrent pour le remplacement des démocraties nationales par une
« gouvernance » techno-juridique. Pour les peuples européens, c’est
une autre affaire.
Ce rapide tour d’horizon dans la coulisse de
« l’intégration européenne » aura sans doute, je le crains, donné à
nombre d’entre vous l’envie de s’enfuir en hurlant et en me maudissant de leur
avoir infligé une lecture aussi rébarbative. Mais la plus belle fille du monde
ne peut donner que ce qu’elle a, et de quel droit pouvons-nous exiger que les
sujets importants soient aussi plaisants et faciles d’accès ? Ceux d’entre
vous qui auront résisté à cette tentation, et qui auront eu la patience de lire
jusqu’au bout auront, pour récompense de leurs peines, gagné du moins quelques
convictions.
D’une part la maitrise de l’intégration européenne
échappe chaque jour davantage au contrôle des gouvernements des Etats-membres
de l’UE. Ceux d’entre eux qui espèrent encore naïvement qu’il leur sera
possible de décider librement quelles compétences ils acceptent de transférer
aux institutions européennes, et quelles compétences ils entendent garder finiront
par répéter l’expérience malheureuse de Roi Lear, qui croyait possible de
charger ses filles de la gestion de son royaume tout en gardant le titre et les
honneurs dus à un roi, et qui ne tarda pas à se retrouver dépouillé de tout.
D’autre part, le bulletin de vote est essentiellement
impuissant contre l’étouffement progressif des démocraties nationales par les
juges et les bureaucrates européens. Ni référendums ni élections ne sauraient
faire dévier longtemps de leur trajectoire, et de leur projet, ceux que leur
position institutionnelle immunise contre une telle arme. Vouloir réformer
l’Union Européenne pour résorber le « déficit démocratique » dont
elle souffre est vain. Le « déficit démocratique » est sa nature profonde.
N’attendez donc rien, du point de vue du fonctionnement de l’UE, ni des
élections européennes ni des consultations nationales.
A moins que ces dernières n’aient pour objet la sortie
de l’Union Européenne. Car cela en revanche est toujours possible. Tout
puissants pour contraindre ceux qui acceptent les règles de leur jeu, les juges
et les bureaucrates européens sont en revanche dépourvus des moyens de
contraindre qui que ce soit de jouer à leur jeu. Et c’est précisément pour cela
que ceux qui sont objectivement partisans du fédéralisme européen (qu’ils ne
nomment bien sûr jamais ainsi) menacent les peuples qui seraient tentés de
reprendre leur liberté de l’équivalent technocratique des douze plaies
d’Egypte. Seule une peur irrationnelle peut empêcher les nations européennes
d’ouvrir les yeux et de constater que la porte de la cellule est ouverte, comme
elle l’a toujours été.
La sortie de l’UE, voire sa disparition pure et
simple, ne serait bien sûr pas sans conséquences, au moins sur le court terme,
elle ferait des gagnants et des perdants, elle remettrait en cause des
habitudes et des situations acquises. Mais fondamentalement le plus difficile
serait de nous dépouiller de l’illusion - que nous avons entretenue depuis
presque 60 ans - qu’il nous serait possible de dépasser les particularismes,
les nations, et de sortir de notre condition d’animal politique.
Evaluer en détails les conséquences économiques,
juridiques et politiques, que pourrait avoir une sortie de l’Union Européenne
n’est ni vraiment possible ni, surtout, vraiment nécessaire pour nous décider.
La question que nous avons à nous poser est finalement très simple : voulons-nous
encore être libres ? Et, dans la mesure où la liberté humaine est
inséparable de la loi, cela signifie d’abord : voulons-nous encore nous
gouverner nous-mêmes ? Si nous répondons par la négative à cette question,
c’est que nous ne sommes plus dignes d’être libres, et que nous méritons
l’Union Européenne. Mais s’il nous reste encore assez de fierté et de confiance
en nous-mêmes pour répondre par l’affirmative, qu’attendons-nous ? Ouvrons
les yeux, et poussons la porte.